Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
La louve noire marchait, les pensées voguant sans bride dans son esprit. Elle partaient, revenaient et repartaient tels des fantômes. Mais celle qui jouait le plus au spectre, c'était celle de la trouvaille de son frère. Elle revoyait son image dans sa tête et se demandait ce qu'il avait perdu lorsqu'il avait été séparé de ses parents. Selon les dires de son père, qu'elle avait eu pour elle toute seule les premières années de sa vie, sa mère a été affaiblie par un éboulement. Pour son frère, tous les deux avait été tués lors de ce même éboulement. Mais Rajaa avait été pour lui la preuve que cette idée était fausse. Il croyait être le seul rescapé, mais son père le croyait mort. D'ailleurs, lui aussi avait disparu de la surface de la terre, et la louve ne savait ce qu'il était advenu de lui. Il y avait beaucoup trop de "peut-être" le concernant. Elle soupira, et essaya de se changer les idées. Mais son frère revint dans sa mémoire. Pas la même rencontre, mais c'était du kif kif bourricot. La dernière fois qu'elle l'avait vu. Ils s'entraînaient, mais Cendres du Sphinx savait qu'il détestait Atom. Pourtant, elle-même l'avait rejoint... Elle y avait longuement réfléchit, et pour ce qu'elle savait, le mieux à faire était de quitter les Navniks. Du moins, en ce qui concernait son frère. Puisque, d'un autre côté, cette idée était réellement folle. Chez eux, il y avait pas mal de loups qu'elle appréciait. Et puis, eux l'avaient accepté sans se préoccuper de rien. Les Sekmets, même s'ils étaient sous l'emprise de Skull n'en avaient rien fait. Et puis, ne serait-ce pas pris comme de la traîtrise pour les Navniks ?
-Athos ! Dans quel pétrin est-ce que tu me met ? cria-t-elle.
Elle tourna la tête alors qu'un craquement retentissait derrière elle.
«Between two evils, I always pick the one I never tried before.» 11||10||5
Enfin, la pluie tombe de nouveau. Ces gouttelettes qui tombe du ciel depuis maintenant un jour ou deux, celles qui hydratent les terres arides, celles qui noient les plantes mortes et redonnent vie à celles qui ont réussi à survivre jusqu'à maintenant, elles ont imbibé mon pelage aussi sombre que la nuit en elle-même dans laquelle je me déplace. Je suis littéralement trempé, à mon plus grand soulagement. Sous cette fourrure épaisse d'ébène, je commençais à sérieusement suffoquer, et cette pluie m'est la bienvenue. De ce qu'on peut entendre si l'on tend un minimum l'oreille, je ne suis pas le seul à jouir de sa venue. Toutes ces petites bêtes qui constituent nos repas oublient, l'espace d'un instant, qu'elles sont traquées jour et nuit pour finir entre nos crocs et sortent dehors, tous réflexes disparus, comme oubliés. Elles deviennent insouciantes alors qu'elles profitent de cette fraicheur, soulageant et éphémère, presque... suicidaires. Oui, suicidaires. Des proies qui n'ont pas peur de mourir, qui iraient presque jusqu'à se foutre entre nos mâchoires de tueurs puisque ça leur serait égal de crever: elles mourraient en ayant connu le soulagement de cette pluie.
Ou peut-être suis-je tout simplement trop imaginatif. Peut-être j'aime juste un tantinet trop voir les choses d'un œil mélancolique, voir mes pensées teintées d'un peu trop de déchéance. Peut-être j'aime tout simplement trop le malheur, et peut-être que ces pauvres bêtes sont tout simplement trop stupides pour porter attention à ne pas finir dans la gueule d'un loup lorsqu'elles sortent profiter de la pluie. Allez donc savoir.
Et c'est par cette nuit sombre, agréablement fraiche et pluvieuse que je reviens des terres du Nord. Je cours, et mon souffle, erratique, se fait de plus en plus bruyant. Mes pattes poursuivent leur course en de foulées toujours plus longues, plus rapides. Elles brulent sous l'effort et à un certain point, la douleur finit par les engourdir. "Dommage.", que je pense. Cette fatigue brulante m'était fort agréable et embrumait mes pensées, m'empêchant de me localiser.
