Si les marais l’avaient rebuté au premier abord, le loup brun y avait déroulé d’excellentes chasses, et il s’était donc – à nouveau – aventuré en leur sein. La perspective de patauger une fois de plus dans cette eau saumâtre et repoussante ne le répugnait plus autant qu’au début, et c’est avec indifférence qu’il laissa son pelage s’humidifier lentement. Il tomba rapidement (bien plus rapidement qu’il ne l’espérait, d’ailleurs) sur la trace connue d’un canard, espèce qui abondait dans ces lieux marécageux. Le loup brun se lança à sa recherche, truffe au vent, certain de réussir son coup. Il n’avait pas encore manqué une seule proie, sur ce terrain de chasse-ci, et comptait bien poursuivre sa lancée.
Palladium ne tarda pas à trouver ce qu’il cherchait. Le canard flottait à la surface de l’eau, dans une quiétude qui sembla étrange au loup brun. Comment une proie telle que celle-ci pouvait-elle bien s’accorder une trêve, une petite heure de sommeil là où lui-même ne pouvait pas dormir ? Cela lui paraissait inconcevable et imprudent. Mais l’absurdité de la scène le choqua tant et si bien, qu’il s’élança un peu trop tôt, galopant un peu trop à découvert. Il ne lui restait qu’une dizaine de mètres à parcourir quand le canard déploya ses ailes et s’envola d’une traite. Le loup, ne perdant pas espoir, se ramassa sur lui-même et bondit vers le ciel, tous crocs dehors. Ses mâchoires claquèrent dans le vide et il retomba sur le flanc dans la boue vaseuse qui l’attendait au sol.

Chasse:

Le loup se redressa le plus dignement qu’il pût. Après tout, ce ne serait pas la première fois qu’il manquait une proie aussi bêtement, sur une simple erreur de jugement et de précipitation. Il se détourna du lieu de son échec pour se mettre en quête d’autre chose à se mettre sous la dent.
Il errait depuis une bonne heure déjà, sans qu’aucune forme de vie ne soit venue se jeter entre ses crocs avides. Palladium refusait de croire que sa chance avait tourné, et qu’il ne trouverait rien de comestible aujourd’hui. Il allait dégoter de quoi nourrir sa meute. Et cette idée fixe ne le quitta plus, jusqu’à l’instant où il tomba sur l’élan. Le loup brun avait déjà croisé ce genre d’animal, et ne s’était jamais aventuré à chasser une telle bête sans l’aide d’un ou plusieurs camarades. Il observa quelques instants l’énorme cervidé, persuadé qu’il ne parviendrait jamais à terrasser un tel animal. Il pouvait déjà s’estimer heureux puisqu’il s’agissait d’une femelle, dénuée de bois. Il avait tout de même peur, puisqu’elle faisait au moins trois fois sa taille. Mais il avisa bientôt que l’élan se trouvait en fâcheuse posture. De sa patte arrière gauche suintait abondamment un épais flot de sang, qui sortait d’un impact parfaitement rond : une balle. En se rapprochant discrètement entre les joncs, le loup brun pu entendre la respiration sifflante du cervidé souffrant. La balle (sans mauvais jeu de mots) était dans le camp du prédateur, qui n’hésita plus.
Palladium s’avança jusqu’à l’animal par derrière et saisit cette patte sanguinolente entre ses mâchoires, serrant de toutes ses forces. Il lâcha prise juste à temps pour esquiver un coup de sabot, et l’élan se retourna lentement vers lui. Ses grands yeux noirs pleins de souffrance se remplir de peur et de rage et elle fit un pas vers lui, comme si elle voulait le charger, mais les crocs du loup s’étaient enfoncés au bon endroit, et elle trébucha sur sa patte arrière. Le Pantin lança un nouvel assaut, se saisissant cette fois de la deuxième patte arrière. Il tira de toutes ses forces en arrière, pour faire trébucher sa proie qui ne pouvait esquisser le moindre mouvement : son membre sain était coincé dans la gueule du loup, et il ne lui restait que le malade pour prendre appui. Subissant la douleur, elle se força à se retourner vers son agresseur dans un grognement, le forçant à lâcher prise. Mais le loup était vif, et à peine parvenait-elle à le déloger de sa croupe, qu’il mordait ses flancs, son ventre, ses cuisses. Des plaies commençaient à s’ouvrir partout sur le corps de l’élan, sous les crocs chirurgiens et habiles du loup brun. Emporté par l’excitation, ce dernier se ramassa et bondit même sur le dos de sa victime, enfonçant ses crocs dans son encolure. L’élan riposta immédiatement d’une ruade, qui fit tomber le loup sur le sol. Il esquiva de justesse les sabots qui allaient s’écraser sur son crâne, d’une roulade. Il fallait se montrer plus prudent : la partie n’était pas gagnée.
Ce manège de torture dura plusieurs heures : le loup tournoyant autour de l’élan impuissant et lui infligeant toujours plus de dégâts. Palladium finit par crier victoire, lorsque l’élan, épuisé, tomba couché sur le sol. Le loup tenta de l’attaquer de front, mais la femelle était encore assez vigoureuse pour le repousser et protéger sa gorge. Le loup brun s’attaqua donc à nouveau à son arrière-train, lui arrachant des frissons de souffrance. Enfin, n’en pouvant plus, ne sachant que faire et sa patience touchant à son terme, il l’éventra rapidement, avant qu’elle ne puisse tourner la tête. Ses entrailles se répandirent sur le sol, et l’élan lâcha un brame étrange, avant que sa tête ne heurte violemment le sol.

Chasse:

Palladium s’allongea quelques instants à côté de sa nouvelle prise, non sans fierté. Le travail était fait sans aucune propreté – et ça, le loup brun le regrettait – mais il était fait. Il avait tué un élan. Des heures et des heures d’acharnement pour parvenir à ce but. Combien de fois, au cours de sa chasse, s’était-il demandé si ça valait réellement le coup ? Et maintenant qu’il voyait cette énorme bête couchée à côté de lui, l’œil vitreux et les entrailles à l’air, il savait que oui, ça valait le coup. Il se sentait bien, terriblement bien. Il se roula dans l’herbe quelques secondes, comme si cette action allait le laver de l’odeur tenace des boyaux qui s’étaient répandus sur lui.

Chasse:

Il s’était écoulé une bonne semaine avant qu’il ne retourne chasser dans ce marais où il avait terrassé cet élan. Le Pantin avait estimé que cela ne valait pas la peine de retourner chasser de sitôt, étant donné l’énorme proie qu’il avait su ramener à l’épave de l’avion. Il avait donc laissé passer un peu de temps, mais l’appel instinctif de la chasse avait résonné une fois de plus en lui, le tirant inexorablement vers les marais, une fois de plus.
Le loup brun s’était accroupi à côté d’un petit lac qui semblait plutôt propre, pour boire quelques instants à sa surface mouvante. Il buvait tranquillement, quand une nuée d’oiseaux passa en trombe au-dessus de lui. Intrigué, il leva les yeux pour voir les derniers retardataires se poser non loin de leurs camarades, derrière des joncs à quelques mètres de là. Le loup n’attendit pas une seconde et il bondit parmi les buissons, se mettant instantanément en position de traque. Il s’agissait d’une dizaine de canards. Le loup ne savait pas trop comment s’y prendre, cette fois-ci, pour attraper un de ces oiseaux. Ils étaient beaucoup trop, et cela le perturbait. Il s’élança donc, peu sûr de lui, à travers la volée de canards. Ces derniers, le voyant arriver en furie, lancèrent des cris d’alertes et s’envolèrent à tire-d’aile. Le loup brun bondit sur l’un d’eux et, manquant son coup, se retourna pour bondir sur un autre. Ses mâchoires claquèrent dans le vide à quatre reprises, sonnant comme la musique de son échec.

Chasse:

Le loup brun allait abandonner la partie quand, soudain, il aperçut un canard qui peinait à décoller et qui se dirigeait, sautant par intervalles de trois ou quatre mètres, vers le lac. Palladium se rua à sa poursuite, le volatile semblait avoir une aile qui lui faisait défaut. La distance à couvrir était longue, et le canard se hâtait du mieux qu’il pouvait pour échapper au loup qu’il sentait derrière lui. Palladium se rapprochait inexorablement de sa proie, mais il ne l’atteignit pas avant qu’elle ne saute dans le lac. Le canard se mit à nager à toute vitesse sur la surface lisse de l’eau sombre, et le loup brun sauta à sa suite dans ce petit lac, nageant derrière lui de toute sa force. Ses pattes donnaient de violents coups dans l’eau froide, tentant de le propulser plus vite que le canard. Mais ce dernier était un habitué des milieux aquatiques, et il nageait bien plus vite. Palladium n’abandonna la partie que lorsque le volatile plongea soudain, pour ne pas reparaître.

