Athos ne quittait que rarement le territoire de sa meute. Mais on lui avait trop parlé de cet endroit et le loup était bien trop curieux et avide de connaissance pour ignorer un tel appel. L'ancienne Église.  Un lieu où des Humains se réunissaient souvent; à ce qu'on m'a dit. Mais surtout,  un lieu où la lumière a mille couleurs. Il avait hâte de le découvrir,  hâte d'y arriver. En fait; il courait presque au moment où il aperçut un clocher jonché au sol, à peine détruit, comme s'il avait tout simplement sauté.

Lorsqu'il arriva au pied de l'église,  Athos ouvrit grand les yeux devant tant de merveilles. Du verre bleu, rouge; orange, vert... mais pas quel miracles avaient-ils pu résister aux assauts des bombes ? Athos observa le reflet de la lumière sur ces cristaux. Chaque lambeau de soleil changeait de couleur en passant pas un vitrail.  Bleu rouge rose. Il exaltait devant tant de beauté. Il fit un pas et entra dans l'église.  Celle ci n'avait plus de toi; mais les murs semblaient avoir à peu près tenu le coup. Cependant; on aurait dit que l'église s'était enfoncée dans la terre, les fenêtres étaient presque au ras du sol. C'était peut être de la qu'on l'appelait "la crypte". 

Nullement hesitant; Athos entra dans l'église. Les murs faisait de l'écho au vent; et chaque murmure de la brise semblait s'intensifier ici; si bien qu'Athos crut sentir un présence. Le vent se fit plus fort. Une vitre se brisa, surprenant le loup qui frissonna. Ce dernier continua d'avancer. Malgré le contexte et le décor presque chaotique, les vitraux et l'atmosphère de cet endroit appaisaient le loup, le réconfortait,  le rassurait. En fait; les vitraux l'intriguaient beaucoup. Il s'approcha de l'un d'eux  et regarda à travers  avec surprise il découvrit qu'il voyait de la couleur du vitrail observé !  Comme un enfant devant s'extasiant devant un nouveau jeu, le jeune loup rit si spontanément et naturellement qu'il s'en etonna lui  même. Oui vraiment; il n'était pas déçu d'être venu ici.

Athos était réellement dans son élément ici. Il n'avait ni peur ni appréhension,  il se sentait calme et assuré. Les Hommes.  Tous les loups se bornaient à les décrire comme des êtres monstrueux qu'on pouvait à peine considérer comme des êtres vivants appartenant à la nature, des êtres impurs, stupides, bornés. Mais comment se pouvait il que de tels êtres, si cruels, une race qui s'était même autodetruite , puisse créer des choses si curieuses, époustouflantes et infaisables pour eux, les loups. L'Homme avait forcément quelque chose, une sorte d'intelligence , source de tant de beauté, qu'il laissa submerger par quelques sentiments, comme la haine et la vanité. Peut être. .. oui. Peut être y avait il deux races d'Hommes. Ceux capables de merveilles et ceux capables d'atrocités. Tout comme chez les loups. Car si l'homme s'était détruit pendant une guerre, et avait entraîné dans sa chute le monde entier, les loups n'étaient pas étrangers au combat et à la guerre non plus.

Plongé dans ses reflexions; il entendit un loup s'approcher mais n'y prêta guère plus d'attention que nécessaire.  Le loup s'exprima alors en ces termes :


- Eh bien. Un loup admirant le travail humain. J'aurais tout vu, dans ma vie.


Athos sentit l'air. Un Esobeck.  Cependant ; il n'y avait pour lui aucune raison de se mettre sur le qui-vive. Il ne reconnut pas l'identité de ce loup. A vrai dire, le jeune loup ne connaissait pas grand monde là bas. Alors; sur un ton neutre et toujours le regard rivé sur les vitraux, il dit :


" Alors soyez en heureux. Nombreux sont ceux qui aimeraient avoir tout vu. Pour ma part ce n'est pas mon cas. Et plus j'en découvre mieux c'est.  Cependant selon moi, on a jamais réellement tout vu. Par exemple, avez vous déjà vu un loup fabriquer ce genre de choses? J'en doute.  Et pourtant; les Hommes ont détruit le monde et sont de ce fait des monstres. Alors comment des monstres ont ils pu faire ... Ceci? "

Cette question; il se la posa surtout à lui même.  Cela lui semblait si illogique. Cet établissement en ruine lui apportait une sérénité qu'il ne comprenait pas. Mais ici tout était fait pour que l'on soit serein : les vitraux, les peintures. .. et pourtant. Beaucoup était en ruine, détruit,  déchiré,  assassiné par son Créateur.  C'était si. .. étrange ici. L'enfant du monstre avait un visage d'ange.

Le grand loup brun plissa les sourcils. Il était vrai que chaque loup qu'il connaissait haïssait les humains et leurs oeuvres et ce loup là n'échappait pas à la règle. Néanmoins; il s'attendait à autre chose , une autre réaction de sa part. Athos n'avait pas prévu cette langueur et cette solicitude dans l'expression du loup.  Ce dernier semblait réfléchir au passé; comme si il avait pu expérimenter lui même ce qu'il avançait. Athos  était un jeune loup arrogant, mais aussi doté d'un grand sens de l'honneur et de l'estime. Il savait reconnaître ceux qui en avaient beaucoup vu sans se venter, ceux qui avaient accomplis des choses.  Alors, respectueux pour une fois, il laissa le loup plus âgé parler. C'est vrai; les Hommes s'étaient entretués, tuant avec eux des milliers de loups, y compris la famille du grand loup brun. Dans leur propre chute, c'est la chute du monde que les Hommes avaient entraînés.

