Bon. Avec toutes ces nouveautés dans ma vie, il est grand temps que je reprenne ma place au sein de la horde. J'ai laissé mes jeunes courir tranquillement depuis trop longtemps, et je suis certain que mes réprimandes de vieux grincheux leur manquent, à tous. Oh certains en sont ravis, mais cela m'importe peu. J'ai cru entendre que l'Alpha des Esobeks sortait doucement de son trou, qu'elle commençait à reprendre des forces. Si je veux que mes guerriers -du moins ceux de Skull- soient prêts le jour J, il est grand temps que je reprenne mon rôle de Guerrier Mentor avec plus de sérieux et de rigueur. Mes petits grandissent bien, alors le moment est venu pour moi de retourner à mes occupations de hordien. Et je commence aujourd'hui par Fjorgur, mon apprenti assassin. Je porte en lui de bons espoirs, je suis certain qu'il saura faire preuve de beaucoup de tact, le moment voulu. Il a beaucoup à apprendre, mais il est motivé, je l'ai vu dans son regard quand il a eu décidé de rejoindre la horde. Si nous devons mourir, je serais fier de mourir à ses côtés. Il est né Sekmet, comme moi, et pourtant il a fini par les haïr. Nous avons donc forcément des choses en commun, et notre haine pour notre meute natale devrait nous rapprocher rapidement l'un de l'autre. Je lui ai donné rendez-vous. En route.

J'ai pensé qu'un retour aux sources serait un bon début pour notre première séance ensemble. Là-haut, à la surface, le danger est permanent. Les bombardements, les chasseurs humains qui cherchent désespérément les dernières proies vivant sur nos terres, les pluies acides, aussi. Tout est une raison de ne pas vouloir quitter les sous-terrains et pourtant, c'est en-dehors que j'ai poussé Fjorgur pour son premier entraînement. Je ne suis pas le genre à pousser mes jeunes dans le petit bain pour les amadouer. Ici, parmi les hordiens, il faut savoir plonger ou être prêt à se noyer. Pas de place pour les lâches et les faibles. Et surtout pas entre mes pattes, d'ailleurs. Je ne laisserais pas un froussard me faire perdre mon temps en de vains entraînements s'il ne me montre pas immédiatement ses capacités et sa détermination à aller au bout de ses projets. La respiration retenue, les muscles tendus, je guette l'arrivée de mon apprenti. Aura-t-il le cran de me rejoindre ici, à la surface ? Caché derrière quelque bosquet roussi par les flammes dans le passé, je surveille l'épave de l'oiseau de fer qui a servi autrefois à abriter les victuailles Sekmets. Je souris à pleines dents lorsque Fjorgur fait son apparition. Un point pour lui. Je le laisse poireauter de longues minutes avant de sortir de ma cachette, l'air d'arriver tout droit des sous-terrains, comme lui.

- Bien, je vois que tu es là.

Le sourire qui s'affiche sur la face argentée de mon apprenti en dit long sur ses intentions. Il est peut-être conscient d'avoir déjà gagné une première leçon, mais j'en doute. Je ne crois pas avoir déjà vu un mentor gérer ses entraînements de la même manière que moi. Je n'ai jamais vu un mentor jeter son apprenti aux portes de la Mort pour simplement se faire une première idée de sa témérité. Pourtant c'est ce que je viens de faire avec Fjorgur, et il n'en n'est pas à son dernier test, c'est une promesse que je fais. Je m'avance de quelques pas supplémentaires pour le rejoindre, tandis que le jeune mâle affirme être prêt à commencer. C'est quand je veux, d'après ses dires. Pourtant je n'esquisse aucun mouvement de préparation et, tout en observant mon jeune acolyte sous toutes les coutures, je ne dis mot. J'attends que les secondes s'écoulent, que le temps fasse son affaire et sème le doute dans l'esprit de Fjorgur. Je veux qu'il se demande ce que je fais, ce que j'attends. Je veux qu'il réfléchisse, qu'il s'impatiente, qu'il tente de comprendre pourquoi je ne dis ni ne fais rien alors qu'il vient de m'annoncer être d'attaquer pour enfin commencer l'entrainement.

