random meeting ?

Le monde était si vaste. Il semblait de plus en plus grand chaque matin. Chaque fois qu’il se levait, Pandémonium réfléchissait sur quel lieu il pourrait bien poser ses petites pattes. Et chaque fois, il partait à l’aventure sans savoir où il irait. Il était déjà tard dans la matinée lorsque le louveteau s’aventura sur le territoire Esobek. Il avait déjà fait un tour sur le territoire Sekmet et il voulait voir à quoi ressemblait celui de l’autre meute. Tout était nouveau, tout respirait une odeur différente. C’était comme si, à chaque pas, le jeune loup redécouvrait le monde. Il se découvrait peu à peu une âme téméraire qui le poussait à accomplir sans cesse de nouvelles choses, parfois plus risquées les unes que les autres. Mais il n’avait plus peur. La peur l’avait quitté dès l’instant où Esprit du Dragon l’avait retrouvé. Tout avait changé, depuis. Tout, entièrement. A présent, il savait que sa vie avait un but et il s’y accrochait de toutes ses forces.
Ses pas étaient toutefois prudents, sur cette terre qu’il ne connaissait pas. Le bruit de feuilles froissées rythmait chacun de ses pas, à son plus grand dam. Il ne supportait pas de ne pas parvenir à être discret. Il était trop jeune, mais il voulait apprendre. Il avait soif d’apprendre, il avait soif de grandir et de devenir quelqu’un d’imposant, d’important. Il avait une grande destinée, il le savait. Mais pour l’heure, seul le bruit d’une respiration bien trop bruyante lui parvenait. Le louveteau s’arrêta brutalement, inquiet. Ses poils se hérissèrent lentement sur sa courte échine et ses petits crocs se dévoilèrent quand ses babines remontèrent le long de sa mâchoire. Il fit quelques pas jusqu’à la respiration inconnue, avant de bondir dans le buisson d’où provenait le bruit, fonçant tête baissée. Il saisit entre ses petites dents une fourrure inconnue, et l’odeur de l’autre louveteau emplit soudain sa gueule et son museau tout entier. Les deux jeunes loups roulèrent sur le tapis forestier quelques instants entremêlés, et Pandémonium finit par lâcher prise pour se relever promptement. Il fit volte-face, dans un grognement enfantin. Mais rien de tout ceci n’était enfantin. Il était le maître de ces lieux, et de ces terres toutes entières. Qui était cet inconnu qui l’espionnait ?
« Qui es-tu, inconnu?! Pourquoi m'espionnais-tu?! »
Aboya-t-il d'une voix autoritaire. Sa fourrure était toujours hérissée vers le ciel, et il dévisageait ce louveteau qui semblait bien plus jeune que lui. Il était encore très petit, et Pandémonium se sentait supérieur à lui. Il avait trop peu d'occasions de dominer qui que ce soit pour laisser passer une si belle occasion. Les yeux du jeune loup croisèrent les siens, et il remarqua à quel point ils étaient troublants. D'un bleu profond, qui vous transperce et vous marque au plus profond de vous. Le louveteau n'avait jamais vu pareille couleur.

random meeting ?

L’autre louveteau semblait vouloir faire profil bas face à Pandémonium, qui le toisait avec mépris. Ne doit-on pas reconnaître à l’enfance un certain besoin de dominer à tout prix ? Le fils du Dragon avait enfin trouvé quelqu’un de plus petit que lui, qu’il pouvait soumettre et avec lequel il pouvait jouer à sa guise.
« - Ze... Z't'ezpionnais pas d'abord! Z'ai cru qu'il y avait un loup bien grand alors ze suis parti me cacher, c'est tout m-mais... C'est moins pire que ce que ze pensais!» Parti se cacher, par peur d’un loup bien grand... Pandémonium fut vexé par ces paroles du jeune loup. N’était-il pas suffisamment imposant pour lui imposer le respect et la peur ? Au final, le louveteau était à peine effrayé par sa présence, et il semblait simuler une certaine soumission. Rien de bien concret, dans le fond. Un léger grondement monta des profondeurs de la gorge du jeune loup vexé, mais il le réprima juste avant qu’il ne s’échappe dans l’air. Il venait de réfléchir quelques instants à son comportement, et il ne s’agissait pas là d’un comportement digne d’un fils du Dragon. Il s’assit face à son congénère, le détaillant avec plus d’attention. Il s’efforça de donner une image de lui-même détendue et tranquille, mais il était en réalité toujours aussi crispé et désireux de s’affirmer. Il fallait réfréner ces envies, calmer ce sentiment qui le hantait désormais.
« - Ze ne suis pas là pour déranzer, zuste pour me balader. Ze ne suis ni un Esobek, ni un Sekmet, zuste un Solitaire. Ze m'appelle Ersatz, et si ici c'est s'ez toi, ze partirais. » Cette curieuse façon qu’il avait de remplacer certaines consonnes irritait passablement Pandémonium. N’avait-on donc jamais appris à ce jeune loup à parler convenablement ? Allait-il avoir un cheveu sur la langue toute sa vie ? Ca allait s’annoncer très compromettant s’il voulait être pris au sérieux, un jour ou l’autre. Mais sa fragilité apparence, et ses tremblement convulsionnés, adoucirent Pandémonium en même temps qu’ils flattèrent son égo. Il n’éprouvait aucune sympathie pour ce jeune louveteau en déroute, bien qu’il s’agisse d’un solitaire tout comme lui.
« Dans ce cas, je t'épargne. Je suis moi aussi un solitaire, donc tout va bien. Rien ne nous empêche de rester ici. »
Il regarda quelques secondes ce louveteau livre à lui-même. Ressemblait-il à cela, il y a quelques mois de ça? Le louveteau aux prunelles bleues connaîtrait les mêmes galères, les mêmes déroutes, les mêmes illusions. Mais Pandémonium se sentait à présent au-dessus de tout ça. Il avait retrouvé son père, avait découvert un modèle et une raison d’exister. A présent, il ne s’estimait plus seul. Et cette idée le contraignait à se sentir supérieur à ce jeune Ersatz. Pandémonium se sentit obligé de se rattraper, pour signaler qu'il n'aurait bientôt plus rien à voir avec ces solitaires sans but, qui s'affaiblissaient de jour en jour. Signaler que sur le plan théorique, ils étaient semblables, mais qu'ils demeuraient très différents.
« Mais j'ai un père, je ne suis pas tout seul. Je suppose que tes parents sont morts, ou qu'ils t'ont abandonné, si tu es solitaire? »
Un autre désagrément de l'enfance : les propos directs, non détournés, qui peuvent être blessants. Mais Pandémonium, malgré son jeune âge, n'en avait déjà rien à balancer des émotions d'autrui. Tout, hormis sa petite personne, lui était indifférent.

random meeting ?

« N-Non! Après tout tu es solitaire sans n'avoir de parents morts toi!
Mon père est un dragon, ma mère est une s'imère. Penses-tu que ce sont des bêtes qui peuvent mourir si facilement? Han... Ze t'accorde un point tout de même : Ze n'ai jamais vu mon père, ou du moins ze ne m'en rappelle pas.»
Une décharge électrique parcourut la colonne vertébrale de Pandémonium. Mon père est un dragon. Voilà la seule chose qu’il avait entendue dans tout ce ramassis de zozotements enfantins. Ces quelques mots sonnaient encore dans sa tête comme une longue musique monotone et infernale. Pour qui ce jeune animal se prenait-il ? Pandémonium était le seul louveteau ici capable de se vanter d’être le fils du Dragon. Sa fourrure se hérissa légèrement. Soit cet enfant était totalement stupide, jusqu’au point de s’inventer des parents fictifs et de se croire le digne descendant de créatures magiques, soit il sous-entendait par là qu’il était le fils du Dragon qui régnait sur ces terres chaotiques. C’était impossible. Isha lui aurait-il caché l’existence d’un enfant supplémentaire ? Pandémonium savait qu’il avait de nombreux frères et sœur, mais il ignorait tout de l’existence de celui-ci.
Non, décidément c’était impossible. Il ne s’agissait là que d’un petit immature sans vergogne qui se permettait de se payer ouvertement sa tête. Néanmoins, la curiosité le poussa à questionner le louveteau inconnu.
« Ton père est un dragon ? Intéressant… Tu sais que les dragons n’existent pas, au moins ? »
Il n’avait pas pu s’empêcher d’y insérer une remarque moqueuse et rabaissante. C’était là sa nature, il ne pouvait pas poser des questions ouvertement. Tout lui semblait plus simple par tâtonnements. Plutôt crever que de laisser croire à ce louveteau qu’il lui portait un quelconque intérêt.
Le jeune loup entendit vaguement un bruit de fond de parole de l’autre solitaire, et peina à l’écouter, tout absorbé qu’il était dans ses pensées. Il ne perçut que la fin de ces mots, qui semblaient lui demander son nom.
« Moi c’est Pandémonium. Et toi? »