Sous un ciel grisonnant, je redécouvre les terres qui appartiennent à ma meute. Heureusement pour moi, je n'ai vécu que peu de temps sous terre. Depuis plusieurs jours déjà, tous les loups sont remontés à la surface et moi avec. Je n'aurais pas supporté de vivre terré comme un lapin, je serais devenu fou. A tel point que je respecte tous ces loups qui ont survécu jusque là. Je soupire et, trottinant à bonne allure, je m'éloigne du camp Sekmet pour me dégourdir les pattes en faisant le tour des terres de ma meute. Mais alors que je m'attendais à faire une simple balade de détente, à ne penser à rien d'autre qu'à moi, ou à me remémorer certains souvenirs pour le simple plaisir de savoir qu'ils font désormais seulement partie de mon passé, je découvre une odeur que je n'ai pas oublié malgré ma longue absence. Nul doute qu'un Esobek s'est permis une virée en territoire ennemi, et il va rapidement s'en mordre les pattes. Ou c'est moi, mais qu'importe ? Je me relèverais plus fort et je recommencerais à les traquer comme du bétail.

Je trouve aisément la piste de la femelle, qui pue à longue distance. Ma truffe capte chaque effluve émanant d'elle, et pendant plusieurs minutes je file entre les arbres pour trouver sa piste la plus fraîche. Elle n'est pas là depuis longtemps, puisque l'odeur est récente et encore mouvante dans l'air. Mais je sais que je me rapproche à mesure que le parfum fruité est plus fort autour de moi. Finalement, je découvre sa silhouette brune entre deux arbres. Ah ! Elle n'est pas noire ! Non parce que, je n'ai croisé que des loups portant la même robe que moi, depuis des semaines, alors je commençais à me poser des questions ... Enfin ... Blague à part, je me mets à galoper dans sa direction, les oreilles plaquées contre mon crâne et les crocs mis à nu. Mes galopades l'alertant et lui intimant de se retourner, je freine brusquement avant de lui rentrer dedans et je m'immobilise à quelques mètres de sa position. Je commence alors à lui tourner autour, grondant férocement malgré mon statut de simple apprenti. Je n'sais pas pour elle, mais moi je tiens au job pour lequel on me prépare. Alors tout est bon pour s'y entraîner.

- Qu'est-ce que tu fais sur nos terres ?

Elle gronde, me menace sur mon propre territoire. Pour le coup, elle ne fait qu'attiser ma haine pour les siens, pour elle.

- Je suis perdue, un problème ?

Un problème ? Evidemment ! Tu es sur mes terres ! Et je fais te faire payer ton intrusion ! Je lui tourne autour comme je le ferais autour d'une vulgaire proie, acculée face à mes crocs meurtriers. Elle ne montre aucun signe de crainte, comme si elle était prête au combat. Bluff ? Assurance ? Peu m'importe. Je veux me battre. Mais elle change d'attitude, comme si rien dans la mienne ne la poussait à franchir le pas. Interloqué par cette attitude changeante, je m'immobilise et dresse les oreilles dans sa direction, attentif, penchant la tête sur le côté en signe d'incompréhension.

- Désolée, c'est juste que j'ai été surprise. Comment tu t’appelle ? Moi c'est Overdose.

Elle se présente ? Je me remets en position de combat. Poil hérissé, regard fixe, tous crocs dehors et grondements menaçants. J'espère qu'elle va reprendre sa première posture, qu'elle va me guider dans une bagarre. J'espère qu'elle va mimer mes gestes, me suivre dans un combat sanglant. Mais elle n'en fait rien, reste là à me regarder. Elle n'attend rien de moi, et encore moins un conflit. Alors, perplexe, je me redresse à nouveau. Et je la détaille, intrigué désormais par celle qui devrait être mon ennemie jurée et qui ne semble pas irrité outre mesure par ma rencontre.

- Moi c'est Isildür. Pourquoi tu n'te bats pas ? Nos meutes se haïssent. Tu l'ignore ?

- Je sais parfaitement que nos meutes se haïssent. Mais nous, pourquoi on se détesterait alors qu'on se connaît pas ? C'est pas parce que nos meutes sont rivales que nous on doit l'être. Je ne me battrais pas avec toi.

Je penche légèrement la tête sur le côté. Pourquoi ? Mais enfin ça tombe sous l'sens, non !? Je la fixe de longues secondes, cherchant les mots pour lui expliquer que c'est dans la logique des choses, que nous n'avons, peut-être, rien d'autre à faire que se haïr par extension de nos meutes respectives. Mais mon cerveau trop intrigué, refuse de retrousser mes babines sur mes crocs pour l'attaquer, comme il se doit. J'affiche à la place un sourire narquois et je la toise, la mettant presque au défi.

- Parce que tu connais un truc plus amusant à faire que se battre avec ses ennemis ?

Après tout pourquoi pas, si elle a des idées de conneries à me donner, je suis toute ouïe. Moi j'n'attends que ça, de faire chier le monde et de me faire connaître de tous.

Je dois dire qu'à l'instant, je m'attends à tout sauf à la réponse de la jeune louve.

- Les tuer c'est pas plus amusant ?

Si je suis très surpris d'entendre ces mots de la gueule d'une simple Esobek, je n'en laisse rien paraître et je me pare d'un sourire enchanté, comme si cette simple tirade m'avait charmé. Je m'approche d'elle dans l'intention de ... Sans aucune intention, en fait, je n'sais pas trop comment me comporter en sa présence puisque visiblement, nous ne nous battrons pas. Mais vivement, elle fond sur moi. Si j'aurais pu avoir le réflexe de la jeter au sol et de lui sauter à la gorge pour me défendre et tenter de l'abattre, ses morsures sans gravité sur mes oreilles m'interloquent. Qu'est-ce qu'elle fait ? Je ne connais pas ce genre de combat et pourtant, elle ne me fait aucun mal. Serait-elle en train de se livrer à quelque chose qui me dépasse ? Est-elle seulement incompétente dans les meurtres ou fait-elle exprès de ne pas me blesser ? Lorsque nos corps roulent dans la terre trempée et que la boue colle à nos pelage, la jeune femelle se relève et file. Je l'imite, et déjà je la suis. Je me surprends moi-même à sourire dans ma course, mais je ne retiens pas ce nouvel engouement qu'elle provoque en moi. C'est distrayant, il faut l'avouer. Et soudain, entre les arbres, elle disparaît. Alors je m'arrête, et je détaille les environs. Aucune odeur, aucun bruit. Rien si ce n'est les traces dans la boue, à mes pattes. Je pourrais presque croire que j'ai rêvé sa présence. Et brusquement, la jeune femelle se rue sur moi et me flanque à terre. Je grogne de surprise, mais je me reprends aussitôt et je profite de notre inégalité de poids pour rouler et échanger nos positions. Ainsi stoppé au-dessus d'elle, je cherche son regard et je la force à me rendre cet échange, un sourire discret et arrogant posé sur mes babines.

- Tu es bien discrète, pour ton âge. Espionne ?

Mais je n'attends pas sa réponse, je me doute qu'elle ne me dira pas le rang qu'elle possède au sein des siens, ce serait les mettre en danger. Alors je quitte son corps et je m'éloigne de quelques pas, lui faisant face avec malice avant de me pencher en avant, dans une position que je ne me savais pas capable de prendre.

- Je t'accorde un point pour le cache-cache, mais montres-moi comment tu combats !

Et sans attendre, je bondis à sa rencontre pour la percuter de tout mon poids. Sous le choc de ma masse, elle roule dans la boue. Je fonds sur elle, plante mes griffes dans ses côtes en veillant à ne pas lui faire mal et je plonge mes crocs dans son encolure sans chercher à la blesser. J'ignore ce que je suis en train de faire, je n'avais jamais retenu mes coups lors d'un combat, mais il semblerait qu'elle ait imposé ces règles d'elle-même. Alors peu m'importe le but de tout cela, je veux participer aussi.