Songeur; le jeune loup regarda les mille et une couleurs des vitraux. Ce dernier s'avança vers une des fenêtres et regarda au travers. Le monde était vert; comme le vitrail. Un sourire s'échappa des lèvres du grand loup . Oui, c'étaient des monstres. De monstrueux  génies. Pire que des loups enragés mais plus malins que le renard; moins agiles que le serpent mais plus rusés que la pie. Et même si Athos n'hésiterait  pas une seconde à arracher la tête de celui qui ferait du mal à l'un des siens; il ne pouvait nier que l'oeuvre de L'Homme était sublime.

Athos tournait toujours le dos au vieux loup. Écoutant chaque craquement su verre, chaque bourrasque du vent. Le plus âgé ne bougeait pas et semblait observer tout en étant plongé dans sa mélancolie.  Un sourire aux babines ; le loup répondit  à l'Esobek.

" Vous avez sans doute raison et je pense pouvoir considérer votre jugement avec la plus grande attention.  Néanmoins, je crois que nous pouvons aussi assurer que l'Homme est certes un monstre. Mais un monstre ingénieux, un monstrueux génie. Et nous; les loups, nous servons bien de certains de leurs machines pour notre survie, même si c'est eux qui ont causé la perte de ce monde.

Le grand loup brun pensait entre autres au magnifique oiseau de fer; centre du royaume des  Sekmets et garde manger; dans lequel le grand loup avait élu domicile dans une partie inaccessible aux autres, du cockpit. 

Athos sentit le regard du grand loup gris. L’Alpha des Esobek. Le grand loup brun n’avait pas une animosité particulière envers eux. Le jeune loup n’était pas de ceux qui suivent comme des moutons, qui sont médisants, qui retournent leur veste ou qui critiquent ceux que les autres critiques. Athos ne se fiait qu’à son propre jugement. C’était pour cela, d’ailleurs, qu’il n’avait pas peur de l’autre loup. Dès son arrivée, il avait senti qui il était, puis il avait deviné ce qu’il était. L’Alpha des Esobek, un loup bien plus expérimenté que lui, qui d’un geste pourrait commander aux autres de l’égorger sans autre forme de procès, ou même le provoquer lui même en combat. Mais Athos avait senti ce que les autres ne semblent pas voir, car ils se fient plus aux autres qu’à leur propre instinct. Athos avait senti quel genre de loup était l’Esobek. Un loup ayant vu plus de chose que le jeune n’imaginerait, un loup éprouvé par les expériences belles ou affreuses de la vie. Un loup qui regarde le monde avec distance pour tout voir, pour tout entendre et tout comprendre. Pas le genre d’idiot rebuté dont on faisait pourtant le portrait chez lui. Sans grande surprise, Athos remarquait qu’il avait même plus envie de tuer certains de sa propre meute, stupides et malhonnêtes, que ce loup qui semblait ne le vouloir que du bien, ou au moins ne rien lui vouloir du tout.
Athos prenait beaucoup de distance vis-à-vis des conflits dans lesquels s’engageait sa meute. La seule chose qui pourrait lui faire ressentir quoi que ce soit serrait qu’on s’attaque à lui ou à ceux qu’il aime, c’est-à-dire très peu de loups. Par contre, Athos était quelque de loyal. Si son Alpha lui demandait de combattre les Esobek, il le ferait, mais sans autre forme d’animosité ou de cruauté. Rares étaient les fois où il s’avérait être cruel, sauf dans le cas cité, ou la rage devient plus forte que l’Honneur. Le grand loup brun tourna à son tour la tête vers le grand loup gris qui lui lançait un regard posé mais curieux. Athos devina qu’il trouvait étrange qu’un jeune de chez les Sekmet n’ait pas envie de se jeter à sa gorge. Alors, d’un regard amusé presque provocateur, le loup lorgna sans se cacher l’artère carotide du vieux loup. Elle était juste à côté. Juste là. Cette situation le fit presque sourire, comme si c’était un jeu, alors qu’il se trouvait en face d’un des pires ennemis de sa meute.
Le grand loup gris prononça quelques phrases qui firent froncer les sourcils et plisser le front du jeune loup. De la robustesse... Cela n'était pas un problème. Ce qu'il fallait, c'était des gens censés et non avides de tout et sans honneur. Même si Athos avait lui même de grands projets pour son avenir, il ne ferait aucun coup bas pour y parvenir.

« Ce n’est pas vraiment de la robustesse dont ils auraient besoin. Ca, ils en ont à revendre. »

Puis, d’un regard malin et espiègle, il regarda le grand loup :

« Un conflit, vraiment ? Vous m’en direz tant… Je ne pense pas qu’ils se soucient des Esobeks à ce point »

Une pointe d’ironie tintait le discours du jeune, et ce dernier s’excluait, lui et son interlocuteur, parlant à la troisième personne uniquement, il n’aurait su dire pourquoi. Mais Athos disait vrai. Même si les deux meutes se haissaient, pour l’instant elles vivaient sans se regarder. Tandis que la nouvelle meute représentait une bien plus grande menace. Les Esobek en avaient forcément entendu parler. Les Navnik considérait, à ce qu’Athos avait entendu, les Esobek comme faibles et stupides. Athos était convaincu de toute façon que cette meute était une menace pour tous, et qu’ils ne devaient en aucun cas la laisser grandir, il fallait étouffer le poussin dans l’œuf…