Je laisse ainsi le temps s'étirer, les secondes se suivre et les minutes s'entasser. Ce n'est que lorsque son attention est totalement éparpillée en une multitudes de questions silencieuses, que je frappe brutalement son flanc droit pour l'étaler au sol en abattant brusquement mes deux antérieures contre lui dans un mouvement fluide tout autant que violent. Je le regarde qui roule au sol dans un grognement surpris, et j'esquisse un sourire en coin tout en reprenant aisément mon équilibre.

- Je te croyais prêt ?

Aussitôt, évidemment, le jeune mâle se relève. Je lui tourne autour, le toise, le jauge pendant de longues secondes. Ma provocation le fait réfléchir encore, je suppose qu'il hésite entre poser des questions et agir, il essaie de deviner ce que j'attends de lui. Et, à distance, je continue ma ronde infernale sans l'attaquer une seconde fois. Je le laisse à ses réflexions, j'attends de voir ce qu'il compte faire parce que moi, je sais ce que je ferais dans une telle situation, et je sais avec exactitude ce que j'attends de lui. Le doute, la réflexion et ensuite, la partie la plus importante d'un duel : l'action. Voyons si ses agissements sont basés sur la violence ou la négociation. Je mets ses compétences à l'épreuve, à lui de me faire voir ce qu'il vaut et ce que je pourrais faire de lui le moment venu.

L'attente est longue. Bien plus longue que ce à quoi je m'attendais. La première fois que j'ai rencontré Fjorgur, nous n'avons pas eu besoin d'échanger un mot. Lui était là en quête d'un conflit facile, et moi je n'attendais alors qu'une infime raison pour sauter à la gorge du premier loup que je croiserais. Nous étions d'accord avant même de nous voir. Nous savions pourquoi l'un et l'autre, nous étions là. Et si j'ai remporté le duel, il n'en n'est pas moins que le jeune mâle n'avait pas autant hésité à attaquer que ce qu'il hésite aujourd'hui. Peut-être sont-ce les circonstances qui le troublent. Peut-être un combat entre mâles inconnus est-il plus simple à anticiper qu'un entraînement avec son mentor. Il réfléchit, essaie d'analyser. Il me scrute de longues secondes, durant lesquelles je lui tourne autour. Encore, et encore. Et puis, enfin, l'attente prend fin. Fjorgur se met en marche, il tente de suivre mon rythme et de m'imiter. C'est là ce que j'attendais. Pas exactement de la manière que je l'attendais, mais il s'en rapproche et c'est tant mieux. Je le fixe, sur ma gauche, et je fais mine d'analyser ses moindres déplacements alors qu'en réalité, je ne vois pas de cet oeil. Je ne distingue que sa silhouette et ça, seule ma soeur le sait. Mon handicap ne sera pas révélé aujourd'hui.

Mentalement, je me mets à la place de mon jeune acolyte. Je cherche mes faiblesses et c'est plus compliqué que ça en a l'air, puisqu'il n'a accès qu'à une partie d'entre elles. Il ne peut pas savoir qu'en attaquant par la gauche, il a plus de chances de m'avoir. Il ignore que le silence est le maître-mot pour me soumettre. Il ne peut deviner que si, par mégarde ou volontairement, il se roulait dans la boue, je ne serais plus en mesure de le suivre à l'odeur et que cela diminuerait mes chances de victoire. Il ignore en fait, que je suis bien plus faible que je n'y parait. Alors, je me base sur des connaissances de bases. Je sais que je suis lourdement musclé, ce qui me ralentit. Je sais que le corps à corps ne serait pas un atout pour lui, et que les attaques de face serait une tentative de suicide pure et simple. Je sais aussi que lui, il est plus jeune et donc, plus vif. Il doit jouer sur l'effet de surprise, il n'a pas le choix. Avant de tomber à terre sous l'épuisement, il se décide. Mais c'est ni comme je l'espérais, ni comme je m'y attendais. Je sens ses pattes s'appuyer lourdement sur ma croupe, me faisant perdre l'équilibre dans mes foulées. Je fronce le regard et, gardant mon sang-froid, je me retourne tout aussi vite en grondant. Si la surprise est là, elle n'est pas assez grande pour lui faire gagner cette manche. Mes crocs se referment dangereusement sur son encolure, et je me sers de l'élan qu'il a donné à mon train arrière pour me retourner complètement et me retrouver sur lui, le jetant au sol sans lâcher ma prise sur sa fourrure. Alors qu'il tombe lourdement sur le sol, mes mâchoires se déplacent et attrapent sa gorge, juste sous la jugulaire. Je serre de manière à lui faire mal, mais pas assez fort pour le blesser. Et je gronde. Un son guttural sort de ma gorge pour menacer sa vie. Juste deux ou trois secondes, pas plus. Je le relâche, et recule de deux pas pour le fixer dans les yeux.

