Dans les cieux gris mélancoliques, toutes saveurs étaient rompues. Les brises glissaient telles des méandres tristes charriant leurs plaies, leurs larmes. La mort moussait, la mort bavait. Sur les surfaces sombres des profondeurs, elle faisait mine de s'endormir, guettant le fou assoiffé qui viendrait laper son breuvage mortel. Plus de reflets, plus de miroir, simplement l'abysse assoupis, piège dont il fallait se méfier.

Empress quitta la mare des yeux. Rien de bon de macérait plus entre ses racines agonisante. Le minuscule point d'eau avait été abandonné de toute vie, et tout ce qui ne pouvait l'en échapper mourait doucement sous l'oeil désabusé des astres.

Empress soupira. La louve était encore épuisée physiquement. Son corps dont la maigreur frôlait l'indécence, tremblait très légèrement sous l'effet de la fatigue. Son pelage si fourni autrefois avait lui aussi fané comme la fleur au début de l'hiver. Ses couleurs avaient ternies. La captivité. L'âge. La vie. Tout n'était pas fini. Pas encore. Pas temps qu'elle tiendrait encore sur ses quatre pattes. Dès à présent, seul l'avenir comptait.

Sur ces terres, le moindre état de faiblesse pouvait amorcer le début d'une fin inévitable. Il lui fallait réunir ses forces, se soigner, se reposer, comme lui conseillerait n'importe quel guérisseur, mais la louve maudissait cette absence d'activité. Elle avait donc quittée l'épave pour parcourir ses terres, les terres de sa meute. Elle constata tristement que les derniers évènements avaient été relativement dur. C'était à ne plus reconnaître les paysages. La clairière fumante n'était plus qu'un amas de boue brulant à l'agonie. La forêt avait partiellement disparue en un cimetière décharné d'arbres mort sous l'assaut de bombes. Devaient-ils rester ici ? Persévérer sur des terres où ils n'étaient visiblement pas la bienvenue.

Empress fit quelques pas parmi les ruines des bois. Marcher lui faisait du bien. Après avoir été inactive aussi longtemps, elle ressentait le besoin de faire bouger ses muscles. Cela lui permettait aussi de réfléchir sans se morfondre au font de l'épave.

Quel était leur avenir ? L'avenir des loups ? Que pouvaient-il espérer pour demain ? À bien y penser, les choses pourraient être pire ailleurs. Ou bien meilleurs...

Empress détourna une oreille. On venait de se manifester près d'elle. Intérieurement, elle s'en voulu de n'être parvenu à le repérer plus en amont. Autrefois, elle guettait tout ce qui pouvait la surprendre. Trop distraite, trop pensive, trop faible, elle s'était laissé surprendre. Elle n'en afficha cependant aucun signe. Comme toujours, la louve affichait un visage dur, n'y partageant aucun sentiment. Un masque de fer, figé dans une expression de force, de puissance qui lui avait valu son charisme de même que feu sa soeur. Le temps n'était cependant plus au passé, c'était vers l'avenir et le présent qu'il lui fallait se tourner. Sa soeur n'était plus, elle n'était plus qu'une ombre dans l'existence, ne vivant plus qu'au travers des carcasses de ce qu'avait été la Horde.

La louve se tourna vers le chasseur. Connaissant tous les membres de sa meute, malgré l'isolation des derniers évènement, elle reconnaissait Hige. Loup brun, plutôt imposant, et faisant parti des chasseurs les plus habiles de ses rangs.

– Bonjour Chasseur Hige. Après être resté aussi longtemps isolée par la Horde, un peu de compagnie n'est pas pour me déplaire.

Il avait en tout cas, meilleure allure que son alpha. Murmure d'Agonie avait la chance de bénéficier de la fidélité des siens, même encore aujourd'hui après le passage désastreux de la Horde et des Hommes. Qui suivrait une louve qui peine à courir sans finir assaillie par la fatigue. Non, son poste d'alpha était encore fragile, il ne tenait que grâce à Torka, et du rôle qu'il avait joué dans l'affrontement contre Skull. Mais si Empress devait se montrer sur ses gardes en tant qu'alpha, elle devait aussi reconnaître que sa meute avait fait preuve pour la plupart, d'une fidélité irréprochable à son égard.

– Non, je n'ai besoin de rien. Je voulais uniquement faire le tour du territoire, voir un peu son état…

Son regard se posa sur les arbres déchirés à l'écorces noircies. Cela n'avait rien à voir avec un quelconque amour de la nature, mais la végétation, c'était elle qui attirait les proies. Qu'est-ce qu'un territoire de chasse s'il n'y a plus rien à chasser ? Empress aurait aimé humer mieux l'air, trouver des pistes, mais elle avait noté que son odorat s'était grandement affaiblie alors qu'elle gisait blessée et malade aux fond des grottes.

– Je n'ai pas trouvé beaucoup de pistes depuis que je suis ici… Toi qui est chasseur, cette terre est-elle encore propice aux chasses ?

Qu'était-il possible de faire ? Que pouvaient faire les loups pour s'opposer aux mousses blanches, au poison qui se logeait au creux des points d'eau. Impuissants. Tous étaient impuissants. Les paroles d'Hile coulaient sous le sens et résonnèrent avec dureté dans l'esprit de la louve. Au fond d'elle, ne savait-elle pas la situation ? Il était inutile de se mentir. Étouffant un soupir, l'alpha approcha une des branche noircies d'un tronc effondré, y posa une patte pour l'écraser de son poids. Le bois de brisa rapidement, laissant un liserait charbonneux sur ses pattes.

– Je comprend oui… Il faut trouver une solution pour cette eau…

Elle se retourna et posa son regard dur sur le chasseur. Ce n'était pas dans ses habitudes de témoigner de la tendresse envers autrui, même ses proches et ses enfants.

– Les chasseurs devront redoubler de vigilance, les hommes sont visiblement très à cran. Je n'aimerais pas à déplorer des victimes de leurs fusils. Ils gardent l'eau pour eux, ces chiens…

Comme toujours, son esprit étaient en ébullition. Les hommes étaient dangereux, mais devaient-ils encore subir leur égoïsme. N'y avait-il pas un moyen d'accéder à leur étang en trompant leur vigilance ? Peut-être y avait-il une idée à creuser, lancer des espions dans la région...