Chasse:

Le loup brun remonta à la surface, la gueule vide. Il regagna la rive en nageant vivement, battant des pattes à toute vitesse. Pris dans l'adrénaline de la chasse, il ne s'était pas aperçu que l'eau était glaciale et à présent, il était pris de frissons incontrôlables. Palladium sortit donc rapidement de l'eau et s'ébroua avec vigueur, pour débarrasser son épaisse fourrure du maximum d'eau qu'il pouvait. Un ultime frisson parcouru sa colonne vertébrale et il grommela dans sa barbe. Quelle idée de s'aventurer de façon aussi irréfléchie dans cette eau gelée? Il avait été stupide et avait fait preuve d'impulsivité et de bêtise. Cette idée le répugnait au plus haut point.

Chasse:

Soudain, le Pantin sursauta violemment. Un coup de feu venait de retentir dans l’air calme, faisant écho pendant plusieurs secondes. Les prunelles du loup roulèrent dans leurs orbites et son cœur s’accéléra brutalement. Ce genre de coup de feu n’était passé que trop près de lui la dernière fois pour qu’il n’ait pas peur. Il se terra immédiatement dans les roseaux qui se trouvaient non loin de là. Peu après, deux Hommes passèrent devant lui en courant, arme en main, sans faire attention à lui. Ils n’avaient pas de chien. Le loup brun se demanda ce que cette espèce pouvait bien foutre dans les marécages déserts.
Ce questionnement prit immédiatement fin quand il prit un pari fou. Il s’élança hors de sa cachette, suivant les Hommes à une distance respectueuse. Ces bipèdes devaient bien être à la poursuite de quelque chose d’intéressant, et peut-être que cet objet susciterai également l’intérêt du prédateur. Au bout de plusieurs minutes, le loup dépassa les Hommes en les contournant soigneusement, avant de s’élancer dans les marais, parcourant plus rapidement la distance que les bipèdes. Et en effet, il ne tarda pas à trouver la piste ensanglantée qu’il recherchait. Les Hommes avaient blessé quelque chose par balle, et il s’agissait de découvrir de quoi il s’agissait avant qu’ils n’arrivent. Palladium se remit en route au pas de course, forçant l’allure jusqu’à trouver ce qu’il cherchait : à une centaine de mètres, un sanglier peinait à avancer au milieu des joncs.
Le loup brun n’avait pas de temps à perdre, et il se rua sur la bête blessée. Dans un grognement de désespoir, le sanglier repoussa la première offensive du loup. Mais le Pantin, fébrile, ne pouvait se permettre d’attendre. Les Hommes arriveraient tôt ou tard. Il força le porc à se faufiler plus en profondeur dans les joncs, à l’abri des regards. Palladium tenta plusieurs attaques, mordant là où il pouvait, en évitant les défenses du sanglier. L’animal affaibli, apeuré, saignant abondamment, finit par abandonner le combat. Le loup brun bondit sur lui pour l’achever et, alors que la vie de sa proie s’étiolait lentement entre ses dents, les Hommes passèrent dans des éclats de voix devant les joncs. Le loup se recroquevilla plus encore et une fois que les bipèdes furent passés, il dissimula sa prise dans les hautes herbes, tentant de calmer son cœur hystérique.

Chasse:

Le loup brun avait à peine eu le temps de reprendre ses esprits, qu’un bruit de galopade dans les mêmes roseaux - où il se tenait précisément - le mit sur le qui-vive. Ses épaules s’affaissèrent à nouveau. Les Hommes avaient-ils retrouvé sa trace ? A cette idée, le rythme cardiaque du loup brun s’affola à nouveau. Mais la seule chose qu’il aperçut, bondissant entre les joncs, ce fut un chevreuil. Un chevreuil ? Sa présence en ce lieu marécageux étonna le Pantin. Il semblait apeuré, sûrement avait-il croisé la route des Bipèdes, tout comme lui. Sans réfléchir davantage, Palladium s’élança à sa poursuite. Les roseaux fouettaient son museau, et claquaient sur le sommet de son crâne mais il ignorait la douleur, fermant les yeux pour foncer droit devant lui. Les deux animaux produisaient un véritable vacarme entre les bruits de course et les roseaux qui se brisaient à chaque foulée.
Enfin, ils débouchèrent sur un replat d’herbe et de boue, où le loup et le chevreuil dérapèrent simultanément dans un virage un peu trop serré. Le loup gagna du terrain, en se relevant plus rapidement. La course poursuite reprit. Le Pantin avait l’impression que ses poumons allaient lâcher. Il força l’allure, puisant dans ses dernières ressources. Un ravin se profila devant eux. Il n’aurait jamais la force de sauter… Le chevreuil s’éleva dans les airs avec légèreté, et atterrit sur les genoux en face du ravin. Il était encore à terre quand le loup sauta par-dessus le trou, tous crocs dehors. Il atterrit juste à côté de sa proie, sur laquelle il se jeta immédiatement, la gueule grande ouverte. Il avait encore le sang du sanglier sur les babines, et ses prunelles brillaient d’une lueur sauvage. Il était terrifiant. Le chevreuil rampa misérablement pour se relever, mais le prédateur était déjà sur lui, et il planta ses crocs avec délectation dans sa gorge fragile et molle. Le sang au goût de métal coula dans sa bouche, le remplissant d’une joie intense.

Chasse:

Le loup brun avait relâché sa prise sur la gorge du cervidé. Il était encore haletant, et sa langue rouge pendait le long de ses dents. Il traîna le cadavre de sa proie jusque dans le ravin, où il l’y laissa tomber entre les ronces. Au moins ici, personne ne la trouverait et il ne serait pas trop dur de revenir la chercher : la pente du ravin était douce. Le même bruit de galopade retentit soudain à ses oreilles. Etait-ce possible qu’une troisième proie vienne se jeter dans sa gueule ? Il se redressa, regardant autour de lui, à l’écoute. Le galop se rapprochait et était très similaire à celui du premier chevreuil. Enfin, le loup brun aperçut le cervidé au loin : il galopait droit sur lui. Il le discernait à peine tant il était loin. Le Pantin hésita. Engager une course-poursuite risquait de se solder par un échec, il ne s’était pas encore remis physiquement des deux chasses précédentes. Le meilleur moyen d’attraper cette proie était la ruse. Il réfléchissait à toute vitesse et, ce faisant, il plongea lui aussi dans le ravin, son épaisse fourrure le protégeant des ronces qui tentaient de l’attaquer. Si le chevreuil ne déviait pas sa trajectoire, il sauterait par-dessus ce ravin et le Pantin l’attraperait au vol. Il priait pour que la chance soit avec lui.
Au bout de quelques secondes, le bruit de la galopade se rapprochait et quand Palladium sentit les premières vibrations sous ses pattes, il se tint prêt. Ne te merdes pas, Pantin Voyageur, ne te merdes pas. Le bon moment. Le chevreuil sauta, c’était trop tard. Ou peut-être pas ? Le loup fit volte face et bondit rapidement, attrapant une patte postérieure de sa proie lorsqu’il allait se réceptionner sur le sol. Pris par surprise, le cervidé trébucha et tomba immédiatement, roulant sur plusieurs mètres et entraînant son agresseur dans sa chute. Le loup brun maintenait ses crocs enfoncés dans sa chair, et il donnait de violents coups de pattes que le Pantin esquivait du mieux qu’il pouvait. Il se prit quand même un coup de sabot en pleine tête, ce qui le contraint à lâcher prise. Le chevreuil se crut libre et se releva, mais le loup, encore plus vif, avait déjà bondit sur sa croupe, l’obligeant à chuter à nouveau sur le sol, le maintenant plaqué par terre de tout son poids. Le chevreuil gigotait trop, le loup peinait à trouver sa gorge mais il finit par parvenir à ses fins et il attendit longtemps, très longtemps, jusqu’à ce que sa proie expire son dernier souffle.

Chasse: