Combien de temps s'est écoulé depuis la dernière fois que mon yeux ont pu se plonger dans ceux d'Atom ? Combien de semaines depuis la dernière fois où j'ai pu entendre sa voix autrement qu'en écoutant les réprimandes qu'elle donne aux Sekmets ? Combien de temps j'ai passé seul, alors que ma famille est si grande ? Une compagne, une soeur et huit louveteaux, et je trouve encore le moyen d'errer seul dans les couloirs, entre deux parties de chasse ou entre deux périodes de garde à la prison. Je soupire de lassitude. Combien de fois aie-je observé mes petits, à distance, lorsqu'ils sont sortis de la tanière maternelle pour s'aventurer dans les premiers mètres qui l'entourent ? Je ne les compte plus. Mais depuis que je suis allé chercher Adriel pour le déposer entre les pattes des mentors que j'ai choisis pour lui, je n'ai pas remis le museau au clan des Sekmets. Les petits sont trop vifs, désormais. Ils grandissent, deviennent plus téméraires et plus curieux. Je ne peux plus les observer sans attirer les soupçons, et je suis obligé de m'éloigner d'autant plus. Je tiens le coup en me rappelant que je m'éloigne pour mieux revenir. Que dans quelques semaines, je pourrais enfin me présenter à eux. Ils seront assez grands pour savoir, pour comprendre. Et plus personne ne sera en mesure de pouvoir me les arracher.

Marchant lentement, perdu dans mes pensées, je n'entends pas tout de suite les galopades incertaines qui tambourinent et résonnent dans la galerie voisine. Je suis trop embrumé par mes souvenirs et mes désirs pour faire attention à quoi que ce soit, et je dois probablement m'estimer chanceux d'être percuté par un simple louveteau innocent. Stupide. J'aurais pu être attaqué par n'importe qui et me faire bêtement avoir, tout ça parce que je me laisse absorber par des pensées futiles. Je ferais bien mieux de disparaître en surface avec mes plus vieux louvards et d'abandonner la horde pour ne plus être un poids que ma famille se traîne. Je chasse rapidement cette pensée. Mes sentiments sont si flous, en ce moment ... Je mélange la mélancolie et la rancœur, le chagrin et les regrets. Je baisse mon regard saphir sur la petite femelle, penaude, qui me détaille un moment. Je la scrute en silence, parce que l'ambre de ses orbes m'est familière. Il me faut de longues secondes pour me remémorer leur provenance. Maliah. Ma fille. J'aurais pu tomber sur n'importe qui, sur n'importe quel louveteau. Et il a fallu que ce soit ma fille. Pas que je sois déçu, mais plutôt, je me sens dépassé. Que ferais-je d'un louveteau qui ne serais pas miens ? Un simple Sekmet sans importance ? Je le tuerais certainement.

- Qu'est-ce que tu fiche ici ?

Ma voix est sans appel, mon regard dur et froid comme l'acier. Oui, qu'est-ce qu'elle fiche ici ? Si loin des nôtres, si loin de la protection maternelle ? Je ne m'inquiétais pas lorsqu'ils restaient tous les quatre près de la tanière. Mais si je la trouve si loin qu'est-ce qui me garantie que sa soeur et ses frères n'ont pas aussi filé entre les pattes des nourrices ? Rah ces Sekmets ... Tous des incompétents. Je serre les dents, un grondement sinistre s'en échappe discrètement. Si je choppe celle qui a mis ma fille en danger, en baissant sa garde assez longtemps pour la laisser filer, je lui arracher les yeux et les oreilles. Elle aura une raison de faillir à sa tâche, à l'avenir. Mais pour l'heure, je ne quitte pas ma fille des yeux. Elle a grandis. Trop, à mon goût. Beaucoup trop, aux yeux d'un père qui n'a pas pu être ce qu'il aurait voulu. Beaucoup trop pour que mes ressentiments puissent décroître avec le temps. J'aimerais remonter le temps, et trouver une solution avant leur venue au monde. J'aimerais pouvoir les regarder grandir comme un père, et pas comme un fantôme. Décidément, le Destin a décidé de me priver de toute paternité. Trois progéniture différente, et je n'ai eu le privilège de n'en côtoyer aucune.