Mais une fois en était le faire, je me retrouve près de la Chapelle. Au moins, lorsque je laisse mon corps voguer, se diriger là où il le veut bien alors que mes pensées sont occupées ailleurs, il ne m'enfonce pas en territoires ennemi ou inconnu, et je reprends mes esprits plus souvent qu'autrement ici, ou près de la terre de ma meute. Pratique.
Si cet engourdissement ne m'avait pas fait reprendre conscience, de toute façon, il y aurait eu ce hurlement, déchirant le silence, qui l'aurait fait. Je ralentis, marchant désormais. Qui est-ce? Un Navnik certainement, mais encore? Et puis, je repense à ses dires. "Athos." qu'elle avait dit. Un sourire étire mes babines, laissant à découvert mes crocs reluisants. Ce con qui me sert de meilleur pote. Je l'aime bien, même s'il est tout le contraire de moi. Loyal, honnête... Je me retiens de rire. Ouais, tout le contraire de moi.
J'observe l'individu devant moi. Pelage sombre, de taille relativement moyenne, de même pour la carrure, il ne me dit rien, celui-là. Et puis c'est alors que je vois deux prunelles d'ambre se braquer sur moi que je réalise avoir marché sur une brindille morte, alarmant l'inconnu.
-Qui est là?, qu'elle me dit.
Je m'assois et, sachant me trouver face à un autre de ma meute, me présente, tout naturellement.
-L'Allégorie Divine. , dis-je d'une voix forte, mais posée.
Puis j'attends encore un peu. Je laisse le silence planer sur nous encore quelques instants avant de le rompre.
-Le nouveau, t'as peut-être entendu parler de moi, Askaal.
Ce nom ne lui disait absolument rien. Elle fouilla dans son esprit, mais du se rendre à l'évidence : elle ne le connaissait pas. Ni quand elle était petite, ni maintenant. De toute facon son odeur lui aurait surement rappelé quelque chose.
-Le nouveau, t'as peut-être entendu parler de moi, Askaal.
Elle secoua la tête. Non, elle n'avait pas entendu parler de lui. En même temps, elle-même venait d'arriver.
-Non, je viens d'arriver dans la meute.
Il s'était présenté. Maintenant à elle de le faire.
«Between two evils, I always pick the one I never tried before.» 11||10||5
La louve semblait... similaire à lui. Pas que sur le plan physique, non. Côté caractère également. Pas de politesses inutiles, pas de joie imminente qu'on vous crache à la gueule quand on vous rencontre, rien de tout ça. Ce qu'il avait devant lui était une louve calme, posée, un brin d'indifférence teintant le fond de ses prunelles d'ambres. Une louve qui m'est bien intéressante, à vrai dire.
-Non, je viens d'arriver dans la meute. Rajaa, ou Cendres du Sphinx.
Cendres du Sphinx... Ça me dit un truc. Si je fouille dans les méandres de mon esprit, je parviens à me rappeler vaguement la rapide présentation qu'Atom m'avait faite d'elle. Une espionne, il me semble. Une espionne. Ouais, ça colle bien.
Mes yeux dorés la scrute un bon moment avant que je ne repense à ce qu'elle disait, tout juste avant qu'elle ne se rende compte de ma présence.
-Je t'ai entendu appeler Athos, juste avant mon arrivée. Dis-je avant de marquer une pause. Tu le connais?
Je cache un petit sourire, l'empêchant d'étirer mes babines et de dévoiler mes crocs. Athos, ce bon vieux Athos...
-Je t'ai entendu appeler Athos, juste avant mon arrivée. Tu le connais?
Si elle aurait pu, la louve aurait pâli. Oui, elle connaissait Athos. Seulement, ils préféraient tous deux garder le secret, n'étant pas de la même meute entre autres.
-Oui, je le connais. Toi aussi je parie. Tu ne m'en aurais pas parlé autrement.
Peut-être un ennemi de son frère, ou alors un ami? Personnellement, elle préférait qu'il soit un ami. Mais puisqu'il était Navnik... Oh, bref, il lui dirait sûrement.