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Dans ces moments de silence, rien ne compte hormis ma propre entité. Plus rien n'existe en dehors de moi, et plus rien ne compte. Ce n'est que dans ces rares moments de solitude que je me permets à penser à moi, au lieu de tout miser sur la réussite et la subsistance de ma meute à laquelle je suis farouchement lié et pour laquelle je donnerais ma vie sans aucune hésitation.

...

Naaan j'déconne ! Bien sûr que je bosse pour ma meute, mais n'allez pas croire que je donnerais ma vie pour eux. Est-ce qu'ils ont risqué la leur pour moi ? Non, alors moi, maintenant que j'ai survécu à tant d'aventures, je compte bien prendre soin de moi et seulement de moi. Si pour ça je dois suivre les ordres d'une Alpha et chasser pour nourrir autant ma famille que ma meute, soit. Mais je ne suis là que parce que j'ai besoin des Sekmets. Je n'ai pas l'ambition de monter en grade et encore moins celle de gagner la confiance de mes supérieurs. Je ne désire que progresser, envers et contre tout. Un jour, peut-être, serais-je capable de me débrouiller complètement seul. Et si ce jour arrive, alors je quitterais les miens sans aucun regret, sans un regard en arrière.

- Isildür !

Mon prénom me sort brutalement de mes pensées abstraites. Qui ose m'appeler ainsi ? Avec autant d'arrogance dans la voix ? Je me redresse vivement, intrigué par cette présence qui m'interpelle. Je n'ai pas d'amis, je n'ai pas cherché à m'en faire. Alors pourquoi quelqu'un souhaitait-il me voir ? Spécialement moi, d'ailleurs ? Je fixe le bout de loup qui vient de débarquer, et son assurance me fait plisser le regard, suspicieux d'un quelconque coup fourré. Ce mioche, j'l'ai jamais vu. Et en plus, il ne sent pas l'odeur caractéristique de ma meute. Alors comment peut-il me connaître, et pourquoi me cherche-t-il ? Je me tourne complètement pour lui faire face, et je m'avance vers lui d'un pas tranquille, le toisant du regard. Et finalement, tout près de lui, j'affiche mon éternel sourire narquois.

- J'suis célèbre au point qu'un externe me connaisse ? Oh joie !

Puis je fixe mes yeux d'émeraude aux siens, tout aussi banals que lui l'est dans son entièreté.

- Trêve de bavardages, tu veux quoi ?

Encore à demi planqué derrière les fourrés, je devine sa silhouette fine, ses pattes courtaudes et son poil duveteux. J'imagine aisément le louveteau sans avoir besoin de le voir totalement. Il cherche, me guette, m'analyse. Qu'est-ce qu'il peut me vouloir ? Là, immobile, il ne semble pas de ces petits qui rechercheraient un mentor ou un grand frère, et encore moins un compagnon de jeu. Déjà parce que je n'suis pas connu pour mon tempérament joueur même si j'adore m'éclater, et ensuite parce qu'il n'affiche pas ce regard niais et vitreux qu'ont les louveteaux de son âge. Je le fixe avec force, pas convaincu d'être vraiment face à un loup dangereux, mais plutôt devant un agneau prétentieux. Et puis, il sort enfin de sa planque. Il s'approche, et j'ai le loisir de détailler chacun des muscles qui roulent sous sa peau. Il est fort, pour un gabarit si insignifiant. Je me rends compte que, peut-être, nous pourrions être du même niveau. Moi, grand et faible ; lui, petit et fort. Je ne laisse pourtant paraître aucun doute dans mon regard d'émeraude, et j'attends qu'il arrive près de moi et daigne enfin me faire part de la raison qui l'a poussé à me rencontrer.

- Je viens t'affronter.

Je secoue légèrement la tête, comme pour faire sortir la poussière de mes oreilles. Je ne le quitte pas des yeux et je réitère le mouvement une seconde fois. Je dois avoir mal entendu. Ou il plaisante, et d'un instant à l'autre il va se marrer et me demander de jouer avec lui. Pas d'hésitation dans sa voix, pas de tremblements le long de son petit corps trapu. Alors il est sérieux ? Il souhaite se battre ?

- Tu en as eu assez de vivre ? Si jeune, c'est triste.

Je plisse les yeux, je le fixe, le défi du regard. Qu'il approche, un peu plus, et qu'il me montre un peu de quoi il est capable, le morpion. Je bande mes muscles, doucement, attendant son attaque avec sérénité. Il n'est rien. Rien qu'un louveteau inoffensif.

Ca y est, l'heure est venue. Et ce petit animal inoffensif sera non seulement une proie, mais aussi un nouveau jeu pour progresser. J'ai toujours dis qu'il n'y a rien de mieux qu'un véritable combat pour surpasser ses limites. Je suis prêt, les sens aux aguets, les muscles bandés, et je n'attends que lui pour commencer à danser. Mes babines se retroussent légèrement sur mes crocs meurtriers, et s'étirent plutôt en un sourire carnassier. Il ne lui reste que peu de temps, maintenant, avant que je ne lance l'assaut. Mais, il se décide. Il fond sur moi, tous crocs dehors, prêt à m'arracher la jugulaire. Je vois dans son regard qu'il n'est pas là pour s'amuser. Il a quelque chose à prouver. Et je suis certain que quoi qu'il advienne, ma vie n'est pas terminée. Je tends lentement la tête en avant, prêt à recevoir la sienne entre mes crocs pour le couper dans son élan, mais il glisse vivement en-dessous de mes mâchoires, entre mes pattes. Je n'ai pas le temps de réagir, ses crocs pointus de louveteau se plantent dans la peau tendre et fine de mon abdomen. Je gronde, tant de surprise que de douleur. Dans un réflexe, avant qu'il ne puisse s'en tirer à bon compte, je plonge mes crocs sous moi et j'attrape vigoureusement le muscle de sa gorge pour tirer de toutes mes forces, l'arrachant à sa prise comme je retirerais une tique. Je le balance dans la poussière et je lui fais face, mais rien qu'un instant parce que celui d'après, je bondis à sa rencontre pour lui lacérer les flancs à coups de griffes. Grondant de colère parce que je me suis bêtement fait avoir par un stratagème de loupiot, j'enfonce mes dents avides dans son épaule et le mélange ma salive à son pelage poussiéreux.