A peine quelques jours que nous sommes sortis des tunnels, et déjà la chaleur est accablante. Tous les matins je profite des aurores pour me dégourdir les pattes et me remplir l'estomac avant que le soleil ne frappe la terre de ses rayons et ne brûle toutes les calories que je peine à stocker. Il fait mauvais être un loup noir par si forte chaleur ... Dès que les rayons commence à chauffer, je m'éloigner vers les arbres et me planque dans leur ombre pour ne plus souffrir de ce temps qui m'évoque davantage l'été indien que le printemps de nos forêts. Dans un soupire las, je m'éloigne du couvert des arbres et a peines quelques mètres plus loin, l'halète déjà. Cette chaleur est étouffante pour les loups, mais carrément écrasante pour ceux, comme moi, qui arborent un pelage de nuit. Si j'ai appris quelque chose durant cette dernière année d'errance, c'est que les humains sont protégés de la chaleur grâce à leurs immenses tanières empilées les unes sur les autres. Alors, je m'avance vers la ville et je commence déjà à arpenter les rues, me délectant de la fraîcheur entre les bâtiments grisonnants, tous détruits par endroits mais pas totalement effondrés. Quel bonheur de profiter d'une si belle journée sans que mon pelage d'ébène ne me fasse souffrir ... M'enfin, j'ai soif quand même. va falloir que je trouve un point d'eau avant de me déshydrater. Je croise le chemin d'un autre loup aussi sombre que moi, et sans m'inquiéter de savoir de quelle meute il fait parti ni de chercher à savoir pourquoi il est là, je m'approche à une allure tranquille et le détail d'un regard désinvolte.

- Eh ! Tu saurais pas où y'a d'l'eau, dans l'coin ?

Tes jauges *^*

- Non. Je n'sais pas.

Je m'avance un peu plus et, seulement, j'entreprends de "faire connaissance". Pas ce terme, j'entends bien lever ma truffe plus haut que mes yeux pour humer son odeur, et chercher s'il est solitaire, Esobek ou Sekmet. Et comme je suis en terre neutre et que par dessus le marché je suis chanceux, voilà que je ne sens ni l'odeur boisée des solitaire, ni celle fruitée des Esobeks et encore moins les effluves âcres de ma meute. Non. Et comme je n'suis pas stupide, je comprends bien vite face à qui je suis ainsi immobile, à si faible distance. Je réfléchis moins de deux secondes. Sarcasme ou attaque frontale ? Bien sûr, ces clébards sont connus pour leur cruauté sans limite, leur force colossale et cetera, et cetera ... Bien sûr, je suis trop fier pour me laisser berner par de simples rumeurs. J'affiche alors un sourire mesquin et je plisse les yeux, sans me rapprocher davantage mais sans reculer outre mesure. J'inspire longuement en grimaçant de dégoût et je redresse légèrement la tête en arrière pour marquer ma surprise.

- Oh ... J'avais cru entendre parler de loups puissants et soudés.

Un rictus mauvais accompagne un léger rire sardonique, et je le fixe dans les yeux, mes orbes émeraudes détaillant les siennes, pas moins uniques mais que je ne laisse pas me perturber.

- J'm'attendais à mieux, j't'avoue. T'es leur dernier rej'ton ? Ou une sorte de bonne ? L'Oméga, p'têt' ?

Un mouvement dans ma direction, un petit rappel de qui est le plus apte à faire le malin entre nous deux. Pourtant je n'me dépars pas de mon arrogance habituelle et je continue de le toiser, comme si j'avais toutes mes chances s'il décidait de se jeter sur moi. Il avance d'un pas, j'avance de deux sans pour autant montrer les dents, comme lui le fait. A la place j'affiche un sourire mesquin, je sais ce que je risque et, curieusement, l'idée m'amuser plus qu'elle ne m'effraie. Une bonne bagarre, voilà de quoi faire passer le temps avec intelligence. Je gronde de surprise lorsqu'il se jette sur moi, je n'ai pas le temps d'esquiver que déjà, ses crocs me brûlent l'échine. Il m'immobilise au sol un court instant, puis ses griffes pressent ma cage thoracique et mes yeux cherchent un ancrage tandis que mon cerveau tourne à toute allure pour trouver une issue. Grondant assez fort pour qu'il m'entende et pas assez pour faire croire à l'extériorisation de ma douleur, je me débats et me tortille dans tous les sens afin de me dégager de son étreinte. Vas savoir s'il le fait exprès ou non, je parviens à échapper à sa force.

