Malheureusement pour Zwey, le loup noir se montrait imperméable à toute tentative pour faire avancer les choses. Le jeune fauve contempla son vis-à-vis, qui renâclait avec une vigueur proportionnelle à l'insulte :

« T'm'as pris pour quoi ? Si tu la veux ta bestiole, tu descends la chercher. »

Rho; quel rabat-joie. Mais il le cherchait, aussi.
En tout cas, pas moyen de marchander avec celui-là. C'était vraiment tout l'un ou tout l'autre. Malheureusement, Zwey n'avait pas spécialement l'intention de suivre les plans du hordien.
C'est qu'il disposait d'un libre arbitre lui aussi, hey.

« Tu sais que si je monte te chercher, on risque de se faire mal tout les deux ? Alors arrête de faire ta princesse et descend. T'as quand même pas cru que j'allais te nourrir alors que t'es pas de ma meute. »

Il devenait agaçant, à insister comme ça. Zwey avait rarement rencontré un loup aussi têtu : n'était-il pas capable de comprendre que tout ne pouvait pas toujours se passer comme il l'exigeait ? S'il voulait faire changer les choses, qu'il bouge au moins ses fesses, effectivement. Si le loup brun avait décidé de ne pas descendre, il ne descendrait pas, point barre. Râler n'y changerait rien, surtout s'il était question de sauver sa peau.
Et puis, il ferait quoi le loup noir, une fois son copain roux descendu hein ? Le fixer avec un sourire béat ? Lui sauter dessus pour évacuer la frustration ? Franchement, aucune possibilité n'intéressait particulièrement Zwey.
Mis à part celle du lapin, bien sûr.

« Si tu montes me chercher, je te pousse et tu seras le seul à te faire mal. » Signala-t-il en claquant des dents

Quelque part, l'esobek ayant compris qu'il ne tirerait que difficilement quelque chose de profitable de son encombrant compagnon, il avait presque envie de se mettre à le titiller exprès. Pour passer le temps qu'il lui volait à faire le pied de grue en bas de sa tour.
Mais encore une fois, il pensait sincèrement que ce ne serait pas une bonne idée.
Un souvenir remontant à la surface lui donna alors une solution intermédiaire parfaite : réprimant un sourire, le loup brun se remit sur ses pattes et commença à arpenter son perchoir, sans lâcher le noir des yeux.

« Elle court, elle court, sur des galets blancs. » un grondement de rire, « Jour et nuit, hurlante est sa voix ; Et plein d'étoiles son ventre grondant, Solitaire en son convoi. »

Elle court, elle court, sur des galets blancs...
Il se souvenait vaguement de cette énigme. Est-ce que c'était sa mère, sa grand-mère, ou une de ses tantes qui l'avait distrait avec lors de la longue marche, il y a si longtemps ? Il ne se souvenait plus. Elle lui trottait encore dans la tête, les jours de pluie.
Une comptine pour les chiots. Comme c'était touchant.

« Prends garde à tes pattes mon enfant. Car jour et nuit, hurlante est sa voix ; Et sans pitié t'emportera. »

Le loup s'arrêta et se pencha vers son interlocuteur, moqueur :

« Qui. Est. Elle. » Un large sourire s'étira sur les babines du loup : « Si tu trouves, je descends. Sinon, tu me devras une faveur. »

Ok, ça faisait peut-être un peu beaucoup d'un coup mais hey. Tant qu'il y était. Zwey voyait bien que le loup noir n'était pas du genre patient : alors s'il lui offrait une possibilité, autant la saisir tout de suite non ?

Zwey sourit à belles dents en voyant son interlocuteur se résigner à jouer un peu avec son cerveau. Pour une fois qu'on lui demandait de s'en servir - ce n'était pas le point fort des hordiens, la réflexion, non ? Il risquait de se faire mal à la tête d'ailleurs.
Patient, Zwey s'assit. Puis s'allongea au bord du toit et posa le museau sur ses pattes avec un léger soupir. Tandis qu'en bas le loup noir faisait clignoter ses neurone en balayant le sol de sa queue, en haut le ciel s'obscurcissait lentement, jusqu'à ce que de violet sombre et sale il devienne déchiré de bleu nuit, puis presque noir.
Zwey somnolait dans la demi-pénombre, paupières mi-closes sur ses yeux noisette, lorsque le loup noir remua en contrebas :

« La langue ? »

L'esobek redressa la tête, cligna des yeux, puis tira la sienne avec plaisir. Raté. Il prit son temps pour s'étirer et bâiller afin de chasser les dernières brumes de la sieste que, en se taisant, le hordien lui avait permis de faire. Merci à lui d'ailleurs.

« La faim. » Rajoutait déjà l'animal en bas. Zwey s'amusa de le voir trépigner d'impatience (et d'agacement aussi, très certainement) comme un chiot. « Alors, j'ai gagné ou perdu ? »

Juste pour le plaisir - après tout c'était sa faute s'ils restaient bêtement là à se regarder dans le blanc des yeux au lieu de chasser, hein - le rouquin se releva lentement et fit rouler ses muscles engourdis en s'ébrouant, avant de répondre. Chose qu'il fit avec un sourire de loup, en regardant le loup noir droit dans les yeux.
En même temps vu la baisse de luminosité, c'était un peu tout ce qu'il distinguait de lui.

« Peeeer. Du. Tu m'en dois une mon gros, hé. »

Oui, tout cela l'amusait beaucoup.
Avec un aboiement narquois, le loup brun disparut derechef sous l'ombre de la deuxième voiture. L'idée était d'attirer l'attention de son congénère sur cette cachette : seulement ce dernier ignorait qu'en s'y réfugiant précédemment, Zwey avait remarqué un fait intéressant. L'interstice sur le côté, entre les roues de la voiture du dessus, était assez large pour le laisser descendre sur le flanc du van. Et par conséquent, il pouvait très bien s'éclipser par le côté opposé au hordien sans se faire remarquer en premier lieu.
D'où l'utilité de la nuit, sinon il aurait été bien plus facilement détectable.
En un instant, Zwey se laissa glisser à terre le long du flanc du monstre de métal. Ses pattes touchèrent le sol poussiéreux avec un bruit étouffé. Il ne fit ni une ni deux et démarra au quart de tour, prenant d'un coup plusieurs mètres d'avance sur le gros canidé noir : puisque ce dernier était sûrement plus rapide que lui, c'était là sa seule chance de lui échapper.
Si d'aventure le hordien avait toujours dans l'idée de le bouffer tout cru, certes : mais Zwey savait ce que lui aurait fait, s'il avait eu la carrure du loup noir et venait de perdre un pari.
Il n'aurait pas laissé la chair sur les os, en tout cas.

« Souviens-t'en pour la prochaine fois, hein ! » Cria l'esobek au loup noir, de loin et prêt à repartir au quart de tour.