PPourquoi s’était-il mis en tête de chasser ici, déjà ? Stupidité totale, probablement. Le loup était déjà lassé de patauger dans les marécages putrides qui produisaient un sale bruit de succion à chacun de ses pas. Il avait déjà les pattes et le ventre trempés par cette eau sale et stagnante dont il ne voyait jamais la fin. Enfin, il aperçut une pente douce qui semblait remonter sur une sorte de « rivage » si on pouvait appeler ce ramassis d’algues et de boue un rivage à proprement parler. Palladium s’extirpa tant bien que mal de l’eau boueuse qui continuait de le happer, pour se hisser parmi la terre et les algues desséchées. Il se redressa, contemplant pour la première fois le paysage désertique. Au moins, ici, pas la moindre trace de Bipède. Pas âme qui vive non plus, d’ailleurs.

Pas âme qui vive, il s’était peut-être légèrement fourvoyé sur ce point, cependant. Posté sur sa petite plage de fortune, le loup aux aguets ne l’était pas vraiment. Il doutait fort de trouver quoi que ce soit de comestible dans les parages. Et pourtant… Il avisa de légers remous à la surface de l’eau, dans une sorte de petite clairière formée dans des bambous. Intrigué, le loup s’en approcha à une distance respectueuse, regardant ce qui pourrait bien émerger de là avec intérêt. Soudain, surgirent à la surface une paire de narines minuscules, ainsi que deux yeux vifs et intéressés. Immédiatement, le fauve se plaqua contre le sol pour ne pas se faire voir. Dans tous les cas, il valait mieux se montrer discret : ce truc ne pouvait être qu’une proie, ou une menace. Peu à peu, la tête entière émergea à la surface de l’eau, et Palladium reconnu de quel animal il s’agissait. Le castor nageait nonchalamment vers la berge où était tapi le loup brun, et s’approchait dangereusement de sa propre fin. Le loup, parfaitement immobile et dissimulé derrière le feuillage touffu, patientait calmement. Le castor se hissa sur la petite plage, et entreprit de faire une légère toilette.
Le loup profita de cet instant d’inattention pour passer à l’attaque. Il bondit par-dessus les branchages derrière lesquels il était caché et atterrit droit sur le rongeur. Il le saisit par la nuque et, emporté dans son élan, roula avec lui jusqu’à l’eau putride où ils plongèrent immédiatement. Le loup ferma les yeux, immergé durant quelques secondes, serrant sa prise qui se débattait entre ses crocs. Si elle s’échappait, elle nagerait sous l’eau plusieurs minutes durant et il ne la rattraperait jamais. Mais elle ne s’enfuit pas, et Palladium n’eut aucun mal à la trainer hors du marais lorsqu’elle mourut dans un filet de bulles.

Chasse:

Palladium traîna donc le cadavre de sa victime hors de l'eau, sur plusieurs mètres, par peur qu'une marée ne l'emporte. Ces lieux semblaient tellement sauvages et imprévisibles, mieux valait ne pas prendre de risques. Le loup brun lâcha le castor une fois pour toute, seulement lorsqu'il fut assez éloigné de l'eau. Il l'enterra sous quelques retournées de terre et de vase avant de se remettre en chasse. Cette cachette n'était pas non sans le répugner, mais avait-il le choix? Il ne pouvait pas laisser se faire voler cette proie sous son nez, juste parce qu'un peu de vase le dégoûtait.

Chasse:

Le Pantin se remit donc en route, se piquant à des buissons inconnus, s'élançant à travers des bouquets de roseaux énormes, pataugeant dans de véritables trous faits d'eau et de boue, perdant l'équilibre de temps à autre sur le sol vaseux et glissant. Chasser dans les marécages n'était décidément pas une partie de plaisir... Se déplacer demandait de véritables efforts physiques, et le loup brun n'osait imaginer le carnage s'il devait se mettre à courir après une proie qui l'aurait repéré. Il était d'une lenteur exaspérante dans ce marais, et sa volonté de ne pas faire de bruit ne le rendait guère plus rapide.

Chasse:

Le marais semblait vide et creux, et le loup brun avait cette désagréable impression d’être devenu la seule chose vivante en ces lieux. C’était impossible, il y avait forcément d’autres formes de vie qui se cachaient dans cet endroit. Mais voilà toute l’étendue du problème : cet endroit était un véritable labyrinthe de cachettes. De plus, l’eau saumâtre brouillait toutes les pistes. Le Pantin s’extirpa d’un énième trou d’eau, pour continuer son avancée, lorsqu’un léger piaillement le mit en alerte. Il s’arrêta immédiatement, aux aguets, se tournant dans la direction de ce bruit étrange. Le piaillement se refit entendre, et Palladium peina à en localiser la provenance. Cela semblait venir de…. Sous lui. Cette constatation l’ébranla. Il jeta un œil vers le trou d’eau qu’il venait de quitter. Comment serait-il possible que… Un éclair de génie traversa son esprit, et il se jeta à nouveau dans le trou d’eau qu’il avait tant aimé quitter. Il se tourna vers la berge : de longues herbes pendaient le long de celle-ci, jusqu’à toucher l’eau. Le chasseur s’avança vers elles et, passant son museau à travers, tomba nez à nez avec une poule d’eau, cachée dans cette cavité qu’offrait le sol. Elle piailla avec agressivité, se collant au fond de la petite grotte, mais la mâchoire du loup fut inflexible : il l’attrapa par la tête et la traîna hors de son terrier malgré ses piaillements et ses mouvements d’ailes convulsifs. Elle donna soudain un coup de patte dans la gorge du loup et ce dernier, exaspéré, l’acheva d’un coup de dent nerveux qui lui broya le crâne.

Chasse:

Le loup brun jeta un coup d’œil rapide en direction de l’endroit où il avait déposé le castor, et estima qu’il avait parcouru assez de chemin pour aujourd’hui. Il allait faire demi-tour pour retourner chercher le fruit de sa chasse, et rapporter ces deux proies au garde-manger. Les autres loups se demanderaient où il avait bien pu partir chasser pour trouver des proies aussi peu communes. Et puis, peut-être que sur le chemin du retour, il tomberait sur une autre proie…

Chasse:

La chance souriait au loup brun aujourd’hui, puisque ses espoirs se révélèrent juste. Sur le chemin qui le mènerait d’abord au castor, puis au camp, il flaira – chose improbable en ce lieu puant – la trace d’un autre animal, qu’il connaissait bien pour l’avoir traqué de nombreuses fois. Il suivit la piste, après avoir déposé la poule d’eau dans un coin à l’abri des regards. Elle était encore fraîche, mais malheureusement elle disparu au premier trou d’eau que Palladium rencontra. Il laissa un soupir s’échapper de sa gueule entr’ouverte. Où est-ce que ce maudit canard avait bien pu passer ? Il leva la tête, sondant les alentours de son œil averti. Il parcouru encore une centaine de mètres, un peu au hasard, avant de tomber pile poil sur la proie qu’il recherchait. Pris de court, il recula immédiatement, de peur d’être repéré et attendit, le souffle court, que sa proie s’envole. Mais celle-ci semblait ne rien avoir remarqué, et elle demeurait là, becquetant la vase dans un autre trou d’eau. Le loup brun avisa alors deux autres canards qui se livraient à la même activité, non loin de celui qui l’avait intéressé le premier. Il prit garde à ne pas se faire repérer, et avança de quelques pas, camouflé derrière un bosquet de joncs.
Un canard leva la tête, l’œil inquiet. Il caneta brièvement, sur le qui-vive. Ses compagnons le regardèrent avec inquiétude, avant qu’il ne s’envole. Un de ses compères s’envola également. Le troisième restait à la surface de l’eau, hésitant sur la marche à suivre. Palladium ne lui laissa pas le loisir d’hésiter plus longtemps. Il bondit. Le canard le vit une fraction de seconde trop tôt et décolla immédiatement, mais plutôt lourdement. Il était déjà à un bon mètre au-dessus de l’eau lorsque le loup brun l’attrapa par une patte, en plein vol. Tous deux s’écrasèrent dans l’eau à grand bruit, s’immergeant quelques instants avant de reparaître à la surface. Le loup brun n’avait pas lâché prise sur le membre de sa victime et il s’était brisé dans sa gueule. Il porta le canard jusqu’à la rive, où il l’acheva d’un coup de dents bien placé. Il était à présent temps de rentrer.

Chasse:

Si les marais l’avaient rebuté au premier abord, le loup brun y avait déroulé d’excellentes chasses, et il s’était donc – à nouveau – aventuré en leur sein. La perspective de patauger une fois de plus dans cette eau saumâtre et repoussante ne le répugnait plus autant qu’au début, et c’est avec indifférence qu’il laissa son pelage s’humidifier lentement. Il tomba rapidement (bien plus rapidement qu’il ne l’espérait, d’ailleurs) sur la trace connue d’un canard, espèce qui abondait dans ces lieux marécageux. Le loup brun se lança à sa recherche, truffe au vent, certain de réussir son coup. Il n’avait pas encore manqué une seule proie, sur ce terrain de chasse-ci, et comptait bien poursuivre sa lancée.
Palladium ne tarda pas à trouver ce qu’il cherchait. Le canard flottait à la surface de l’eau, dans une quiétude qui sembla étrange au loup brun. Comment une proie telle que celle-ci pouvait-elle bien s’accorder une trêve, une petite heure de sommeil là où lui-même ne pouvait pas dormir ? Cela lui paraissait inconcevable et imprudent. Mais l’absurdité de la scène le choqua tant et si bien, qu’il s’élança un peu trop tôt, galopant un peu trop à découvert. Il ne lui restait qu’une dizaine de mètres à parcourir quand le canard déploya ses ailes et s’envola d’une traite. Le loup, ne perdant pas espoir, se ramassa sur lui-même et bondit vers le ciel, tous crocs dehors. Ses mâchoires claquèrent dans le vide et il retomba sur le flanc dans la boue vaseuse qui l’attendait au sol.