Je roule sur le côté mais ne prends pas le temps de respirer à nouveau, parce que je ne peux m'accorder ces précieuses secondes de répit alors que mon ennemi est juste à côté, le coeur battant et prêt à en découdre. Je fais mine d'être essoufflé, de chercher de l'air mais mes orbes le fixent en coin. Il s'approche, probablement pour m'attaquer à nouveau, et je fonds sur lui dans la seconde. S'il croit que je vais me laisser abattre aussi facilement, alors que j'ai encore tellement d'énergie à revendre, il se trompe ! J'ouvre grand mes mâchoires, je les fais claquer près de son encolure que je manque de peu. Mes pattes s'appuient sur son flanc, tentant de lui faire perdre l'équilibre, et je perds le mien dans mon propre mouvement. Je gronde, me retourne tout aussi vite et recommence le manège. Ce sourire narquois ne quitte pas mes babines un seul instant, je commence seulement à m'amuser et j'attends encore beaucoup de cette entrevue avec ce Hordien. Je veux avoir peur. Je veux frémir de terreur et voir enfin si les rumeurs sont fondées ou non. Je veux interpréter ses armes par moi-même, pour plus tard les retourner contre lui et toute sa meute !

Une nouvelle perspective s'ouvre à moi. Si j'affaiblis celui-là, les plans de ma meute s’exécuteront avec encore plus de facilité que prévu. Si je blesse cet enfoiré, j'aurais le mérite d'être un guerrier parmi les plus connus, les plus respectés. Je veux ce mérite. Même si la reconnaissance ne m'intéresse pas, je veux que les Sekmets me voient, m'entendent, me considèrent enfin. Je ne suis pas que le petit disparu à six mois. Je ne suis pas seulement ce miracle revenu d'entre les morts. Je suis un combattant, un tueur, et je veux massacrer la horde qui a voulu nuire à ma meute ! Ses crocs se referment sur ma gorge pour me relâcher aussi tôt en me donnant l'élan nécessaire. La douleur est bien réelle, et ne s'en va pas aussi vite que son créateur. Il se joint à moi, ses crocs se referment sur mon épaule et une douleur lancinante m'arrache un grognement dans lequel point un juron salé. Cette fois, ça n'a rien d'une simple rencontre avec un autre membre de ma meute. Ca n'a rien d'un jeu. L'ennemi est là.

Il arrache ses mâchoires de ma chair à vif, je regarde la plaie béante et je lance un regard furieux sur mon adversaire. L'espace d'un court instant, je crois pouvoir nourrir mes muscles de ma colère et les rendre plus résistants. L'espace d'une fraction de seconde, j'ai la sensation que je pourrais le vaincre par la seule force de ma volonté. Mais son jeu a lui est le même que le mien. Il me jette au sol une nouvelle fois, et si je n'étais pas noir de jais, la boue changerait la couleur de mon pelage. Je me redresse, appuie ma patte sur le sol, siffle entre mes dents et prends appui sur l'autre. Je le toise, j'aspire l'air entre mes incisives et, ignorant la douleur en grimaçant, je fonce sur lui pour lui mordre l'encolure. Je gronde férocement, je lance mes griffes sur sa gorge et je laboure autant que je le peux. Les griffes de ma pattes droites ne sont pas aussi destructrices que celles de mon antérieure gauche, mais je tâche de lui causer le plus de dégâts possible. J'arrache les poils et bientôt, de petits lambeaux de chair. De simples égratignures, qui le brûleront malgré tout lors de leur cicatrisation. Mais je sais que je suis foutu pour ce soir.

