Le soleil qui jouait à cache-cache avec les nuages répandait sa lumière blafarde sur le cimetière, dans les brumes vaporeuses du matin. Cette luminosité étrange rendait au cimetière son aura inquiétante et cet endroit semblait surréaliste. Le loup brun posait ses pattes avec délicatesse entre les débris de métal et les tombes retournées. Il ne savait déjà plus pourquoi il avait choisi cet endroit pour chasser, ça paraissait tellement stupide… Il ne devait pas se trouver de proie ici à au moins deux kilomètres à la ronde, tant le lieu était morne et effrayant. Le Pantin avait seulement espéré que d’autres prédateurs ou charognards viendraient trouver leur pitance au milieu des tombes qui avaient subit de nombreux bombardements, et que les cadavres humains qui empestaient l’air attireraient sa nourriture, à lui. Il s’arrêta un instant, la truffe au vent, respirant les odeurs d’acier et d’huile qui venaient jusqu’à lui. Ces effluves le répugnèrent, et il repris son errance au milieu de ce décor chaotique.

Même si cet endroit le répugnait et qu’il aurait voulu vite retourner dans sa forêt pour cesser d’errer dans ce lieu putride, Palladium ne tarda pas à trouver ce qu’il cherchait. A une centaine de mètres devant lui, posé sur une pierre tombale, la silhouette d’un gros oiseau se découpait sur le brouillard. Il était immense, ses ailes étaient déployées puisqu’il venait probablement d’atterrir, ce qui le rendait vraiment énorme. Le loup brun scruta cette proie venue du ciel avec intérêt. S’il était suffisamment rapide et agile, il pourrait peut-être attraper cet oiseau-là. Il s’approcha furtivement de sa future proie, se faufilant entre les pierres tombales qui offraient d’excellentes cachettes. Le vautour, car c’en était un, ne vit rien venir, trop occupé à déchiqueter méthodiquement le cadavre pourri d’une minuscule souris. Palladium s’approcha à moins d’un mètre et, alors que l’oiseau prenait une dernière becquée de sa pitance, le loup brun bondit par-dessus la sépulture derrière laquelle il était caché, et tomba directement sur le dos de sa proie. Le vautour poussa un cri strident, et se retourna instinctivement sur le dos, échappant à l’emprise du loup brun. Ce dernier ne perdit pas de temps, et coinça le volatile sous ses pattes avant. Mais le charognard se débattait, criant et geignant à qui mieux-mieux, déployant ses ailes qui fouettaient le prédateur en tous sens. Les plumes volaient sous les crocs du loup brun, et venaient le frapper en pleine face, sur les flancs, les coups pleuvaient de toutes parts. L’oiseau se débattait avec véhémence, et Palladium faillit bien le laisser échapper tant sa force était surprenante. Le loup brun pesait de tout son poids sur la cage thoracique de sa proie pour ne pas la laisser s’envoler, appuyant de toutes ses forces et peinant à la maintenir au sol. Les pattes griffues du vautour ne tardèrent pas à s’agripper violemment aux pattes de Palladium qui, ne tenant plus à la souffrance, abandonna l’idée de saisir sa victime à la gorge : il l’éventra sur le champ, d’un coup de croc sûr et précis. Les plumes volèrent à nouveau et les entrailles du vautour se répandirent à terre lorsque le loup le lâcha et qu’il tenta de s’envoler. Il décolla d’un mètre à peine, et retomba lourdement sur le sol, se vidant rapidement de tout ce qui pouvait le contenir.

Chasse:

Le loup brun regarda patiemment le vautour se vider de ses tripes et de son sang, ne prenant même plus la peine de l’approcher : la mort viendrait d’elle-même. Il tira sa proie par les rémiges jusque derrière la pierre tombale qui lui avait coûté la vie et l’enterra sous quelques mottes de terre, pour la dissimuler à la vue d’autres prédateurs.
Sur-le-champ, il décida de se remettre en chasse. Il s’aventura dans la partie la plus difficile d’accès du cimetière, et pour cause : des débris de toutes sortes empêchaient le passage. Mais le loup brun avait flairé une odeur qui l’avait intrigué, et il s’était lancé dans cet endroit dont il n’était pas sûr de parvenir à se dépêtrer. Il avançait avec difficulté entre les décombres, lorsque la proie qu’il cherchait passa à toute vitesse sous son nez, dans un éclair furtif et roux. Le loup brun ne perdit pas une seconde et, bondissant parmi les débris, se mit à sa poursuite. Le renard zigzaguait entre les décombres avec une aisance et une agilité sans pareilles. Le Pantin, bien trop gros, peinait à suivre sa proie entre les obstacles qui bouchaient son passage. Mais le renard fit l’erreur de quitter la zone pour se ruer à travers les pierres tombales, galopant comme une furie. Le loup brun comprit que c’était le moment de parvenir à ses fins. S’extirpant non sans mal du reste des décombres, il s’élança à la poursuite du renard, bien que ce dernier l’ait devancé de plusieurs longueurs. Palladium n’avait pas peur de l’échec, il était sûr de lui : il allait attraper cette bestiole et lui briser les os. Il galopait derrière elle, avec des foulées larges et puissantes. Il rattrapait peu à peu l’autre canidé, grignotant de la distance centimètre par centimètre, tournant parfois brusquement à droite, ou à gauche, entre un débris ou une tombe. Sa respiration devenait sifflante, mais il ne ralentissait pas l’allure : il devait réussir. Encore quelques mètres, quelques mètres pendant lesquels ses poumons brûlaient littéralement, encore quelques mètres et en un dernier effort, puisant dans ses dernières ressources, il effectua un bond qui le plaça juste sur le renard. Il s’effondra sur lui de tout son poids et, avec une vitesse experte, il plongea ses crocs dans sa nuque avec dextérité. Ses dents s’enfoncèrent, la nuque craqua, le renard gémit, se tortilla, puis ne bougea plus.