- Tu apprendra les attaques de traîtres par Tybalt, si tu le souhaite. Sous mes entraînements, tu vas apprendre à te servir de ce que tu vaux vraiment.

J'éveillerais le loup fier et courageux. Pas le renard fourbe et rusé.

- Difficile de savoir ce qu’on attend de moi si on ne me dit rien, en même temps.

Je comprends sa réaction. Fut un temps, j'ai moi aussi été à sa place. Avec moins de règles et plus de blessures certes, mais je suis capable d'éprouver pour lui une certaine compassion. Je le fixe durement dans les yeux, ne laissant transparaître aucune émotion sur mon visage. Ni colère, ni empathie. Rien. Il sait qu'il a fait une erreur, il la regrette déjà amèrement. Mais je sais que de nos jours, fermer sa gueule est un signe de faiblesse. Et je ne tolère la faiblesse d'un loup que si elle est combattue avec hargne chaque jour de son existence. Je vois clairement ses muscles se tendre sous sa peau. Il est prêt à combattre de nouveau. Je m'approche, et je perçois ses oreilles qui se plaquent contre son crâne. Non, il n'est pas prêt à combattre. Il est résigné à recevoir la sentence de son manque de respect. Il attend de moi que je me comporte en Hordien, que je le massacre pour avoir osé parler à un loup plus puissant que lui. Et si mon regard dur et impénétrable cherche le sien, fuyant, je ne laisse toujours apparaître aucun sentiment sur mon visage.

- Désolé, je ne voulais pas remettre en cause vos méthodes, ça n’arrivera plus.

Il a déjà trop parlé, il n'ose pas avoir la prétention de me rendre mon regard. Il détourne ses yeux ambrés, comme s'il pouvait me fuir sans pour autant quitter les lieux. Je m'approche encore un peu et, de mes yeux de saphir, je le scrute sans aucune gène. Par mon simple regard, je le pousse a se soumettre et je sais que, dans l'esprit d'un autre, ce serait là une sensation extatique, une pure merveille que le sentiment de supériorité éprouvé face à un loup qui se soumet. Pourtant, je ne dis toujours rien et, lorsque je suis assez près de lui, je balance mes pattes antérieures vers ses côtes et je le pousse de toutes mes forces pour le secouer violemment, tandis qu'il roule dans la terre humide. Je le regarde qui se relève, interloqué, et j'affiche ce même air dur et impassible que depuis le départ. Il semble désorienté, comme s'il cherchait le but de tout ceci, comme s'il attendait des réponses à ses questions. Mais je ne dis rien, encore et toujours cette ombre silencieuse planant au-dessus de lui. Menace ou protection, difficile d'en juger de son point de vue.

- Comptes-tu demander des indications à tes ennemis ? Maintenant debout !

Un grondement sourd passe ses babines, et son corps s'élève pour reprendre appui sur ses quatre pattes. Enfin, le loup se réveille. Enfin il prend conscience qu'il ne s'en tirera pas en bavardant. Je ne lui ai demandé aucune question, et la théorie ne vaudra jamais la pratique, à mes yeux. Il va falloir que je lui trouve un autre adversaire, qu'il pourra combattre en ayant confiance en lui. Face à moi, il sait n'avoir aucune chance et il part perdant. Il n'a probablement pas la même montée d'adrénaline qu'il aurait face à un véritable adversaire. Il ne ressent pas cette émotion d'envie et la rage de vaincre, qu'il a dû ressentir à notre toute première rencontre. Aujourd'hui, il se sait perdant et ne trouve pas la motivation de se battre dans un but purement temporaire. Il se bat pour apprendre, pas pour survivre, et c'est là son erreur. Malgré tout, il semble prêt à réessayer, et sa détermination excuse en partie son incompréhension. Vivement, le corps fauve me fait face. Il en veut encore. Il veut essayer à nouveau, jusqu'à se rompre les os s'il le faut. Je souris en coin et je m'avance lentement. Je me déplace vers son flanc gauche l'air de rien, et au dernier centième de seconde, je lâche d'un ton sans appel :

- Attaques !

Et je bondis sur sa droite, jouant sur l'effet de surprise pour le percuter de toutes mes forces et lui mordre la hanche dans mon élan. Je lève mes pattes antérieures et les plaque sur sa croupe, puis je baisse la tête aussitôt pour enserrer son jarret entre mes crocs mortels, que je serre lentement sur ma prise osseuse en grondant férocement. Je tire en arrière, essayant de lui faire perdre l'équilibre tout en m'éloignant le plus possible de ses crocs, alors que sa souplesse lui permet de me rejoindre et de claquer des mâchoires pour essayer de m'attraper. Je lui colle une gifle maladroite du fait de ma position, et l'os carpien de mon antérieure droite se retrouve piégé entre les dents de mon jeune apprenti. Je grogne, desserre ma prise et lui pince la joue avant de m'éloigner d'un pas, mais je repars aussitôt à la charge en ignorant la douleur dans mon membre. Nos corps se percutent dans un délicieux écho de muscles et de nerfs tendus, et nos mâchoires claquent et se mélangent dans différentes tentatives pour mettre l'autre au sol.

Je te demande pardon, j'n'ai aucune excuse pour cette absence TT

Je sens enfin la rage monter en lui. Il se bat, ça y est, il a trouvé l'envie de m'abattre. Un sourire mesquin étire mes babines, mais pas le temps de se réjouir, l'adversaire en demande et en redemande toujours plus. La poussière macule nos pelages bruns, et les crocs claquent et déchirent la cuirasse qui nous sert de peau. Les grondements résonnent dans la clairière, percute l'oiseau de fer et nous reviennent dans les tympans en échos assourdis. L'on pourrait presque croire qu'il y plus de deux loups ici, à se rompre les os mutuellement. Dans un souffle, je roule sur lui et me redresse pour rattraper une chute indésirée. Mes pattes s'enfoncent dans son corps pour le forcer à reculer, les siennes cherchent à sectionner ma peau. Ses crocs sont rosés, de sang et de salive. Son regard est déterminé et en rage, il joue le combat jusqu'au bout des pattes. Je suis fier, l'espace d'un instant, de l'avoir pour apprenti. Mais cet instant est de trop, et il donne l'avantage à mon adversaire qui bondit en avant pour planter ses dents cruelles dans mon échine. Je m'aplatis au sol dans un jappement de douleur, et je fais mine de ne plus bouger pendant de longues secondes. Je sens, tout contre mon dos, les battements affolés de son coeur et sa respiration saccadée. Nous sommes essoufflés, perclus de crampes et à court d'oxygène. Pourtant, mon expérience me permet de réflechir plutôt que de respirer, et je convaincs mentalement mes poumons de ralentir la cadence en un temps record. Parfaitement immobile, je me concentre jusqu'à ce que mon coeur ralentisse. Pas assez pour cesser l'effort, mais juste suffisamment pour me permettre de tenir encore. Alors, brutalement, je me redresse sur mes quatre pattes et, la prise desserrée de Fjorgur parce qu'il aura cru en sa victoire une seconde, me permet de le désarçonner pour l'envoyer dans la terre meuble. Aussitôt, je suis au-dessus de lui et je laboure ses flancs de puissants coups de griffes tandis que mes mâchoires cherchent sa gorge. Je manque chacun de mes coups de crocs, lui laissant l'opportunité de se dégager, mais s'il se débat comme un beau diable, il est désormais trop épuisé pour voir clair dans nos tactiques respectives. Alors, par pur désir de faire les choses jusqu'au bout, j'enserre sa jugulaire entre mes crocs et je rassemble lentement mes mâchoires sur elle pour le faire capituler. Je le relâche après quelques secondes, satisfait, éreinté aussi. Je m'éloigne de quelques pas sans le quitter des yeux, m'assurant qu'il se relève.

- Je suis fier de toi, gamin. Tu es déterminé, et c'est ce que j'attends de mes jeunes.

Je vois luire dans son regard une flamme ardente. Et je vois dans ma tête se dessiner son Destin parmi les Hordiens.

- Rentrons.

HRP: