Zwey assura sa prise sur le lapin de ses pattes avant et, d'un coup de crocs impatient, déchira sa fourrure brune pour accéder à sa chair gorgée de sang. Le loup tricolore fourragea avidement dans la viande rose, engloutissant son repas beaucoup trop vite, comme d'habitude. Il ne parvenait pas à prendre son temps en mangeant, et ne cherchait même plus à ralentir la cadence : il avait beau savoir que son estomac se remettrait à gronder d'autant plus rapidement, c'était plus fort que lui. Et puis de toute façon, une sentinelle venait de rentrer au camp, c'était son tour de garde, il ne fallait pas qu'il traîne. S'il lui fallait une excuse pour justifier sa gloutonnerie, ce qui n'était pas le cas.
Zwey mit tout de même beaucoup d'application à nettoyer les os de sa proie, les cassant sous ses dents pour en aspirer la moelle, jusqu'à ce qu'une apaisante sensation de satiété l'envahisse. Certes, le lapin n'était pas gros, voire même maigrichon, mais il lui en fallait peu pour être rassasié : de l'intérêt de ne pas être une montagne de muscles par les temps qui couraient. Le jeune loup passa une langue satisfaite sur son museau et se releva : il alla enterrer les maigres restes de son repas, puis se dirigea tranquillement vers la sortie du camp.

Zwey entama sa ronde comme tous les jours, trottant sans se presser vers la mi-chemin des frontières pour mieux quadriller l'ensemble de la zone. Il traversa les étendues stériles de poussière brune, parsemées de cratères où seuls quelques corbeaux voyaient encore l'intérêt de s'aventurer. Il n'aimait pas passer du temps à découvert, et se pressa vers le couvert des arbres les plus proches.
Enfin. Le couvert. Tout était devenu très relatif depuis leur remontée à la surface.
Pour appuyer sa pensée, Zwey donna un coup de museau dans un arbre carbonisé dont une branche s'effrita immédiatement. Très relatif.
Soudain, une odeur caractéristique - d'autant plus reconnaissable à cette période de l'année - parvint à son museau. La sentinelle se figea derrière l'arbuste, oreilles dressées et yeux étrécis : il y avait bel un autre représentant de son espèce non loin. Entrouvrant la gueule, l'Esobek goûta l'air : il était sous le vent, l'autre avait déjà dû sentir sa présence. D'après ce que lui pouvait percevoir, c'était une femelle. Seule.
Et plus intéressant, pas Esobek pour un sou.
Là où la majorité de son clan aurait déjà eu l'échine hérissée comme celle d'un porc-épic à cette simple idée, Zwey se contenta de pointer les oreilles en avant, attentif. Apparemment, la louve s'était arrêtée. Ce qui signifiait tout simplement qu'elle attendait qu'il se montre.
Allons bon. De toute façon, c'était son job. Zwey renifla, un peu ennuyé de ne pas avoir croisé de congénère sur son chemin jusqu'au bosquet : il jouait un peu sans corde de sûreté, mais ne pouvait pas y faire grand chose. Puisqu'il fallait y aller...

Le jeune mâle sortit donc de sa cachette et trotta sans se presser vers la louve blanche, immobilisée à quelques mètres de sa position. A première vue, elle ne montrait pas d'agressivité, mais ce n'était pas une raison pour baisser sa garde. Le loup brun entreprit de lui tourner lentement autour, échine baissée, reniflant son odeur de façon plutôt neutre. La queue battant paresseusement, il restait tout de même aux aguets et attentif au moindre coup de patte éventuel.
Un sourire matois en coin, il prit les devants :

« Eh bien ma jolie, on s’est perdue ? »

Idée peu probable s'il en est. Mais impossible de dire à première vue si elle était solitaire ou non.