Imagine si nous vivions dans un monde parfait

Ton souffle est saccadé, rauque et se répercute contre les parois de ta gorge qui commence à te faire souffrir le martyr. Tu as beaucoup trop marché, tu as dépensé énormément d'énergie et tu n'as rien eu à te mettre sous la dent, et ton estomac commençait à te le faire savoir. En réalité, tout ton corps réclamait un peu de nourriture, un peu d'énergie afin de fonctionner correctement. Déjà que ton oeil droit était inutilisable, tu commençais à voir flou de celui de gauche et une certaine panique était en train d'envahir tout ton être. Et si tu venais à rendre l'âme juste ici, sur les terres du sud? Une boule se forma au creux de ta gorge.
Merde.
Tes pas te mènent jusqu'à la plage blanche, une immensité de sable fin et gris d'où ressortent quelques fils barbelés peinant à tenir debout, entourant ces maisons de fer et de bétons, probablement anciennement habitées - ou encore habitées - par des humains. Il n'y a rien, juste un désert entourant un étendu d'eau aux couleurs étranges, mais magnifiques. Même pas de quoi se mettre sous la dent. Un couinement s'échappe d'entre tes babines, et tu décides de t'écraser juste devant l'immense océan, plissant les yeux, ton visage se faisant fouetter violemment par le vent qui décidait d'être de plus en plus tenace. Vu les conditions du lieu, pas étonnant qu'il n'y ai rien ici.
Découragé, tu fermas complètement les yeux, poussant un soupire plein de reproches. De reproches contre toi même, contre les humains, contre la vie entière. Pourquoi la vie avait-elle besoin d'être si compliquée? Tu t'imaginais courant dans des prés de verdures, dégustant non sans plaisir le cadavre d'un jeune daim bien frais... Il y a de cela longtemps que l'odeur salé du sang d'un daim était parvenu à ta langue. Un grondement dans ton ventre se fit entendre, puis les lancements de douleurs causés par la faim se firent sentir.
L'odeur vague d'une présence se fit sentir. Tu ouvris les yeux et tes oreilles se redressèrent. Nourriture? Ennemi? Tu étais tellement préoccupé par la douleur dans ton estomac que ton jugement en devenait floué. Tu te leva finalement, afin d'avoir plus de défenses et ton regard balaya la plage afin de voir d'où venait l'odeur, mais tu ne vis rien.

« Il y a quelqu'un? » Tonnas-tu. Tu laissas quelques secondes passer. « Je crois que je m'imagine des trucs... » Marmonnas-tu pour toi même.

Mais tu ne bougeas pas, ta truffe tentant toujours de capter les odeurs, tes oreilles bien droites tentant de percevoir le moindre bruit.

Imagine si nous vivions dans un monde parfait

Une voix te réponds, non sans attendre. Il y a à peine eu quelques secondes d'écart entre ton doute et le retour à la réalité. La voix s'était rapprochée, mais cela ne te rassurait pas le moins du monde. Qui était cet inconnu, que voulait-il, pourquoi s'amusait-il à ce point avec tes nerfs? Tu te redressas. Le vent était tombé et un voile de brume s'était installé, t'empêchant de voir correctement. Tu sentais sa présence, son odeur corsée, caractéristique d'une meute. Ça sentait la soumission à plein nez et ça te levait le cœur.

« S'il y a bien quelqu'un, alors, que me voulez-vous, étranger? »

Tu fis quelques pas en direction de l'ombre qui s'approchait de toi. Quelques mètres vous séparaient, tout au plus, mais la proximité ne t'avais jamais effrayé. C'était une femelle, mais elle était aussi grande que toi, voir te dépassait de quelques centimètres. Tu n'étais pas bien grand, mais là n'était pas le problème. Être petit avait parfois des avantages. Fuir plus rapidement si l'envie te le disais, surtout.

« Je m'appelle King et je ne suis qu'un solitaire qui ne veux pas de mal à qui que ce sois. En est-il de même pour vous? » Demanda-t-il. Niveau question de valeurs, il en avait posé une jolie.

Imagine si nous vivions dans un monde parfait

La femelle était froide dans ses propos, mais ne semblait pas être une psychopathe en manque de sexe, de sang et de douleur. C'était déjà ça. Un stress de moins. Tu t'approchas encore, et la brume se dispersa un peu. Tu pouvais désormais la voir, tu pouvais voir son pelage tricolore, et son regard... son regard si similaire au tiens. Ce regard pâle, dénué d'émotion. Était-elle aveugle elle aussi? Enfin, elle l'était probablement plus que toi.
Elle fit clairement entendre qu'elle ne te voulait pas de mal et tu hochas la tête, satisfait. Helya était une Sekmet, Helya avait la gueule d'une tueuse en série, mais Helya était un minimum respectable.

« Pour errer souvent en terres neutres, je peux vous garantir qu'excepté les orages, les solitaires enragés, les ours et les pièges des bipèdes, il n'y a rien d'intéressant. Vous êtes probablement mieux dans votre petite meute qu'ici, mademoiselle. M'enfin, si vous vous jugez apte et courageuse... qui suis-je pour remettre en question vos décisions? »

Tu regardas les alentours. Qu'est-ce qu'il y avait de si intéressant et mystique, ici? Rien. De la désolation, de la mort, de l'ennui partout, voilà ce qu'il y avait. N'y en avait-il pas déjà assez sur leur terres, ils voulaient visiter celles des solitaires? Ils étaient bien étrange, ces loups de meute.

Imagine si nous vivions dans un monde parfait

Elle ne répondit pas à ton monologue. Ils n'aimaient pas tous parler, les loups. Tu étais une exception, une sacrée exception d'ailleurs. Tes parents t'avaient bel et bien donné le don de la parole, tu étais un conteur dans l'âme. Certains trouvaient cela inutile, énervant. Peut-être que la femelle en face le trouvait aussi, mais qu'elle cachait son jeu. De toute manière, tu t'en foutait. Si cela la dérangeait, elle n'avait qu'à te le dire et tu t'en irais, oubliant cette rencontre quelques heures après.
Ton ventre recommença a faire des bruits étrange. Tu avais l'impression de te digérer de l'intérieur, de t'auto-bouffer, c'était assez dégoûtant. Tu soupira et te racla la gorge afin de cacher les bruits. Elle n'avait probablement pas ce problème là. En meute, on chasse pour la troupe... et chasser en groupe rapporte toujours plus que de chasser en solitaire. Encore plus quand ce solitaire est borgne, affamé et affaibli.

« Si j'ai faim? Bien sur que j'ai faim. Voyez-vous de la nourriture ici, mademoiselle? La dernière chose que mes papilles gustatives ont goûtées, c'est la chair en décomposition d'un vieux lièvre déjà entamé. Et cela remonte à cinq jours. »

Tu ne voulais pas faire ta victime, juste lui prouver que ce n'était pas facile pour tout le monde.