dé de chasse : 4 - 4 = 0

Bientôt, j'atteins quelque chose qui semble me permettre de me surélever. Je grimpe les premières marches, lentement, à l'écoute des sons qui partent de l'étage et qui trahiraient la présence d'un intrus, d'un quelconque potentiel danger. Rien. Alors mes pattes accélèrent la cadence, et je court tranquillement jusqu'en haut, regardant disparaître la tanière que je viens de fouiller de fond en comble. Là-haut, c'est le même capharnaüm. Des tables renversées, des chaises brisées et même, là dans le coin, une flaque d'eau stagnante semblant s'être échappé de cet objet cubique et grisâtre, autrefois probablement blanc. Je m'approche, trouve de la viande faisandée. Je grogne mon dégoût, hors de question que je touche à cette chose. Je m'éloigne, escalade les meubles pour avoir une vue d'ensemble. Et, par pure pulsion de louveteau, je me mets à jouer les équilibristes sur les objets de toutes tailles et de toutes formes, installés là ou abandonnés dans toutes les positions imaginables. Lorsque je tombe, je me rattrape parfois à l'aide de mes pattes, m'écrasant les muscles pour me redresser, et parfois à coups de crocs dans les meubles en bois, m'arrachant presque les dents en tirant comme un forcené pour porter mon propre poids jusqu'à une plateforme plus stable. Le jeu est amusant, mais lorsque je cesse, mes muscles sont endoloris. La nuit est longue, et après la journée d'hier, j'avoue sentir la fatigue arriver plus vite cette fois. Je continue ainsi ce petit manège entraînant, jusqu'à m'écraser lourdement contre une paroi invisible, alors que je voulais passer d'une tanière à l'autre. Je fixe la plaque, je ne vois rien si ce n'est des traces. Je m'approche, renifle, ne comprends pas, repars.

dé de chasse : 10 - 4 = 6

Et puis, alors que je redescends tranquillement pour repartir d'où je suis venu, une odeur âcre me vrille les narines et met tous mes sens en éveil. Un bruit d'objet métallique qui tombe m'interpelle, je tourne vivement la tête dans la direction du bruit. Je ne suis plus seul. J'observe la pénombre avec appréhension, parce que cette odeur, je la connais. Et ce n'est ni un lapin, ni un chevreuil. Je descends lentement, espérant passer à côté sans me faire repérer. Mais, tellement concentré sur la localisation de l'individu, je marche sur un objet, glisse et tombe dans un fracas assourdissant. Je me redresse immédiatement, le coeur affolé, et je fixe la pénombre, là où la bête faisait du bruit un instant plus tôt. Plus rien. Partie ? Non, ce serait trop beau ...

Je vole brutalement en avant, me ramasse lourdement et me redresse aussitôt. Je me retourne pour faire face à mon ennemi, qui gronde férocement et me montre ses dents, puissantes, tranchantes, meurtrières. Je gronde à mon tour, hérisse mon poil. Mais aie-je une chance de le vaincre ? Ce carcajou pèse au moins quinze kilos, et je doute qu'il soit aussi aimable qu'un louveteau du même gabarit. Ses griffes acérées me menacent par leur seule existence, et je déglutis péniblement. Mais je n'ai pas le temps de réfléchir, il repart à l'attaque. S'ensuit alors une danse mortelle entre lui et moi. Mes crocs claquent, mes cordes vocales vibrent de ma peur et des grognements associés. Mes pattes agissent comme si elles étaient dotées de leur propre volonté, assénant à mon ennemi des coups brutaux, mais je gagne de belles griffures et des morsures des plus douloureuses. Ma peau craque sous ses crocs, la sienne est à peine atteinte par mes dents pourtant tout aussi dangereuses. Le problème, c'est que je n'ai jamais gagné contre un carcajou, et que je doute d'en être davantage capable cette nuit. Alors je lance mes crocs et mes pattes comme des armes, mais je m'efforce tout autant de fuir aussi vite que possible, me rapprochant petit à petit de la porte à mesure que nos corps s'emmêlent furieusement et se relâchent. Lorsque j'atteins enfin la brèche par laquelle je suis entré, je pars en courant et je ne regarde surtout pas en arrière.

