Le sifflement métallique d'un projectile fit vibrer les oreilles de Zwey. Déterminée, impitoyable, la balle frôla son crâne alors qu'il plongeait à terre, et alla percuter le sol avec un bruit sinistre. A peine le jeune loup eut-il le temps de se remettre sur ses pattes qu'une nouvelle volée de plombs suivait, crachée par les gueules noires des canons dans son dos. De la terre gicla sur ses pattes, des plaies ouvertes par les impacts.
A bout de souffle, le cœur battant à cent à l'heure, Zwey reprit sa course sans se retourner. Il ne savait que trop ce qui l'attendait derrière - ce qui, en fait d'attendre, se ruait à ses trousses. La mort en tenue de camouflage.
Oh baby don't eat me today.Ça faisait des miles qu'il les baladait, ces
biftecks sur pattes. L'idée lui aurait presque tiré un grognement de rire si le souffle ne commençait pas à se raréfier dans sa poitrine. Ils l'avaient pris en chasse aux frontières de son territoire, et lui avait eu la présence d'esprit de s'enfuir vers les terres solitaires. Sans quoi il les aurait menés tout droit à sa meute.
Zwey accéléra la cadence autant que le pouvaient ses pattes fatiguées. Il courait depuis trop longtemps : malgré la puissance de ses muscles, il commençait à fatiguer.
De plus, il ne croyait pas à la providence, et l'un de ces tirs endiablés allait bien finir par le toucher. Il les évitait comme par miracle depuis trop longtemps maintenant, ça ne pouvait pas durer.
Au moins ses poursuivants le pourchassaient-ils désormais à pied : affolé par la vitesse à laquelle leur engin de métal roulant et hurlant gagnait du terrain sur lui au début, le loup brun avait filé jusqu'en terrain escarpé, où seuls les hommes descendus de leurs véhicules avaient pu le suivre.
C'est qu'ils étaient entêtés. Zwey n'avait aucune idée de la raison de leur persévérance, mais ça lui faisait froid dans le dos : il ne voulait pas imaginer. Les humains avaient leurs propres raisons, généralement terrifiantes. Il ne savait pas s'il serait pire, ou mieux, qu'ils aient seulement très faim et envie de se tailler une
entrecôte dans sa viande : après tout, la pénurie n'épargnait personne.
L'esobek en était à là de ses réflexions, qui n'avaient duré que quelques secondes de course effrénée, lorsque soudain un nouvel impact le fit sursauter. Il ne sentit pas tout de suite la douleur. Il y eut un battement, un moment d'engourdissement.
Et puis elle explosa dans son flanc, lui arrachant un grognement sourd doublé d'un gémissement douloureux. Il faillit trébucher sous le choc mais se reprit.
Pas maintenant. Parce que sous ses pattes, la terre laissait place au béton, et l'ombre des usines d'acier se jetait sauvagement sur lui. Le refuge qu'il cherchait à atteindre.
Prenant ses poursuivants par surprise, le loup accéléra brusquement et disparut en un éclair dans une fissure des remparts qu'il connaissait si bien. Alors que les humains hésitaient un bref instant devant les lugubres murs brisés, Zwey se frayait déjà un chemin, toujours aussi vite, entre les salles qu'il avait apprises par coeur. Il chassait souvent dans le coin, et le connaissait comme sa poche.
Seulement, la balle encastrée dans sa chair laissait une traînée de feu dans ses muscles à chaque mouvement : il devait trouver un abri ou il ne tiendrait pas longtemps. Expert ou pas, les hommes le trouveraient.
Habitué, le jeune loup fila vers une salle écroulée, prêt à se réfugier dans une cache sous les gravats. L'odeur lupine le cueillit à l'entrée. Il s'arrêta brusquement, souffla douloureusement.
Bien sûr, il fallait qu'il ne soit pas seul juste quand il ne fallait pas ! Bon sang.
Deux coups d'oeil autour de lui lui confirmèrent qu'il n'y avait pas d'autre planque sur. Et merde hein. De toute façon ils se retrouvaient tous les deux dans la même galère du coup. Que l'autre loup aille se faire cuir un
œuf, il préférait tenter sa chance en bas.
C'est ainsi que Zwey se glissa dans la cachette encombrée de ferraille et atterrit à moitié sur la louve qui se cachait là. Sans même prendre le temps de s'excuser, faisant fi de ses éventuels grognements, le mâle se cala dans l'étroitesse du lieu, sa fourrure frottant contre celle de la première occupante. Pour s'assurer qu'elle ne dévoile pas leur position alors, il grogna un coup et passa une patte sur son museau pour lui abaisser la tête. Sa gorge frôla les oreilles de sa colocataire lorsqu'il gronda sèchement :
« Shhht. Pas un bruit ou on est morts. »
Et en l'occurrence, cette idée lui importait plus que la politesse.