Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Alors que la nuit achevait le règne du soleil, dans les ténèbres naissant de grosses pattes venaient fouler le parterre de cendre, faisant voltiger ces dernière autour de son ombre noire. La nuit est son domaine, il le sait si bien, se déplace sans prendre attention à ce qui l'entour car il est un élément du décors, fondu dans la masse. Le seul hic, son odeur. Pas plus ignoble que celle de ses cousins lupins. Mais peu il lui importe d'être suivis car quiconque oserait le défier finirait mal en point.
Se soir n'était pas un soir unique, presque un soir banal. Il avait ouï dire qu'un lupin cherchait des informations qui étaient en sa possession. Alors en l'échange de quelques banalités il dévoileraient ces précieuses informations. Après tout les loups n'ont pas grand chose à offrir qu'il l’intéresse. Lorsque l'odeur du-dit lupin parvint à ses narines il ralentit le pas, un sourire malsain s'étala sur ses babines. Il avait reconnu le possesseur de l'odeur et plus l'heure du rendez-vous approchait plus il avait hâte de revoir l’arrogant loup brun.
Lorsqu'il approcha de sa cible il fronça le nez avec un dégout non feint. L'odeur des loups était réellement la pire. Il leva la tête un instant vers la lune, en attentant que le Hordien veuille bien se montrer. Lorsqu'enfin il entendit ses pas discrets sur le tapis de cendre il se redressa pour observer le loup brun. Celui-ci était assis à la lisière d'une petite forêt décharnée, si bien que seuls ses yeux bleutés brillaient dans la pénombre.
- Isha du Dragon, je t'attendais. Approche donc, n'ai crainte.
Il avait parlé avec impatience, avec hâte. Un lueur malicieuse s'était allumée dans ses yeux canins,et, imperceptiblement sa langue passa sur ses crocs luisants.
Il n'y a probablement rien de plus simple que de convoquer à soi le chien des Hommes, celui qui se fait appeler aussi Le Passeur. Il suffit de parler à quelques loups, de prétendre vouloir voir le Chien. Aussitôt dit, aussitôt fait, voilà que l'on se retrouve à entendre parler d'un endroit, d'un jour précis. Et l'on sait que le Chien nous attend. C'est ainsi que j'ai fais. Il y a quelques jours, j'ai laissé entendre ça et là que je désirais voir le Chien. J'ignore qui ou comment, mais j'ai pu avoir plus tard une date et une heure. Ce soir, voilà que sous un crépuscule déjà mourant, je rejoins l'endroit de notre rencontre. Et je ne suis pas animé des meilleures intentions, je peux le garantir. Je suis en colère, furieux même, parce que j'ai perdu l'un des miens sous mes yeux et que, plus tard, j'ai appris la disparition de plusieurs Hordiens. Bien sûr, les rumeurs courent. Les Hommes enlèveraient des loups pour en faire des chiens de guerre. Ou, peut-être, pour croiser leurs clébards avec notre sang. Bien évidemment qu'ils envient notre force et notre robustesse. Et je crois malheureusement que certaines rumeurs sont viables. Ma soeur en a fait les frais, et nous voilà désormais avec deux gueules de plus à nourrir. Des bêtes faibles, deux chiots que j'ignore encore comment maintenir en vie. Ma soeur se débrouille comme elle peut, mais nos Destins a tous sont incertains. Je rejoins la plaine de cendre en peu de temps. Et lorsque l'y parviens, l'animal est déjà présent. Je veux l'observer un temps, mais il sait déjà que je suis là.
- Isha du Dragon, je t'attendais. Approche donc, n'ai crainte.
Mes babines se retroussent instinctivement pour dévoiler mes crocs puissants et meurtriers. Et si je sais qu'il possède les mêmes armes destructrices, je n'en suis pas moins en colère contre son espèce entière. Quelqu'un doit payer, et il s'est montré le premier. Sans attendre, je bondis à sa rencontre et je le percute de toute mon poids. Un chien de combat comme lui est d'une masse spectaculaire, pour un simple cabot. Mais je parviens à le renverser, même si ses muscles saillants lui permettent de se remettre d'aplomb tout aussi vite qu'il est tombé. Moi aussi, je reprends mon équilibre. Le choc était plus rude que ce à quoi je m'attendais. J'essaie de calmer mes ardeurs, de canaliser ma rage. Chose difficile, mais pas impossible. Je pense à ma soeur, à ma famille qui m'attend et pour laquelle je me dois d'être présent, surtout en ces temps de douleurs et de danger. Je lui fait face, attendant et tentant de voir dans son regard s'il compte entrer en conflit avec moi ou s'il préférera garder une certaine arrogance en ne tombant pas dans mon jeu. J'ignore ce qui m'énerverait le plus. Qu'il veuille me combattre, ou qu'au contraire il refuse de s'adonner à ce genre d'activité. Je gronde, je le toise comme l'ennemi qu'il est. Il a beau en savoir beaucoup, il n'en reste pas moins un foutu chien d'humains, et je les haie tous autant qu'ils sont. Pourtant ce soir, je dois faire abstraction de ma haine, et me montrer capable de marchandage pour obtenir les informations que je désire.
- Je n'te supplierais pas comme certains en sont capables. Je veux savoir où sont les membres de ma meute.
Le loup brun decouvre ces crocs et me saute dessus sans plus de cérémonie. Je gronde lorsque sa masse rencontre la mienne. J'entre en contact avec le sol mais je me relève avec souplesse. Ce loup pense pouvoir me battre, mais malheureusement pour lui je ne m'abesserais à son niveau lupin aussi pathétique qu'il soit. Je m'éloigne de lui, le jaugeant lui et ses muscles saillant, sa rage, son mépris non feint. Peut m'importe s'il est ici c'est qu'il a besoin de moi. Rien que le fait d'avoir besoin de mes services me fait gagner le combat d'avance. Je m'assois avec nonchalance lorsqu'il se décide enfin à ouvrir la bouche. - Je n'te supplierais pas comme certains en sont capables. Je veux savoir où sont les membres de ma meute. Oh eh bien, ceci me prouve que tu n'es rien d'autre que mon esclave, réduit à ce que je voudrais bien te dire. Heureusement pour lui j'avais entendu parler des deux hordiens capturés par les bipèdes. Je me lève avec lenteur, je prends mon temps pour m'approcher de lui. - Et si tes petits protégés étaient mort, les hommes sont tellement cruels... Un sourire narquois s'étale sur mon visage, je tourne autour de lui avec dédain. - J'ai entendu dire qu'ils étaient toujours chez les hommes, là ou ils habitaient autrefois
Je m'éloigne, le loup en attend plus mais que m'importe. Je lance à la volée, peut m'importe si il entend mes dires. Après tout c'est lui qui voulait me voir, pas l'inverse. - Les caves, Hordien, les caves.
Il s'assied. Aie-je envie de lui sauter dessus ? Sans aucun doute, oui. Aie-je envie d'écorcher sa peau, de voir sa chair saigner et ses organes pulser dans l'air froid ? Bien évidemment, oui. Et je m'abstiens. Je reste là, à le fixer avec mépris, tandis qu'il fait de même. J'ai trop de fierté pour accepter de m'abaisser à ses pattes et je le dis haut et fort, mais les faits sont là. S'il refuse de me parler, je n'aurais rien. Je ne le supplierais pas, mais je dépends de lui, que je le veuille ou non. Je grogne, je canalise ma haine au fond de mon coeur, et c'est là une entreprise des plus difficiles. Il se lève finalement. Les muscles tendus comme la corde d'un arc, je le détaille. Mes oreilles le guettent, tous comme les yeux faibles. Il s'avance, je pétris la terre de mes pattes. vas-y, sautes-moi dessus. Donnes-moi une raison d'abattre mes crocs dans ton échine et de faire gicler ton sang dans la terre meuble que tes maîtres ont massacré.
- Et si tes petits protégés étaient mort, les hommes sont tellement cruels...
Je vais le tuer, l'étriper et brûler les morceaux. Probablement trouverais-je encore plus d'imagination pour le faire souffrir avant. Lui arracher les griffes, lui lacérer l'abdomen avec ses propres crocs lorsque je lui aurais brisé et démantibulé la mâchoire inférieure. Je pourrais rapporter sa carcasse à mes petits ou même, lui briser les pattes et leur apprendre à tuer en s'exerçant sur lui. Peu de choses doivent être pires que mourir sous les crocs et les griffes de louveteaux acharnés et inexpérimentés, qui attaquent, griffent, mordent, blessent sans aucune hésitation, sans la moindre coordination. Ni rapide, ni efficace. Une mort lente et des plus douloureuses. Je me lécherais les babines en écoutant ses gémissements d'agonie et laisserais mes petits répandre ses entrailles sur la terre avant de daigner le regarder crever, sans une once de compassion. Son sourire plein d'arrogance et sa manière de me tourner autour me donne davantage d'idées, encore.
- J'ai entendu dire qu'ils étaient toujours chez les hommes, là ou ils habitaient autrefois.
Ah ! Enfin des informations ! Si je me suis levé pour tourner au même rythme que lui, dans une ronde infernale qui nous lie dans la haine et l'antipathie, je n'en suis pas moins totalement à l'écoute. L'endroit où les hommes vivaient autrefois. L'endroit où les hommes vivaient autrefois ... Mais il y en a tellement ! Combien de temps me faudra-t-il pour les visiter tous ? Et de combien de temps disposent encore mes compagnons, mes frères de meute ? Un grondement sourd remonte le long de ma gorge, chatouillant mes cordes vocales. Tuer. Tuer. Tuer ... Et déjà, le chien s'en va. Non ! Ce n'est pas terminé ! Je veux le retenir, je m'apprête à le faire. Mais si je le blesse, il ne répondra pas davantage. Et si je le tue, encore moins. Alors, les oreilles plaquées contre mon crâne, je me prépare à faire demi-tour, moi aussi.
- Les caves, Hordien, les caves.
Je ne le remercie pas. Je grave dans ma tête toutes les informations que je viens de tirer de ce foutu clébard. Et dans un grondement de mort, je quitter notre lieu de rendez-vous, déjà en route pour retrouver les miens. Je ne les abandonnerais pas deux fois. Hors de question. Ils sont. Ils sont plusieurs. J'ignorais que d'autres hordiens qu'Arawn avaient été enlevés. Qui donc est là-bas ? Que leur font-ils subir ? Bande de monstres ignobles ! Mes pattes courent d'elles-mêmes, mon coeur bat la chamade et le sang circule à vive allure dans mes veines. Je les retrouveraient. Coûte que coûte.