dé de chasse : 3 - 4 = - 1

Je cours de longues minutes, l'instinct de survie poussant mes pattes à aller bien plus loin qu'elles n'en sont physiquement capables. Mes incisives claquent nerveusement les unes sur les autres, je suis affolé. Un carcajou ... Bon sang, j'avais combien de chances d'en croiser un ? Je souffle tout l'air de mes poumons à quelques dizaines de kilomètres de la ville en ruine, lorsque je suis certain de l'avoir semé. Il a dû trouver de la nourriture là-dedans, et il n'aura pas eu envie de la partager avec un loup ... Mes poumons vidés, j'inspire profondément pour les remplir à nouveau. Je réitère le mouvement plusieurs fois, le temps de calmer les battements de mon coeur et de faire cesser le sent qui vrille mes tempes. Et puis, je repars en trottant. Surtout, ne pas se laisser avoir par l'accalmie. Rentrer au plus vite, ne pas traîner dans les parages. Les arbres se succèdent, les territoires aussi, mais je dois rentrer au plus vite. Si mes pattes tremblent et menacent de me lâcher, je ne les écoute pas. Je ne peux pas me laisser abattre ici, en territoire potentiellement hostile, alors que ma meute m'attend quelque part. Ou du moins, quelqu'un dans ma meute, m'attend. Je me concentre sur ma mère. Si mes muscles sont douloureux, si mes dents me font mal, si mes articulations me brûlent, je les ignore. Je pense à ma mère et seulement à ma mère. A cette promesse que je me suis faite, de ne plus jamais l'abandonner. Quoi qu'il m'en coûte, je veux retrouver Foudre Sinistre ce soir, et personne ne pourra m'empêcher de rentrer chez moi. Je souffle, mes poumons me brûlent, mais je continue de courir sur bien des kilomètres. Je rentrerais.

dé de chasse : 6 - 4 = 2

Peut-être que je pourrais faire une pause ... Oui, c'est ça, faire une pause. Je me trouve une tanière abandonnée depuis des lustres, sur les terres neutres. Je m'abandonne au sommeil en son sein, mais d'un sommeil agité, rêvant d'intrusions et d'attaques surprises. Je me réveille en sursaut, et déjà les lueurs de l'aube éclairent l'intérieur de la tanière. Je n'esquisse pas le moindre mouvement, j'écoute les sons au dehors, et je me permets une légère toilette lorsque je suis persuadé d'être seul. Je souffle, humidifie le sang séché sur mon pelage pour l'en nettoyer, puis je me lève et marche douloureusement jusqu'à l'extérieur. Je suis encore à une demi-journée de marche de mon camp, et j'ai peur de ne pas être à la hauteur. J'inspire un grand coup, je prends mon courage à deux pattes, et je m'apprête à reprendre ma route. Mais avant, effacer mes traces, faire disparaître les preuves de mon passage, rendre invisible ma propre piste. Je m'attèle à la tâche à coups de crocs puissants dans de lourdes branches. Feuillues, je les tire derrière moi jusqu'à l'entrée de la tanière, la recouvre. Je passe plusieurs minutes à m'acharner sur une branche plus petite pour la démembrer de son arbres et la passer dans l'antre, avant de mélanger la terre et le sang. Plus aucune odeur ne doit être identifiable si je veux protéger ma vie jusqu'à mon retour chez les miens. Lorsque je ressors de là, je suis éreinté, à bout de forces. Pourtant je recommence mon manège, je déplace des branches plus lourdes les unes que les autres, mettant mes mâchoires à rude épreuve. Je cache le passage de l'antre, effaçant son existence et espérant que son ancien habitant ne soit pas un traqueur. Et, enfin, je reprends mon chemin clopin-clopant, priant pour arriver entier au camp Sekmet.

dé de chasse : 10 - 4 = 6

Je traverse en boitant la forêt aux pendus, je longe un fleuve d'une eau sombre et trouble, et je passe devant le cimetière sans m'émouvoir. Je pense toujours à ma mère, qui m'a cherché si longtemps et qui me cherchera encore si longtemps si je venais à ne pas rentrer à la tanière ce soir ... Je ne cherche plus à être discret, seulement à revenir en un seul morceau. Je ne traque plus aucune piste, plus aucun effluve. J'aimerais juste ne pas perdre un bout en route. Et, brusquement, un énorme lièvre s'extirpe d'un buisson sans m'avoir visiblement remarqué. L'appel de la faim est le plus fort et, malgré l'épuisement, je pars en trombe à la poursuite du délicieux lagomorphe. Sa course ne se fait pas attendre, et je lui colle au train. L'adrénaline me pousse à le suivre, diminue la douleur dans mes membres et excite mes sens. Lorsqu'il vire brutalement à gauche, je dérape et le suit. Lorsqu'il file sur la droite, je glisse et bondit à sa suite. Mes crocs claquent à plusieurs reprises, tout près de son postérieur juteux, mais il parvient chaque fois à me filer entre les dents. Je grogne de frustration et je le course encore sur plusieurs centaines de mètres, jusqu'à ce que l'endurance de mes ancêtres soit arrivée à ses limites, et que mon souffle décide de me refuser son aide plus longtemps. Alors, je freine, essoufflé, la langue pendante, et je regarde l'animal fuir à toutes pattes. Désorienté par ma course folle, il me faut de longues minutes avant de me repérer dans l'espace, de retrouver le chemin de la maison. Mais, je suis un loup. Et par chance, le lapin m'a guidé plus vite jusqu'à l'épave de l'avion, notre garde-manger. Je passe devant mes comparses sans leur porter un regard, et je file discrètement à la tanière familiale pour demander les premiers soins à ma mère. Et surtout, en fait, pour dormir.