Chasse:

Pantin Voyageur resta planté là quelques instants, un peu étourdi par la rapidité de cette chasse. Il desserra son étreinte, lentement, pour reprendre son souffle et calmer les battements frénétiques de son cœur. Il ramassa sans peine le cadavre du renard pour aller le déposer non loin de celui du vautour, à l’abri des convoitises, avant de se remettre en chasse.
Il ne tarda pas à trouver un autre animal à ajouter à son palmarès puisque des grognements attirèrent son attention non loin de là. C’était visiblement une proie fort peu discrète, et Palladium s’en inquiéta. Les proies bruyantes n’avaient en général rien à craindre, cela signifiaient qu’elles étaient puissantes. Mais il avança tout de même, malgré sa crainte, à la rencontre de cet animal. Il ne tarda pas à le voir, masse de fourrure imposante mais courte sur pattes, une tête carrée au museau épais. Un poitrail large et court, une encolure massive et raccourcie. Il s’agissait d’un glouton, une espèce que le Pantin n’avait eu le loisir de croiser qu’une seule fois au court de sa vie. Autrefois, ce n’était qu’un louveteau et il avait bien failli laisser sa peau face à ce carnivore agressif. Un frisson de crainte hérissa sa fourrure, et il hésita à faire demi-tour, les peurs de son enfance reprenant le dessus. Mais il se raisonna : il avait grandi, pris du muscle et de la prestance, il était capable d’achever ce glouton.
Soudain, ce dernier leva brusquement la tête et se tourna en direction du loup. Il était visiblement aussi surpris que le canidé de le trouver ici et, bien loin de tenter toute attaque, il s’enfuit immédiatement. S’attendant à une offensive, le loup perdit quelques secondes avant de se lancer à sa suite. Il ne fut pas long à le rattraper, le glouton ne courait pas très vite. Le carnivore, sentant la présence du loup dans son dos, pila soudain pour se retourner vers son poursuivant, tous crocs dehors. Surpris, Palladium ne put esquiver les dents pointues qui s’enfoncèrent dans sa gorge. Paniqué, sentant les crocs fouiller sa fourrure dense, le loup se débattit de toutes ses forces, mais inutilement. Il avait l’impression atroce d’être devenue la proie. D’une torsion de reins pleine de désespoir, il parvint à repousser le glouton en le poussant de ses pattes postérieures. Palladium tenta de fuir, ses plus bas instincts reprenant le dessus, mais le glouton l’arrêta en l’attrapant par la queue. La douleur arracha un geignement au Pantin, qui se retourna immédiatement vers le glouton pour lui lacérer une oreille de sa mâchoire grande ouverte. Le glouton lâcha prise et le loup, emporté dans son instinct meurtrier et oubliant sa fuite, se jeta sur lui avec un grondement rageur. Tu vas payer. Les deux animaux roulèrent entre les tombes, enlacés dans une étreinte haineuse. Tous deux grognaient, grondaient, mordaient, poussaient, attaquaient sans parvenir à se départager. Palladium avait une oreille en sang, et un de ses membres le faisait cruellement souffrir. Le glouton quant à lui, avait le museau lacéré de toutes parts et une de ses oreilles pendait lamentablement, en lambeaux.
Le combat semblait trop égal pour qu’un des deux parvienne à achever l’autre et les deux protagonistes fatiguaient visiblement, quand le glouton trébucha soudain sur son agresseur. Palladium ne perdit pas une seconde et attrapa entre ses dents la patte arrière de l’animal. Ce dernier, trop court, ne put se retourner vers lui : le loup, trop vif, esquivait ses tentatives d’attaque et serrait toujours plus fort sa prise, arrachant avec délice des gémissements à son adversaire. Le glouton parvint cependant à se libérer pour prendre de l’élan et bondir sur le loup. Mais ce dernier était parvenu à anticiper les mouvements de sa proie et d’un coup de patte, il avait fauché l’animal en plein vol, parvenant à le clouer au sol pour le mettre à mort, quelques secondes plus tard. Lorsque le glouton cessa de bouger, Palladium lâcha un soupir de soulagement et entreprit de lécher ses plaies.

