Zwey observa Reaven du coin de l’œil, le nez toujours agréablement enfoui dans son pelage gris. Le guérisseur paraissait très nettement se débattre avec un dilemme de taille ; dilemme que le jeune loup devinait être : lui parler ou pas, clairement, en toute transparence, de ce qui le torturait. Et lui se sentait un peu triste, seulement, de voir les prunelles de son ami si ternes. Comme l'eau trouble d'une mare qui s'assèche petit à petit. Cela lui serrait le cœur.
Mine de rien, si Reaven n'avait pas été comme son père, alors qui pouvait bien l'être.
« J’ai tué mon ancienne Meute. »Le verdict tomba doucement, lentement ; et malgré la gravité de ce qu'ils exprimaient, ces quelques mots n'étaient pas plus lourds qu'une feuille morte atterrissant sur la surface d'un lac. Zwey sentait presque le souffle de souvenirs si vieux qu'ils s'effriteraient si on les foulait du bout des pattes. Des fantômes qui n'ont pas besoin de toucher pour hanter encore. Il cligna les paupières, lentement, mais ne fit pas de commentaire. Ce n'était pas exactement ce à quoi il s'était attendu.
Sans surprise, cela ne lui crevait pas le cœur non plus. Malgré leur proximité, comme beaucoup, Reaven n'avait jamais pris la mesure du manque d'empathie de Zwey.
A mesure que son ami décrivait ce terrible souvenir, la sentinelle imagina le jeune loup gris affolé, traqué par les meutes hurlantes des hommes et leurs engins de fer, s'enfuir à toutes pattes vers l'endroit qu'il connaissait le mieux. Le foyer où, inconsciemment, il se croyait invincible. Cette désillusion.
Ajoutant dans un murmure qu'il s'agissait d'une dette que jamais il ne pourrait rembourser.
Zwey, qui regardait son ami du coin de l’œil depuis le début de son explication, capta son regard lorsqu'il se retourna brièvement vers lui. Les yeux de la sentinelle exprimaient rarement grand-chose, et c'était tout autant le cas en cet instant. Mais c'était justifié : une si vieille tragédie lui faisait l'effet de mélancolie lassée qu'ont les villes des hommes laissées à l'abandon. Une tragédie est advenue en ces lieux, laissant s'échapper quelques fantômes qui, comme Reaven, irait perpétuer sa tristesse sur le monde. Mais qui s'en souviendrait à par eux ? Qui en serait blessé ? Hanté ?
La seule chose qui faisait de la peine à la sentinelle, c'était que son ami doive être tourmenté aujourd'hui encore par une erreur qui n'aurait plus jamais de conséquence pour personne.
« Parce que tu l'as fait exprès ? » Murmura-t-il alors, sur un ton à mi-chemin entre la douceur et son habituelle dérision.
Beaucoup auraient pu s'offusquer de cette apparente légèreté, ou de cette apparente tentative pour dédramatiser ce qui était effectivement un drame. Mais ce n'était ni l'un ni l'autre : juste un moyen de signaler, d'une part, que cette révélation n'avait pas tant d'impact que cela une fois sorti de la tête du guérisseur. De l'autre que non, il aurait beau le croire toute sa vie, dans l'absolu, ce n'était pas plus sa faute que celle des hommes. Quoi qu'on puisse dire d'eux, ceux-ci étaient trop puissants. Trop nombreux, trop rapides, mortellement armés. Une fois qu'il les avait aux trousses, un loup ne pouvait rien faire contre eux ; seulement courir ou mourir.
Le seul malheur du jeune Reaven avait été de ne pas aller mourir seul dans son coin.
« 'aurait fallu qu'ils soient sacrément chiants pour que tu veuilles leur mort à tous. Non, un truc pareil ça pourrait arriver à n'importe lequel d'entre nous. N'importe quand. »Zwey secoua la tête et se releva. Reaven avait été le vecteur malchanceux. L'élément déclencheur. Il pouvait se le reprocher toute sa vie et se laisser mourir de désespoir, ou décider que sa propre vie avait plus de valeur que des fantômes. Au final, c'était bel et bien à lui de décider.
« Mais on a besoin de toi ici Rea'. » il était extrêmement rare que Zwey appelle le guérisseur par ce diminutif, tout comme il était rare que ce soit Reaven en position de faiblesse par rapport à lui.
« Ema', Mystborn ont besoin de toi. » J'ai besoin de toi. « C'est nous ta meute maintenant, tu sais. C'est pour ça qu'on est allés te chercher. »Le jeune loup s'arrêta un instant. C'était difficile pour lui, d'aller à l'encontre de son cynisme et de son pessimisme naturel. Mais au fond, voir Reaven en détresse lui faisait peur, parce qu'il ne pouvait pas imaginer son environnement sans sa présence tranquille.
Sa queue battit contre ses postérieurs.
« Je peux pas te forcer à aller de l'avant. Ou t'aider. T'as encore des choses à vivre. Des choses bien. Parce que tu es quelqu'un de bien. Mais y a que toi qui peut aller les chercher. »Un moment, Zwey fixa un regard noisette sur l'horizon que Reaven ne lâchait pas des yeux, se demandant ce qu'il pouvait bien y voir.
Puis il s'étira et conclut, mal à l'aise :
« Bref. J'ai trop parlé. J'ai faim maintenant. »- Spoiler:
Désolée du retard, mille fois ^^"