Zwey avait quitté le camp à toute vitesse. Il avait littéralement, brutalement, planté Callian sur place pour disparaître derrière une colline, et ce de façon totalement préméditée.
Cependant, malgré ce départ sur les chapeaux de roues, le louveteau n'avait pas mis longtemps à le rattraper et à présent, alors que Zwey ralentissait légèrement l'allure pour la rendre au moins accessible à ses petites pattes, il le talonnait avec régularité. Malgré cela, pas une fois le loup brun et roux ne s'était retourné depuis son départ du camp. Raison numéro une, parce qu'il devait évacuer un peu de mauvaise humeur avant toute chose.

Zwey n'était pas le champion de l'assiduité. Il faisait ce qu'on lui demandait, quand on lui demandait, et il le faisait bien. Rarement plus rarement moins. En outre, il n'aimait pas les responsabilité : cela lui pesait, faisait traîner des inquiétudes bien inutiles derrière lui, à son avis. C'est pourquoi, quand Yroen lui avait assigné un apprenti un beau matin, sa première réaction avait été de grogner sa mauvaise volonté.
Avant de se mettre au garde-à-vous, bien évidemment.
Donc la sentinelle n'était pas particulièrement emballée, en premier lieu, par le fait de devoir apprendre son boulot à un louveteau au lieu d'aller chasser. Mais après quelques minutes passées à courir, son humeur s'était améliorée, et il commençait même à réfléchir avec intérêt à la manière dont il pourrait tourner cet entrainement. Son départ précipité, entre autres, en était le résultat : il n'avait réellement cherché à semer Callian, en vérité. Mais il voulait voir ce que le petit avait dans le ventre.
C'est qu'il ne le connaissait pas du tout, n'allant pas souvent traîner du côté de la nursery - n'ayant, à vrai dire, aucune raison de le faire. Donc pour savoir ce qu'il y avait à améliorer chez le jeune loup, il fallait déjà qu'il se rende compte de quoi il était capable.
Zwey entra dans le bosquet à allure modérée, puis accéléra de nouveau la cadence : à priori, malgré sa petite taille, le louveteau devrait pouvoir soutenir l'allure s'il puisait un peu dans ses ressources. A voir s'il allait fournir l'effort de lui-même, après.

Zwey se souvenait de son entrainement comme d'une véritable corvée, pour sa part. C'est qu'il n'avait jamais été un élève très appliqué. Mais au final, son mentor avait réussi à faire quelque chose de lui, et pour ce faire il n'y était pas allé de main morte. Le loup brun tenait de lui : s'il devait apprendre quelque chose à quelqu'un, il se montrerait exigeant, voire impitoyable. Parce que leur rôle de sentinelle l'exigeait. Mais heureusement pour Callian, il n'était pas un monstre non plus.

Les deux canidés parvinrent enfin à l'orée du bois carbonisé, où Zwey ralentit l'allure, puis s'arrêta. Il se retourna enfin vers le jeune loup et le considéra avec intérêt, oreilles pointées en avant, estimant son degré d'essoufflement.

« Callian c'est ça ? Tu commences pas trop mal. Mais j'irai jamais moins vite que ça. » Parce qu'il n'avait pas l'intention de le ménager. C'est en courant qu'il prendrait de la vitesse. Zwey sourit. « Une sentinelle, ça court tout le temps. Suis-moi. »

Le loup à la fourrure multicolore trotta tranquillement jusqu'à la frontière de leur territoire, ligne invisible tracée par de multiples marquages odorants. Il y avait là l'odeur de la meute partout, sur les troncs calcinés des arbres, les pierres, les débris, jusqu'à même le sol. Zwey s'approcha d'une souche et encouragea Callian à le rejoindre d'un signe de tête.

« Tu sens ça ? C'est la frontière entre nos terres et celles des Sekmets. Notre principale zone de surveillance. »

Sans sourciller, le loup brun franchit la barrière invisible et alla s'asseoir à quelque mètres de là, en territoire ennemi. Ses oreilles se dressèrent imperceptiblement et son regard balaya les environs pour s'assurer qu'aucun autre canidé n'était présent, tandis qu'il engageait à nouveau Callian à le rejoindre.

« Tu es déjà sorti du camp ? »