another day to train

Si le jeune loup à la parure grisâtre avait jeté son dévolu sur Ebène pour l’entraîner, il n’avait pas oublié pour autant la requête qu’il avait formulée envers Tybalt. Mange-Lumière était un excellent combattant et, de plus, un élément clé de la Horde et un grand ami de son père. Tous ces éléments faisaient du loup gris un excellent mentor pour le jeune Pandémonium. Il ne l’avait pas oublié. Ces deux entraîneurs simultanés ne pouvaient être que bénéfiques pour son apprentissage. Pourquoi diable n’y avait-il pas songé plus tôt ?
Pandémonium sonde le terrain d’un œil averti. Le Styx coulait toujours, paisible et égal à lui-même. Cependant, cette fois-ci, le louveteau sait parfaitement que ses eaux sombres n’ont rien de paisible. Il a bien failli y passer, la dernière fois. Il s’écarte donc de la berge avec méfiance. L’eau lui imprime à présent un sentiment de méfiance exacerbée. Le soleil jette à peine quelques rayons blafards sur le sol défiguré par le passage des Hommes, à travers les nuages qui le camouflent.
L’air est encore frais, la matinée vient à peine de commencer. Les yeux jaunes de Secrets du Dragon fouillent les alentours. Où se trouve donc Tybalt ? Il ne devrait pourtant pas être difficile à repérer… Ah, précisément. Le loup brun vient d’apparaître dans le champ de vision du louveteau. Il ne l’a pas encore vu, cependant. Le jeune loup s’interroge : de quelle nature est-il préférable d’être avec cet adulte-ci ? Comme à son habitude, Pandémonium décide d’opter pour la niaiserie, c’est ce qui marche encore le mieux dans le monde étrange des grandes personnes.
Il s’élance donc, galopant sur la terre jusqu’à son entraîneur. Et de son sourire le plus crétin possible, il le salue.
« Bonjour, Tybalt ! »

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« Bon, je suppose que ton autre mentor t'as déjà appris pas mal de choses. Aujourd'hui nous allons travailler tes techniques de combat. Je tiens à évaluer ton niveau. Attaques moi, et n'hésites pas à y aller fort.»
Pas mal de choses… Pandémonium se remémore son dernier entraînement avec Ebène, riche en apprentissage. Oui, c’est vrai, il a beaucoup appris. Il regarde Tybalt droit dans les yeux, se demandant encore comment il peut « y aller fort » avec un animal aussi gros et aussi puissant. C’est vrai, Mange-Lumière l’impressionne fortement. Sa carrure est impressionnante, et son épaisse fourrure le rend plus gros encore. Ses yeux ambrés sont d’une froideur sans égale : le louveteau sent bien que cet énergumène a dû semer la mort et la terreur plus d’une fois. Va-t-il réellement se battre contre ce monstre ? Lui, si chétif et si petit ?
Mais le jeune loup ne se laisse pas démonter. Il faut cesser de réfléchir pour oublier la crainte. Il se met donc en position de combat. Il a prit le temps de jauger son adversaire et ne le quitte pas un instant des yeux, comme Ebène le lui a appris. N’oublie pas, un seul moment d’inattention et tu es mort. Mort, Pandémonium. Comment va-t-il s’y prendre pour attaquer Tybalt ? Ce dernier semble être comme une épaisse muraille, invulnérable.
Pandémonium hésite trop, il faut se lancer. Il se lance donc, à l’assaut de cette conquête démesurée. Il fait mine de charger son mentor de front, avant de se laisser tomber à ses pieds, glissant entre ses pattes antérieures au dernier moment. D’une torsion de reins, il se redresse promptement sous lui, attrapant entre ses petits crocs le ventre mou de Mange-Lumière. Mais, sans doute par crainte des représailles, il lâche prise rapidement.

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Le louveteau se faufile habilement sous l’épaisse fourrure du grand loup brun, esquivant sa roulade qui manque de l’écraser de peu. Chacun se redresse de son côté, et le jeune loup attend quelques instants les conseils et réprimandes qui ne tardent pas à se faire entendre.
« Très bonne techniques Pandémonium! N'hésite pas à t'accrocher. Sache que lorsque tu tiens un loup entre tes mâchoires il ne faut jamais lâcher ou ça peut être la mort. D'ailleurs sache une chose. Quand tu t'apprêtes à mordre une personne, ou quand tu l'attaques ne grogne jamais, il saura où tu attaqueras. Essaye à nouveau. »
Le jeune loup entend à peine les compliments de Mange-Lumière, seuls ses conseils restent ancrés dans sa tête. Il aura tout le temps de se jeter des fleurs plus tard. Ne grogne jamais. Avait-il grogné ? Probablement, il ne s’en souvenait même pas, cela avait dû être un malencontreux réflexe. Se concentrer. Ne pas grogner. Ne pas le quitter des yeux. Recommencer.
Mais le génie et l’expérience du jeune loup commencent à s’épuiser, il ne sait pas comment attaquer ce loup qui lui semble toujours aussi monstrueux. Il l’examine de la tête aux pieds, cherchant des points faibles. Il ne semble en avoir aucun, ce qui perd encore un peu plus le louveteau dans sa réflexion. Il n’aime pas attaquer sans avoir réfléchi au préalable mais ici, il n’a plus le choix. Il fonce tête baissée, sans trop évaluer son point de chute. Mais plutôt que d’utiliser la même glissade que précédemment, il se contente de dévier sa trajectoire au dernier instant, frôlant le poitrail du loup brun, et l’attaquant sur le flanc droit. Ses petits crocs se referment sur la chair, et il tient bon, sans toutefois serrer trop fort, de peur de faire mal à son mentor. Il est bien décidé à rester fixé sur cette peau, et à ne rien lâcher.

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Le silence prend place au milieu de la joute qui oppose mentor et apprenti. L'attaque du louveteau semble surprendre Tybalt, mais ce dernier ne perd pas ses moyens pour autant : Pandémonium sent les mâchoires puissantes se refermer avec une étonnante délicatesse sur la peau de sa nuque, pour le faire lâcher prise. Le jeune loup tente de ne pas se laisser démonter, et il va tenter un nouvel assaut quand Mange-Lumière lui inflige une cruelle déception : d'un coup de patte précis et adroit, il le balaye et Secrets du Dragon se trouve à nouveau au sol, sans avoir eu le temps de faire quoi que ce soit. Son mentor est déjà haut-dessus de lui, et le jeune loup peut sentir son haleine chaude sur sa truffe humide. Le louveteau se débat sous l'emprise du loup brun, mais rien n'y fait: la prise du grand loup est ferme et sans appel. Pandémonium fixe alors les yeux ambrés de Tybalt, le regard interrogateur. Il sait parfaitement que dans cette situation-ci, il est mort. Mais Pandémonium est un inconditionnel de l'espoir, il y a toujours un espoir de s'en tirer, ou de retourner la situation à son avantage. Alors, ouvertement et sans complexe, il questionne son maître d'école.
« Dans ce cas là, je fais comment pour survivre? »

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Le jeune loup écouta avec attention les paroles pleines d'enseignement de son mentor. Les mots se répercutaient dans son crâne, et Pandémonium voulait les y graver à jamais. Ne jamais cesser de se débattre. Déstabiliser l'adversaire. Le feinter, ruser, s'en tirer. Le louveteau écoute, et apprend. Mais toutes ces techniques ne lui sont pas très utiles, puisqu'à présent, Tybalt s'attend à ce qu'il exécute ce qu'il vient de lui enseigner. Les méninges du louveteau carburent à toute vitesse.
Une idée traverse enfin son esprit et, sans attendre, il la met en œuvre : il pousse sur le poitrail de Tybalt de toutes ses forces de ses pattes postérieures. Cela ne fait pas bouger le grand loup, bien trop fort et bien trop lourd, mais cela pousse Pandémonium un peu hors de sa portée. D'un coup de reins, il se dégage rapidement de l'emprise de son mentor en assenant un coup de croc sur une de ses pattes, pour qu'il puisse se libérer.
Une bonne chose de faite ! Le louveteau regarde son mentor avec la flamme de la fierté qui danse au fond de ses yeux. Il a réussi.

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« Tu utilises ton cerveau. Cela est rare de nos jours et c’est bien, continues comme ça. » Le petit cœur du louveteau gonfle sous la fierté et le plaisir que lui procure le compliment. Il aime satisfaire ses mentors, et si Tybalt est content de lui, alors tout est parfait. Un léger sourire illumine ses traits, qu’il tente de réfréner pour ne pas perdre son sérieux et sa crédibilité. Allons, on venait de le complimenter, il n’allait pas tout gâcher avec des réactions immatures !
A nouveau, ses oreilles frémirent quand la voix du grand loup parvint à ses tympans. « Sais-tu comment avoir l’avantage sur un ennemi plus fort que toi ou plus grand ? » Le jeune loup, plein de curiosité, regarda Mange-Lumière avec de grands yeux intéressés. C’était là tout ce qu’il aurait aimé apprendre, la consécration d’un entraînement rude : mettre en déroute un ennemi qui aurait été plus puissant que lui-même. N’étais-ce pas le Graal que chaque être vivant recherchait ? Terrasser plus fort que soi, cela ouvrait un champ de possibles inimaginable ! Une sensation d’hyperpuissance envahissait peu à peu le louveteau. Si Tybalt lui donnait la recette miracle, il ne craindrait plus personne et demeurerait invaincu ! Quelle utopie parfaite…
Trêve de rêveries ! Le louveteau, vivement intéressé, répondit du tac au tac.
« Non, mais j'ai très envie de savoir ! »

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La longue litanie du grand loup brun fixe comme un temps mort dans la conversation : Pandémonium est suspendu à ses lèvres avec passion et émerveillement. Chaque conseil, chaque remarque, chaque idée, il souhaite la graver dans son crâne pour ne rien oublier. Ce sont là les clés de la survie que Tybalt lui livre, et il se doit de les conserver précieusement. Connaître son ennemi, c'était une des choses les plus importantes qui ne lui aient été jamais enseignées, à son souvenir. Pandémonium sentait au fond de lui qu'il était capable de devenir un grand guerrier, le meilleur guerrier que cette terre ait jamais portée. Il surpasserait les autres loups, il surpasserait Tybalt et même surpasserait-il peut-être le tout puissant et vénéré Isha, son père. Cette idée lui procura un frisson de plaisir. Ce serait tellement beau, tellement gratifiant...
Mais si les méninges du jeune loup travaillaient à toute vitesse, il n'en restait pas pour le moins impassible et stoïque. Laisser son succès faire le bruit qu'il aurait pu faire en se vantant inutilement, voilà quelle était la clé de sa réussite. Il suffisait d'être patient. Patient, et bon. Et par bon, cela sous-entendait évidemment être le meilleur.
Mange-Lumière termina son discours riche en informations, et Pandémonium eut quelques secondes d'absence, durant lesquelles son regard resta stupidement rivé sur son mentor, avec un air totalement crétin. Le louveteau sourit enfin, semblant reprendre ses moyens.
« Je n'oublierai jamais ces conseils, Tybalt! Je suis sûr qu'ils me seront utiles, en chaque instant de ma vie. »
Le louveteau hésita quelques secondes. Il avait toujours grand peine à féliciter, remercier ou admettre que quelqu'un avait été bon. Il avait beaucoup de mal à se délivrer aux autres et il dût fournir un effort considérable pour murmurer ce dernier petit mot à l'intention de son mentor.
« ...Merci.. »

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« Ne me remercie pas c'est normal d'éduquer un loup avec autant de talent comme toi, je suis heureux de t'avoir en apprenti. » Le ton du loup brun était encore très froid, mais le louveteau était encore trop jeune, et préféra ignorer l'allure des paroles, pour ne conserver que le souvenir de leur sens. Autant de talent, voilà ce que Mange-Lumière avait dit. On lui reconnaissait un certain talent, et la poitrine du jeune loup se gonfla de fierté. Cette journée avait grandement agrandi son capital d'expérience et son égo avait doublé de volume dans le même temps. Le louveteau ne pouvait plus se départir de son petit sourire niais et supérieur. Ce soir, il s'endormirait heureux et apaisé. Il avait déjà l'impression de faire partie du monde des adultes, à présent. Conservant toujours son expression joviale, Pandémonium gratifia Tybalt d'un nouveau grand sourire.
Mais il sentait bien que l'heure n'était plus aux beaux et grands discours, il le salua donc d'un signe de tête humble et respectueux. Ce loup-là, le louveteau savait qu'au plus longtemps il l'aurait dans ses amis, plus longtemps il resterait en vie. Surtout, ne jamais se faire en Tybalt un ennemi. Puis, sans autre forme de procès, il esquissa un bond leste sur le côté et s'esquiva rapidement, trottant fièrement.

END. ♥