Chasse:

Le loup brun tirait le corps - trop lourd - du glouton depuis quelques minutes déjà, lorsqu’un bruit familier l’arrêta dans sa manœuvre. Un léger raclement sur le sol, et un grognement qui ne lui était pas étranger. Il y avait, tout près de là, un sanglier. Le loup hésita : il avait déjà ce glouton, en plus du renard et du vautour, à ramener au garde-manger. Cela allait lui prendre déjà des heures, était-il réellement nécessaire de s’attaquer à ce sanglier ? La réponse était oui : son instinct de prédateur ne lui laissait pas le choix. Il lâcha le glouton, pour se diriger silencieusement vers l’endroit où il avait ouï le porc. Il s’approcha en silence, désirant tout de même voir son adversaire avant de lui sauter dessus à l’aveuglette : cela lui éviterai bien des surprises. Palladium parvint sans encombre à se poster à quelques mètres du sanglier, aux aguets. Il s’agissait d’un tout jeune animal, à peine rentré dans l’âge adulte. Il était maigre, presque squelettique, et le loup y vit une aubaine. Enfin une proie faible et malade !
Palladium entreprit de se glisser lentement jusqu’à sa proie, slalomant en silence entre les pierres tombales, prenant toujours compte du vent pour ne pas se faire repérer. Lorsqu’il fut assez proche, il bondit mais sa trajectoire était mauvaise : le sanglier l’esquiva dans un cri aiguë et prit la fuite. Le loup se redressa et s’élança à sa poursuite. Ils galopaient tous deux dans le cimetière, soulevant des gerbes de cendres et de terre. Le loup brun perdait du terrain car, malgré son mauvais état, le sanglier était très rapide. Mais soudain, le cochon sauvage disparut du champ de vision du loup brun, comme happé par le sol. Le loup ralentit, aux aguets, cherchant où avait bien pu disparaître sa proie. Il arriva enfin au bord d’un trou profond, au fond duquel gémissait le porc. Il était couché sur le flanc, et il ne parvenait pas à se relever : il avait du se briser un membre. La situation se corsait pour le loup brun : il s’agissait de descendre dans ce trou, risquer le corps à corps avec l’animal, pour l’achever. S’il n’était pas assez rapide, le sanglier l’embrocherait. D’ailleurs, ce dernier lançait au Pantin des coups d’œil furtifs et inquiets. Au final, le loup se laissa tomber sur le dos de sa proie. Le choc fut rude, et le sanglier cria encore. Il tenta de se retourner pour présenter ses défenses au loup, mais celui-ci anticipa la manœuvre et s’était glissé sur le flanc du cochon. Ainsi, lorsque ce dernier tourna la tête, le loup brun l’avait déjà saisi à la gorge et le laissait agoniser lentement dans sa mâchoire.

Chasse:

LLe sanglier mourait lentement, et son souffle devenait saccadé. Il suffoquait visiblement, et peu à peu la vie le quitta. Il ne se débattit pas beaucoup, et se laissa aller facilement. A présent, le problème de Palladium était tout autre : comment allait-il faire pour sortir sa proie de ce trou ? Le puits dans lequel sa proie était tombée était profond, et Palladium chercha sur les parois un endroit où s’appuyer pour sortir. Sur le flanc droit du trou, une sorte de renfoncement dans la terre offrait une marche pour se hisser vers la sortie. Le loup brun saisit le sanglier par l’échine et le traîna jusqu’à cette marche. Il ne pouvait pas trainer la proie en marche arrière, aussi il se retourna pour faire face au mur qu’il devait gravir. Il hissa le sanglier sur la marche, serrant ses dents de toutes ses forces et poussant sur ses pattes postérieures. Il posa ses pattes avant sur le rebord du trou et tenta de franchir la distance restante d’un seul bond. Mais le poids du sanglier l’entraîna vers le bas, et il retomba mollement à l’étage inférieur. Il reprit son ascension, refusant d’abandonner. Il posa à nouveau ses pattes antérieures sur le bord du trou, et poussa de toutes ses forces sur ses pattes arrière, tirant sur ses pattes avant. Avec une lenteur infinie, il s’éleva jusqu’à la sortie, le cadavre du sanglier pesant dans sa mâchoire.

Chasse: