HRP:

Combien de semaines, depuis que les meutes se sont trouvées contraintes de se retirer sous terre ? Bien trop à mon goût. Alors, au sortir de ces fichues galeries qui m'ont tenu captif tout ce temps, je m'étire longuement et j'inspire profondément pour profiter de cet air pollué, mais pas moins délicieux dans mes poumons. J'en avais mare de toute cette poussière, de toutes ces particules de terre humides qui se collaient à mon pelage et rendait ma langue pâteuse. Enfin dehors. C'est une grande liberté qui s'offre de nouveau à nous, même si nous sommes forcé de constater les dégâts causés encore et toujours par les humains. Ca ne leur a pas suffit de nous traquer même sous terre et de nous enlever nos frères et nos soeurs, il leur a fallu détruire le monde à la surface pour ne pas nous le rendre comme nous leur avions laissé. Nous aurions dû nous battre, probablement. Et nous l'aurions fait si nous avions eu une chance, même infime, de gagner la guerre. Mais nous ne sommes pas aussi stupides que les bipèdes. Nous sommes capables de réaliser lorsqu'une bataille est perdue d'avance, et nous avons préférer nous cacher pour revenir en force. En force, ou ce qu'il en reste, après les disparitions de loups, sous la surface. Je repense à Arawn, que j'ai abandonné sous terre. Arawn qui voulait une seconde chance, qui désirait faire ses preuves. Arawn qui a été emmené et dont j'ai vu le souffle de vie avant de m'enfuit lâchement dans les galeries, priant pour que les molosses dressés ne me poursuivent pas jusqu'à me capturer moi aussi. Je soupire, résigné à porter cette lâcheté jusqu'à la fin de ma vie. Mais je me suis promis que ce n'était que partie remise. Je les traquerais à mon tour, je les abattrais de sang froid et je sortirais mon apprenti de cette mauvaise passe dans laquelle je l'ai laissé. C'est dans une optique de vengeance et ce désir de sang que je croise le chemin de ma compagne. Ma douce compagne que je n'ai que si peu vu durant les dernières semaines. Tous deux avons de grandes responsabilités, chacun pour un camp opposé. Nous nous aimons. Ou du moins je l'aime, je le sais. Mais nous sommes tous deux loyaux à nos clans. Mais un jour, je veux y croire, elle et moi partirons. Nous emmènerons notre famille et nous quitterons ces conflits incessants entre deux meutes qui devraient plutôt s'allier que de se combattre, et qui préfèrent jouer les fiers et se démener chacune de son côté. Je m'approche d'elle et je lui dépose une lèche affectueuse sur le museau, désireux de son contact. Je la trouve amaigrie et moins véloce que par le passé. Probablement est-ce dû à notre progéniture qui a dû lui prendre tant de son énergie ...

- Enfin à la surface ... Je suis heureux de te revoir.

Atom n'a jamais été la louve la plus expansive en amour. Elle me convient à la perfection pour son caractère bien trempé et son amour pudique pas moins profondément sincère. Mais notre étreinte dure peu de temps. Malgré son allure famélique qui me brise le coeur, Atom n'en reste pas moins Atom et elle voit bien dans mon regard, que je la crois plus faible qu'auparavant. Elle me propose une bagarre. Je n'ai pas le temps de répondre, déjà ma compagne se jette sur moi et me bouscule violemment. Mais je suis trop inquiété de sa santé pour vouloir me battre contre elle, j'ai peur de lui faire plus de mal que je ne voudrais. Alors je finis à terre en un rien de temps, comme si la louve en face de moi avait la force de dix guerriers sur-entraînés. Elle me roule avec une facilité déconcertante, abat ses griffes sur moi, et je ne réagis aucunement. Je la laisse se dégourdir, libérer sa force contre moi sans jamais essayer de me débattre.

Cela ne plait visiblement pas à Atom, qui gronde de colère. Je la savais encline à grogner facilement, je sais bien qu'elle a un sale caractère. De là à penser qu'elle m'en voudrait autant de la laisser faire ce dont elle a envie sans m'interposer un minimum, j'avoue être surpris. Alors elle me mets un véritable défi. Oublier notre couple et combattre comme les guerriers que nous sommes. A ses yeux, pour les minutes à venir, je ne suis qu'un hordien qui empiète sur les terres de sa meute. Pas son compagnon, pas le père de ses petits. Un intrus, un indésirable caillou sur son chemin. Elle gronde férocement, se met en garde, et attaque aussitôt. Ou je me bats, ou elle me tue. C'est en tout cas l'air qu'elle donne. Je lis sa rage dans ses yeux, le trop-plein d'énergie qu'elle a accumulé, forcée de se terrer dans sa tanière avec nos quatre petits depuis plusieurs semaines. Je lis sa détermination, et je comprends que son amaigrissement ne donne pas lieu à un quelconque affaiblissement. Atom reste Atom, et sa progéniture ne saurait l'avoir rendue frêle.

Alors, enfin, je plonge dans le conflit. Je chasse mes sentiments, je m'insuffle la rage de me battre, le courage de faire couler le sang. Je bondis sur elle comme un prédateur sur sa proie. Elle m'esquive en un pas de côté, brandis ses crocs devant elle et les plante dans ma chair. Je pousse un grondement de douleur, fronce le regard et tourne vivement la tête pour lui rendre la pareille. Mes armes meurtrières se plantent dans son encolure, je serre fortement mon étau sur sa peau, et je tire brutalement pour la déstabiliser. Elle perd l'équilibre, se rattrape, mais je la roule au sol la seconde suivante. Mes antérieures volent au-dessus de son épaule pour la canaliser dans la poussière cendrée de la clairière, et ses postérieures tapent furieusement mes flancs pour me dégager de cette position de dominance. Ses crocs claquent près de ma tête, elle essaie de m'atteindre et je ne lâche pas son encolure, empêchant ainsi ses mâchoires de se refermer sur mon visage. Quelques secondes plus tard, je relâche la pression et m'éloigne d'un bond pour reprendre mon souffle.

Mais déjà les grondements mécontents de ma compagne me menacent à nouveau, et l'instant suivant je suis sous le joug de sa force colossale. Nous sommes à force quasi égale, même si je ne doute pas qu'elle serait encore en meilleure forme si elle n'avait pas eu autant de travail ces dernières semaines. Je souffle, m'époumone, et je bondis à nouveau à sa rencontre. Nos corps se percutent dans un écho sinistre, nos muscles se tendent les uns contre les autres et nos griffes s'ancrent dans la chair avec véhémence. Les griffures sont douloureuses, la douleur est vive mais nous essayons tous deux de faire abstraction de la souffrance ressentie pour s'acharner dans le combat. Les minutes s'écoulent dans une intensité rare, et nos souffles se mêlent pour ne faire qu'un. La rage qu'elle dégage se transmet à mes mouvements, et nous ne sommes alors plus que deux titans qui luttent pour abattre leur adversaire dans une lutte acharnée. Dans ma tête, par instants, je n'entends plus qu'une voix qui m'ordonne d'abattre ma cible. Ce n'est que lorsque je croise de nouveau son regard que je me réveille de cette transe, alors je reprends le combat sans penser à tuer, mais sans pour autant baisser ma garde ou diminuer la puissance de mes coups.

Nos échanges se multiplient, le combat s'intensifie et le souffle nous manque, mais il semblerait que nous ayons trop besoin de ça pour nous arrêter maintenant. Alors que je suis sous la masse de ma compagne, elle me lance une pique sur un ton victorieux.

- Alors, un problème ?

Je lui réponds par un sourire narquois, la fixant droit dans les yeux pour détourner son attention tandis que mes pattes se placent furtivement sous son corps.

- Aucun, tu es splendide, vue d'ici.

Je bascule de manière à la balancer par-dessus moi, et le temps que je me relève elle en fait de même. De nouveau l'un en face de l'autre, nous nous toisons le temps d'un instant. Je cligne encore des yeux, la poussière m'a atteint et même si mon oeil gauche est pratiquement aveugle, il n'en n'est pas pour autant insensible. Ma cornée me brûle, à tel point qu'une larme pointe au coin de mes yeux. Pourtant je ne lâche pas prise, et je fonds sur elle sans demander mon reste. Mes crocs claquent près de son épaule, mais je redresse la tête à l'instant où elle veut m'arrêter et je lui mords brutalement la joue, pinçant assez fort pour qu'elle ne puisse pas se retirer. Je tire fort sur sa peau pour la tirer en avant, et lorsqu'elle perd l'équilibre et se prépare à tomber en avant, je la pousse brutalement en arrière pour mettre tout mon poids dans une chute à la renverse. Ses postérieures se plantent dans mon abdomen, là où la cage-thoracique ne protège plus les organes, et je gronde de douleur en sentant leur poids sur mes tripes. Le souffle coupé pendant de longues secondes, je trouve par miracle la forte de lui balancer un violent coup de griffe au visage, la forçant a rouler à coup de claquements de mâchoires menaçants. Et lorsque ses pattes se sont éloignées de mon ventre, je bascule un peu plus pour immobiliser ses postérieures loin de moi, m'affalant de tout mon long pour lui mordre l'échine. C'est évidemment sans compter la ruse de ma tendre Atom, qui esquive ma morsure à la dernière seconde et me vaut de goutter la terre humide, crissante entre mes dents. Je gagne un coup de crocs à la tempe et je m'éloigne d'elle quelques instants, reprenant mon souffle. Puis, fronçant le regard, je la toise et la jauge, avant de me tapir au sol en attendant qu'elle vienne à moi. Elle hésite, se demande quel plan j'ai en tête, puis s'approche lentement. Finalement agacée, elle bondit dans ma direction et alors qu'elle arrive sur moi, je roule vivement sur le côté pour me relever aussitôt et m'empresser de lui mordre l'échine, la plaquant au sol sous mon poids de colosse. Grondant alors, le visage illuminé par un sourire mesquin, je ne lâche pas ma prise et lui empêche tout mouvement pendant de longues secondes.

- Alors, un problème ?