Ne lui laissant pas le temps de retourner sa gueule pour me reprendre entre ses dents, je tire brutalement et ajoute tout mon poids au sien pour le faire tomber. Sur moi. Je grogne, le repousse de mes postérieures et le mords à nouveau, les dents extériorisées durant toute la manoeuvre, même quand nous nous relevons de conserve pour se faire face un instant. C'est au premier qui mordra l'autre à nouveau, et le premier c'est moi. Ma gueule plonge en avant, capture l'os de son omoplate et mes dents serrent si fortement la peau que le sens l'os se libérer de sa protection. La chair est si fine qu'elle se déchire aisément, et je souris entre mes dents serrées en sentant l'os dur sous mes incisives. Pourtant l'instant d'après, je suis encore au sol et je gronde de douleur, ses mâchoires meurtrières maintenant ma jugulaire entre elles. Combat. Capture. Mise à mort. Ma vie est entre ses pattes, et j'ai bien peur de savoir ce qu'il va bien pouvoir en faire. Des idées atroces me montent à la tête, toutes les façons imaginables qu'il pourrait mettre en oeuvre pour me tuer ...

Je pensais pouvoir m'amuser un peu, faire preuve de courage et de témérité. Je pensais ramener chez moi une histoire à raconter, que tout le monde écouterait. Je pensais pouvoir gagner le respect de ma meute, de tous les membres de ce clan qui m'a vu naître. Mes crocs dans la chair de l'ennemi, ne sont soudainement plus qu'un souvenir. Mon corps est ramassé contre lui même, ma peau est tendue entre les crocs aiguisés de mon assaillant. Je me débats de toutes mes forces. Je plonge mes pattes dans toutes les parties molles de son anatomie, essayant de lui faire mal, de le faire reculer. Je claque des mâchoires dans les sens en jappant, espérant atteindre par miracle une quelconque parcelle de chair à déchiqueter. Mais rien. Rien ne vient. Rien d'autre que la douleur et la peur, si longtemps ignorée. Je gronde, continue de m'acharner pour me libérer, jusqu'à ce que ses crocs s'agrippent à ma jugulaire. Je crois sur le moment, que mon heure est venue. C'est un membre de la horde, après tout. Il doit ramener les têtes de ses victimes pour tapisser sa tanière et montrer à ses frères de meute tout ce qu'il a entrepris.

Mais je l'ai sous-estimé. Il ne me tuera pas si facilement. Le voilà qui me maintient férocement au sol en laissant couler le sang de ma chair, sans toucher à la veine vitale. Et ses pattes entament une douce danse macabre sur mes flancs, arrachant les poils et atteignant presque la peau. Il va me tailler en pièces. Il va me taillader la peau jusqu'à répandre mes entrailles sur le sol. Je gémis, je pigne misérablement. La douleur est trop forte pour que je parvienne à l'ignorer encore assez longtemps. Ma détermination s'ébranle, tombe en miettes dans mon esprit. Je ne suis plus qu'un instinct de survie violent. Acharné. Et lorsqu'il lâche ma jugulaire rien qu'un instant, je ne pense qu'à m'enfuir, rentrer chez moi. Lâche. Misérable. Mais il m'en empêche en me brisant une patte d'un brutal coup de mâchoires. Je lance un grondement rauque, la douleur m'envahit jusqu'à l'épaule, danse dans ma colonne vertébrale. Je ne peux plus poser ma patte sur le sol. J'ai le temps de planter mes crocs dans la chair de sa gorge sans pouvoir atteindre la veine vitale, avant de sentir mon corps voler dans les airs. J'emporte avec moi un lambeau de chair et je jubile, parce que si ma fin est proche, il portera au moins ma signature. Je ferme les yeux un instant contre le mur, je papillonne pour reprendre conscience parce que j'ai l'impression de m'être évanoui un instant. Et lorsque je suis de nouveau "opérationnel" des crocs serrent ma gorge. Je lance des grondements de douleur qui amplifient la souffrance causée par ses dents et, mu par l'instinct de survie surpuissant de toute mon espèce, je me secoue dans tous les sens pour me libérer. Je tourne la tête tellement fort que je me craque la nuque, mais je parviens à resserrer mes dents sur la pointe de son épaule. Je serre si fort et si brutalement que son os craque sous mes crocs meurtriers. Pas sans moi, connard. Si je dois mourir, tu devra te souvenir.