Chasse:

Le loup se redressa le plus dignement qu’il pût. Après tout, ce ne serait pas la première fois qu’il manquait une proie aussi bêtement, sur une simple erreur de jugement et de précipitation. Il se détourna du lieu de son échec pour se mettre en quête d’autre chose à se mettre sous la dent.
Il errait depuis une bonne heure déjà, sans qu’aucune forme de vie ne soit venue se jeter entre ses crocs avides. Palladium refusait de croire que sa chance avait tourné, et qu’il ne trouverait rien de comestible aujourd’hui. Il allait dégoter de quoi nourrir sa meute. Et cette idée fixe ne le quitta plus, jusqu’à l’instant où il tomba sur l’élan. Le loup brun avait déjà croisé ce genre d’animal, et ne s’était jamais aventuré à chasser une telle bête sans l’aide d’un ou plusieurs camarades. Il observa quelques instants l’énorme cervidé, persuadé qu’il ne parviendrait jamais à terrasser un tel animal. Il pouvait déjà s’estimer heureux puisqu’il s’agissait d’une femelle, dénuée de bois. Il avait tout de même peur, puisqu’elle faisait au moins trois fois sa taille. Mais il avisa bientôt que l’élan se trouvait en fâcheuse posture. De sa patte arrière gauche suintait abondamment un épais flot de sang, qui sortait d’un impact parfaitement rond : une balle. En se rapprochant discrètement entre les joncs, le loup brun pu entendre la respiration sifflante du cervidé souffrant. La balle (sans mauvais jeu de mots) était dans le camp du prédateur, qui n’hésita plus.
Palladium s’avança jusqu’à l’animal par derrière et saisit cette patte sanguinolente entre ses mâchoires, serrant de toutes ses forces. Il lâcha prise juste à temps pour esquiver un coup de sabot, et l’élan se retourna lentement vers lui. Ses grands yeux noirs pleins de souffrance se remplir de peur et de rage et elle fit un pas vers lui, comme si elle voulait le charger, mais les crocs du loup s’étaient enfoncés au bon endroit, et elle trébucha sur sa patte arrière. Le Pantin lança un nouvel assaut, se saisissant cette fois de la deuxième patte arrière. Il tira de toutes ses forces en arrière, pour faire trébucher sa proie qui ne pouvait esquisser le moindre mouvement : son membre sain était coincé dans la gueule du loup, et il ne lui restait que le malade pour prendre appui. Subissant la douleur, elle se força à se retourner vers son agresseur dans un grognement, le forçant à lâcher prise. Mais le loup était vif, et à peine parvenait-elle à le déloger de sa croupe, qu’il mordait ses flancs, son ventre, ses cuisses. Des plaies commençaient à s’ouvrir partout sur le corps de l’élan, sous les crocs chirurgiens et habiles du loup brun. Emporté par l’excitation, ce dernier se ramassa et bondit même sur le dos de sa victime, enfonçant ses crocs dans son encolure. L’élan riposta immédiatement d’une ruade, qui fit tomber le loup sur le sol. Il esquiva de justesse les sabots qui allaient s’écraser sur son crâne, d’une roulade. Il fallait se montrer plus prudent : la partie n’était pas gagnée.
Ce manège de torture dura plusieurs heures : le loup tournoyant autour de l’élan impuissant et lui infligeant toujours plus de dégâts. Palladium finit par crier victoire, lorsque l’élan, épuisé, tomba couché sur le sol. Le loup tenta de l’attaquer de front, mais la femelle était encore assez vigoureuse pour le repousser et protéger sa gorge. Le loup brun s’attaqua donc à nouveau à son arrière-train, lui arrachant des frissons de souffrance. Enfin, n’en pouvant plus, ne sachant que faire et sa patience touchant à son terme, il l’éventra rapidement, avant qu’elle ne puisse tourner la tête. Ses entrailles se répandirent sur le sol, et l’élan lâcha un brame étrange, avant que sa tête ne heurte violemment le sol.

Chasse: