Sa dernière escapade sur le territoire des Bipèdes avait été plutôt fructueuse, mais Palladium ne s’était pas encore risqué à nouveau à franchir leurs frontières. Les Hommes lui inspiraient une crainte terrible, qui le rendait presque paranoïaque sur leurs agissements. Cette peur était cependant empreinte de haine, la haine la plus viscérale qu’il eût jamais connue. Il haïssait ces personnages à deux pattes du plus profond de son être, chaque cellule de son corps les détestait profondément. Il s’était donc aventuré hors du territoire Sekmet tôt ce matin-là. Il avait une préférence pour les horaires matinaux, et la nuit le dissimulerait davantage. Les oiseaux ne chantaient pas encore, et le froid glacé le mordait malgré son épaisse fourrure. Le loup brun galopait silencieusement dans les bois carbonisés et endormis. Il approchait du camp humain, il ralentit donc l’allure. Le soleil commençait à poindre à l’horizon, imprégnant le ciel d’une couleur rosée.
Le Pantin se faufila entre les déchets et les troncs qui jonchaient le sol, se rapprochant inexorablement du lieu de sa peur et de sa convoitise. Le loup brun était toujours admiratif de la faculté qu’avaient ces Hommes à conserver les proies vivantes dans leur garde-manger. Il s’arrêta à plusieurs mètres, dissimulé derrière une souche d’arbre, contemplant l’ensemble d’un œil observateur. Tout était silencieux, le village dormait encore.

Méfies-toi de l’eau qui dort, Palladium… Tout était calme, certes, mais le loup n’était pas sans crainte. A chaque instant, durant sa progression de plus en plus rapprochée vers le village, la peur montait d’un cran dans son estomac. Bien qu’il ne vit personne, il avait peur de l’effet de surprise, peur qu’un Bipède surgisse de nulle part et parvienne à le tuer. Non, non, ça n’arriverait pas aujourd’hui. Il jeta un ultime coup d’œil en arrière, au cas où une proie aurait intercepté son champ de vision, plutôt que de prendre trop de risques à piller le village humain, mais rien à l’horizon… Il se coula lentement vers les enclos où se tenaient vaches et moutons. Les chiens devaient veiller, malgré la pénombre. Palladium devait absolument les éviter, il avait bien failli y laisser une oreille la fois dernière…
Le loup brun voyait les animaux à la toison blanche brouter paisiblement l’herbe de leurs prisons. Ils ne se rebellaient donc jamais contre l’autorité humaine ? N’avaient-ils aucune conscience du mot « liberté » ? Ces animaux étaient bien stupides. Réflexion faisant, il cheminait toujours vers cet enclos, lorsqu’un sifflet étrange retentit dans le silence. Le loup se plaqua immédiatement contre le sol, et l’inquiétude revint. Il attendit, cœur battant, que quelque chose se produise, dans l’immobilité la plus totale. Quelques secondes plus tard, deux énormes chiens sortirent du troupeau pour se diriger en courant vers le village. Quelqu’un les avait appelés, la voie était libre. Les molosses étaient passés à quelques mètres à peine du loup tapi sur le sol, sans même le voir. Le prédateur pouvait agir librement, mais la crainte fut plus forte. Un questionnement incessant le taraudait. Si les chiens revenaient? Si il y en avait ne serais-ce encore qu'un seul, tapi dans le troupeau? Si un Bipède arrivait? Si les moutons bêlaient? Lâchement, il fit demi-tour et renonça à toute forme de nourriture. Il se débrouillerait bien autrement.