Jauge:

À la traîne derrière, j'avais réussi à suivre le groupe de Sekmet, avec à sa tête une inconnue qui leur servait sans doûtes de guide à travers ce front. Je venais tout juste de retrouver leurs traces, abandonnant à quelques kilomètres d'ici et c'est avec une certaine joie, mêlée d'appréhension, que je m'étais mis à les suivre d'un trottinement souple. Autour de moi se dessina bientôt un champ où l'odeur de la mort et du métal chaud dominait. Des barbelés s'immiscèrent dans mes longs poils, me piquant les cuisses. Je réussis à m'en échapper sans difficultés. La présence d'artilleries légères et lourdes ne m'échappèrent pas plus que la présence des cadavres qui jonchaient le sol noir. Les épais nuages sombres qui occupait le ciel en aurait fait trésaillir plus d'un, surtout en présence d'un pareil décor. La guerre semblait faire rage et on pouvait distinguer quelques éclats lointains, mais aucun son n'arriva jusqu'à nous.

Je reproduis chaque saut que ma meute avait exécuté avant moi, avec une certaine aisance. Les plus gros étaient certes plus dificiles à faire, mais j'arrivai à les réussir tout de même. Je réussis à distinguer lentement l'ombre de mes alliés et j'agrandis légèrement mes foulées, les rendant plus rapides et économiques. Je devais absolument parvenir à les rejoindre sans risques. Je lançai des regards autour de moi, essayant d'éviter d'attirer les regards curieux des hommes. Une certaine agitation se fit sentir au coeur du campement, comme si les bipèdes avaient repérés une menace. Quelques secondes après, je sentis le sol vibré sous moi et d'énormes appareils apparuent dans le ciel. Ça ne présageait rien de bon. La troupe accéléra, créant à nouveau une distance entre eux et moi.

Tout d'un coup, des bruits sourds retentissèrent, m'assourdissant à moitié. Des bombes. Elles éclatèrent ici et là, tout autour du front. Je finis par me mettre à courir le plus vite que je puisse, le courage gonflant mes veines. Je devais survivre et aider les miens. Je les fixais du regard et, sans aucun avertissement, un obus tomba au coeur du groupe. L'explosion m'aveugla quelques secondes, m'empêchant de progresser. Une fois ma vision retrouvé, je repris ma course et arriva enfin auprès d'eux. Certains semblaient être touchés plus ou moins partiellement. Sauf une louve. La même que j'avais vu en tête lorsque je les avais repéré. Sans réfléchir, je me précipitai vers elle avec l'espoir qu'elle survive.

Arrivé à sa hauteur, je remarquai qu'elle ne pouvait plus bouger. Elle semblait attendre le courroux céleste. Elle n'avait plus très jeune et paraissait sage. Je plongeai ma truffe près de son corps et me mit à souffler d'un air froid sur son pelage cendré. Je savais que je ne lui étais d'aucun recours, mais je voulais au moins lui manifester un peu d'intérêt. Mes yeux tombèrent dans le creux des siens puis, durant un instant, je ne quittai plus son regard. Elle dégageait un sentiment d'épuisement, de fatigue. Doucement, la lueur au fond de ses prunelles s'éteignit et je posai mon museau sur elle, témoignant un profond sentiment de reconnaissance. La grise avait menée les miens jusque-là et avait donné sa vie pour leur survie. Notre survie.