life in grey

N’étais-ce pas dans la forêt qu’il avait le plus de chances de trouver de la nourriture ? Une petite voix le lui avait soufflé, en tout cas. Il n’avait pas envie de retourner dans les tunnels infestés de rats, sa dernière visite avait failli lui être fatale et ces boyaux sombres ne lui inspiraient plus la moindre confiance, bien qu’il y ait passé l’entièreté des premiers mois de sa vie.
Il errait donc, dans cette forêt glauque qui puait la moisissure tout de même, la truffe sensible à chaque effluve qui aurait été susceptible de l’intéresser et, à postériori, de le nourrir. Les odeurs se mêlaient, quantités de senteurs éparses et tellement variées… Le louveteau ne savait plus où donner de la tête, et décida d’ignorer toutes ces défiances olfactives qui le harcelaient, pour ne se fier qu’à son instinct. Il suivait donc un sentier imaginaire, se laissant porter par ses envies, sans réellement suivre de piste et remettant sa cause entre les mains hasardeuses de la chance.

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Le louveteau eut une moue dégoûtée lorsque ses petites pattes se prirent dans une toile d’araignée énorme et gluante. Il se dégagea sans peine, ravageant des heures probables de travail de cet insecte méticuleux. Qu’importe, la chance semblait décidée à lui sourire, ce jour-là puisqu’il tomba presque aussitôt sur les traces encore toutes fraiches de ce qui semblait être un lapin de garenne. Le louveteau s’élança sur cette piste, bien décidé à en tuer son auteur. Il mit un certain temps à débusquer l’animal, qui était passé dans une flaque, ce qui avait dérouté le jeune loup dans sa traque. Mais il avait fini par le retrouver, là-bas, calfeutré entre deux buissons de houx aux épines acérées. Il ne semblait pas l’avoir repéré. Parfait. C’était à présent l’heure de mettre en œuvre ce que… personne ne lui avait appris, tout compte fait. Le jeune loup se mit en position de chasse, les oreilles pointées vers sa proie. Il n’avait aucune idée de comment attraper cette bestiole, il savait simplement comment la mettre à mort. Il partait donc en chasse, totalement démuni. Quelle bêtise, pourquoi s’était-il obstiné à ne pas demander des entraînements de chasse à Ebène ? Il s’était montré stupide et prétentieux, voilà tout.
Mais pour l’heure, il était confronté à ce lièvre qui se tenait non loin de lui et il fallait qu’il l’attrape. C’était bien beau, de se faire nourrir par son père, mais il faudrait bien qu’il sache subvenir à ses propres besoins ! Le louveteau arma ses crocs et banda ses muscles, avant de s’élancer vers le lapin. Ce dernier détala presque aussitôt, le bruit qu’avait produit Pandémonium l’avait aussitôt alerté. Le jeune loup fut surpris de la vélocité du rongeur, mais il n’abandonna pas la course pour autant. Il galopait en trombe derrière sa proie qui zigzaguait rapidement entre les arbres aux troncs noueux. Pandémonium évita de justesse une branche basse qui aurait pu le faucher en pleine course, et la distance entre lui et sa proie se creusait, à son plus grand désespoir. Ce ne fut que lorsque le petit animal plongea dans un terrier providentiel que le louveteau abandonna la course.

Chasse:

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Pandémonium peina quelques minutes à reprendre son souffle, épuisé par cette course-poursuite entre les sapins. Il s’étira une seconde et passa sa langue sur ses babines que la course avait asséchées. Il allait s’esquiver des lieux de son échec, mais un mouvement dans les buissons attira son attention. Un éclair roux venait de fuser non loin de lui. Le cœur du petit loup se mit à battre un peu plus vite dans sa poitrine. De quel animal pouvait-il bien s’agir ? Un sentiment de curiosité mêlé de peur étreignit sa poitrine et fit dresser ses poils sur sa courte échine. Autre mouvement, mais dans le sens opposé cette fois. Le louveteau change de position, se plaçant face au bruit. Qui est donc cet observateur mystérieux qui ne daigne pas se montrer ? Un grognement s’échappe de la gorge du louveteau, et de sa voix fluette qui se veut assurée, il tonne :
« Montre-toi !! »
Seul un second mouvement, à nouveau derrière lui, lui répondit. Mais cette fois, le louveteau n’a pas le temps de se retourner qu’il se fait renverser par ce même éclair roux et roule à plusieurs mètres. Une douleur se fait alors immédiatement ressentir dans son épaule. Il regarde avec surprise le sang s’écouler de deux petits trous circulaires. Ses yeux se reportent sur son agresseur. Devant lui, se tient fièrement un renard au pelage presque rouge tant il est roux. Le louveteau a déjà goûté du renard, dérobé à un autre loup au cours d’une partie de chasse. Sa viande a plutôt bon goût, et jamais il n’aurait pensé devenir la proie de ce dernier. Il semblait maigre et affaibli, mais ses yeux brillaient encore d’une flamme vivace et agressive. Ses crocs pointus étaient dévoilés sur un filet de bave qui pendouillait misérablement le long de sa langue rouge.
Pandémonium se redresse, oubliant toute peur. Il est entièrement contrôlé par son instinct, qui lui souffle de tuer. Son poil se hérisse, le rendant plus gros et plus impressionnant. Il se remémore les enseignements d’Ebène et de Tybalt. Ne jamais le quitter des yeux. Ruser, feinter, tourner, ne jamais le laisser en paix jusqu’à la victoire. Le jeune loup fonce donc sur son agresseur, déviant un peu sur la gauche. Comme prévu, le renard bondit sur la droite et c’est alors que dans une glissade, Pandémonium passe sous son ventre et en saisit la chair molle, lui arrachant un glapissement. Ne jamais lâcher prise. Le renard gigote en tous sens, mais le louveteau tient bon et raffermit sa prise. Le sang coule dans sa gorge. Le renard se tord tant et si bien qu’à force de se contorsionner, il finit par mordre le jeune loup en pleine croupe et celui-ci gémit, et lâche sa prise. Il s’écarte rapidement du renard qui lui saute dessus pour le plaquer au sol. Mais Pandémonium se rappelle aussitôt de l’attaque de Tybalt, et se laisse rouler sur le dos, puis pare son agresseur en le repoussant de ses pattes postérieures. Le renard tombe à la renverse et Pandémonium en profite pour sauter à sa gorge. Le renard se débat violemment, et ses coups de pattes entaillent le front, les oreilles, les joues du louveteau qui tient bon malgré la douleur. Au bout de ce qui lui a semblé être une éternité, le renard s’épuise, faiblit et finit par ne plus bouger. Le louveteau est comme figé, il ne bouge plus et ses mâchoires restent obstinément serrées sur la gorge de celui qui est passé de son adversaire à sa proie.

Chasse:

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Le louveteau se redresse, les pattes encore molles et tremblotantes du stress et de l’excitation éprouvées au cours de cet affrontement. Il regarde le cadavre du renard qui git au sol, non sans fierté : cet animal fait au moins sa taille, si ce n’est plus et lui, fils du Dragon, vient de l’abattre d’un coup de crocs ! Son père serait si fier de lui s’il voyait ça… La petite queue du louveteau bat l’air en cadence, mais il ne tarde pas à descendre de son petit nuage. Les petits trous qu’ont faits les crocs du renard dans sa chair suintent de sang qui coagule lentement sous sa fourrure. Le louveteau lèche nerveusement ses plaies.
Il est assis là, dans l’herbe ensanglantée, lorsqu’un bruit dans les fourrés attire son attention et le stoppe net dans ses soins autonomes. Il n’a pas rêvé, il y a bien un petit animal qui l’épie, dans le buisson juste en face. Deux yeux brillants le fixent. Le louveteau se lève et son poil se hérisse à nouveau. Il émet un grognement menaçant. Approche, si tu l’oses ! semblent glapir ses yeux jaunes. Et l’animal répond à son appel, fusant hors de sa cachette, vif comme l’éclair, bondissant sur le cadavre du renard afin d’y prélever un morceau de viande fraîche. Pandémonium reconnaît là l’audace et la vivacité d’une belette. Il grogne encore plus fort, mais rien ne la dissuade : elle est maigre et famélique, elle doit être affamée, au bord du désespoir qui lui fait faire la pire des folies. Elle a déjà avalé une bouchée que Pandémonium a bondi vers elle. Et elle, plutôt que de fuir, feule de toute la force de ses petits crocs pointus. Le jeune loup les voit luire, et leur contact doit être sacrément désagréable. Il gronde encore et toujours, et tente de la saisir par la peau du cou, pour l’ôter à sa pitance comme une sangsue que l’on ôterait à une veine. Mais, prompte et agile, elle se faufile entre ses crocs, se coule entre ses pattes qui tentent de l’intercepter. Elle galope, tournoie, virevolte autour de la proie de Pandémonium qui ne sait déjà plus où donner de la tête. Elle lui donne le tournis et il ne sait comment arrêter sa cadence infernale. Enfin, par chance, il parvient à l’intercepter d’un coup de patte. Elle roule sur le ventre du renard et le louveteau parvient à se saisir d’une de ses pattes, juste avant qu’elle n’ait le temps de fuir à nouveau. Elle émet un gémissement, se retourne et avec un couinement rageur, écorche son museau juvénile d’un coup de griffe auquel elle prend le soin d’ajouter un coup de dents. Comme prévu, ses crocs sont particulièrement douloureux et le jeune loup lâche prise en glapissant de douleur et de rage. Lorsqu’elle s’enfuit, il la poursuit tout de même sur plusieurs mètres avec des grondements vengeurs.

Chasse:

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Sa langue passait nerveusement dans une sorte de réflexe continu et instinctif sur son museau où perlaient des gouttes de sang. Cette garce ne l’avait pas raté… La colère animait encore son petit cœur qui battait toujours plus vite que la moyenne. Se calmer, il fallait se calmer. Il retourna sur ses pas, et alla s’étendre sous un buisson, à l’ombre. Ses yeux fixaient le cadavre du renard avec une attention soutenue, sans ciller. Mais ses paupières se fermaient imperceptiblement, en même temps que ses pupilles le picotaient de plus en plus. Il ne tarda pas à somnoler à l’ombre du feuillage, se laissant rêvasser.
Ce fut un bruit d’os qui craque qui le réveille brutalement. Ses yeux s’ouvrent soudain. Il discerne des contours d’abord flous, puis de plus en plus nets pour enfin voir, dans la lumière blafarde de la forêt, la fameuse belette qui est revenue à la charge sur le corps inerte de sa proie. Tout d’abord muet de stupeur, le louveteau sent le flux de haine se répandre instantanément dans tous ses membres et tout son cerveau. Un grondement puissant monte du fond de ses entrailles, un grondement presque adulte, menaçant comme il n’en a jamais ressenti de plus fort.
« Je vais te tuer ! »
Sa voix vibre sous l’effet de la colère et lorsqu’il se lève, ses yeux luisent de rage. Il n’a jamais éprouvé telle colère. La belette, non contente de l’avoir humilié et volé, revient lui assener le contrecoup de sa défaite et tente de lui usurper son seul trophée ! Cette seule idée rend le louveteau ivre de haine. La belette lève ses petits yeux rieurs vers lui. Quelque chose a changé dans le comportement du louveteau, elle le sent bien aux accents agressifs de ses grondements, mais elle se sait rapide : elle ne craint rien. Elle continue de se repaître de cette occasion inespérée, et reste sourde aux grondements menaçants. Le louveteau s’approche à pas comptés, puis fond sur elle, la gueule grande ouverte. Elle l’esquive sans peine. Pandémonium la fixe de longues minutes, faisant mine de charger chaque fois qu’elle tente de s’approcher à nouveau de son butin. Elle décrit des cercles autour de lui et du cadavre de renard, tentant de temps à autre d’accéder à l’objet de sa convoitise. Elle fait même l’affront de feuler ouvertement au nez de Pandémonium, qui lui répond par un grondement. Elle tente une nouvelle avancée, et le louveteau parvient à la faucher en plein élan. Surpris d’y être parvenu, il perd quelques précieuses secondes durant lesquelles la belette tente de s’enfuir. Mais, brusquement, elle perd l’équilibre et tombe : la patte arrière que le louveteau a précédemment attaquée lui a soudain fait défaut. Elle tourne la tête vers le jeune loup qui fonce droit sur elle : plus de lueur rieuse dans ses yeux paniqués. Secrets du Dragon est à présent confiant et il se jette sur elle, la mâchoire grande ouverte. Elle n’a pas le temps de mordre, qu’elle a déjà la tête broyée par les coups de crocs qui pleuvent sur ses yeux, sa gueule, son crâne. Tout explose, le sang coule et rien ne semble pouvoir arrêter Pandémonium dans sa folie meurtrière qui le pousse à mordre, mordre, toujours mordre et faire éclater tout ce qui passe sous ses crocs. La bestiole est déjà morte depuis longtemps, mais il s’acharne toujours à la dépecer, la mutiler et l’ouvrir en tous endroits. Ses yeux semblent rire. Je t’avais prévenue, semblent-ils dire. Lorsque le louveteau s’arrête enfin, le corps de la belette est méconnaissable. Il enfonce alors son museau rougi dans les chairs torturées, et mange sur-le-champ le fruit de sa chasse.

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Le louveteau était revenu sur ses pas pour chasser à nouveau. C’était un sport qui lui plaisait beaucoup. Il sentait comme une nouvelle vague de puissance l’envahir chaque fois qu’il se lançait dans une traque. La forêt était pleine de promesses, et Pandémonium s’y aventurait nonchalamment, certain de pouvoir se remplir l’estomac.
Il ne tarde pas à tomber inopinément sur un trou de souris. Il en renifle l’entrée avec intérêt, et l’odeur lui semble encore assez fraîche. Un couinement de satisfaction lui échappe et il commence à creuser frénétiquement le terrier pour en déloger ses habitants. Des mouvements paniqués à l’intérieur le persuadent de continuer sa besogne avec toujours plus d’acharnement. Il sent bien qu’il touche au but, la terre vole et quelques souris couinent à l’intérieur. Lorsqu’enfin, il passe son museau dans la cavité, c’est la surprise ! Dans une panique générale, une dizaine de souris fusent hors du trou comme un seul animal tout entier, dans une cohésion parfaite. Les mâchoires de Pandémonium claquent une fois, deux fois, des dizaines de fois dans une cacophonie de couinements apeurés. Mais elles ne se referment que sur du vide. Le louveteau ne sait plus où donner de la tête. Il poursuit un rongeur, lorsqu’un autre lui coupe la route et il dévie de sa trajectoire, poursuivant celui-ci plutôt que celui-là, galopant derrière l’un pour tenter d’acculer l’autre. Il ne sait plus lequel attraper, ni comment se retrouver dans ce troupeau de bestioles qui grouillent de toutes parts et qui finissent, irrévocablement, par disparaître dans toutes les cachettes avoisinantes. Pandémonium s’arrête, le souffle court.