HRP:

La petite recule doucement, probablement intimidée par ma présence. Je comprends bien vite qu'elle ne me reconnait pas. J'ai beau traîner souvent dans les alentours de leur tanière pour les observer, ils n'ont pas gravé ma présence dans leur mémoire. Je devrais en être rassuré. Au moins ils ne me soupçonnent certainement pas. Au moins, personne ne sait que je suis leur père et qu'ils peuvent m'atteindre en touchant à mes petits si innocents. Mais, au lieu d'être rassuré, je suis attristé de savoir cela. J'aurais préféré garder le doute qu'ils pourraient un jour se douter de mon identité, à force de me voir traîner autour de leur tanière, de leur mère. Mais visiblement j'ai bien fais mon boulot, et j'ai joué le rôle de l'ignorant à la perfection. La dernière fois que j'ai pu voir Maliah d'aussi près, c'est le jour où je suis allé chercher Adriel pour le coller entre les pattes de ses mentors. Je n'avais pas encore trouvé ceux de sa fratrie, alors je m'étais efforcé de ne pas trop les regarder. Mais comment oublier mes propres petits ? Comment oublier le pelage fauve de ma fille qui me ressemble presque autant que son frère ? Comment ne pas me souvenir de son regard d'ambre qui me rappelle les couchers de soleil à la surface ? C'est impossible.

A ma réprimande, elle recule davantage. Je sens sa peur me monter aux narines, et j'aimerais pouvoir lui dire qu'elle est en sécurité, qu'elle a de la chance d'être tombée sur son père parce que personne ne pourra jamais lui faire le moindre mal tant que je serais là. Mais ça m'est impossible. Je dois me taire, et garder ce visage fermé, rigide, pour qu'elle me craigne, qu'elle désire plus que tout retourner à la tanière maternelle, et qu'elle ne veuille plus jamais en sortir. Mon instinct paternel est en éveil, il n'a jamais été aussi omniprésent dans ma tête. Je savais mes petits entre de bonnes pattes, avec leur mère. Mais si Maliah est là, où sont Kayahan, Adriel et Dalioka ? Où est Atom ? Pourquoi l'une de mes filles est ici, sans sa fratrie ? L'inquiétude perce peu à peu mes défenses, et mon regard se charge d'une peur que je ressens au plus profond de mon être. Faites qu'ils soient tous restés à la tanière. S'il vous plait, faites que Maliah soit la seule en vadrouille. Mais c'est sans compter la témérité de ma fille. Mes espoirs sont réduits à néant lorsqu'elle m'annonce être ici par pur courage, et je suis forcé d'admettre qu'elle est téméraire, de courir ainsi entre mes pattes sans me connaître.

- Tu n'devrais pas être là. J'ai bien envie de manger du louveteau.

J'essaie de garder une voix dure et sans appel, mais la voir ainsi sautiller dans tous les sens réveille une envie de jouer que je n'avais pas ressentie depuis des lustres. Je n'aurais jamais cru pouvoir un jour avoir l'opportunité de m'amuser avec l'un de mes petits, même si on me l'avait dit.

Une étincelle de doute traverse son regard. Doit-elle se méfier ? Avoir peur ? Prendre mes menaces sur le ton de la rigolade ? Elle hésite. Mais je crois bien que non seulement son âge la rend aussi innocente que naïve, non seulement moi, je perds autant de crédibilité que les secondes qui s'écoulent entre nous. Je suis tellement perturbé par sa présence ici, près de moi alors qu'il n'y a personne pour nous observer, que j'en ressens une sorte d'euphorie difficile à dissimuler sous une quelconque carapace de méchanceté. D'autant que la méchanceté, depuis la naissance de mes petits, s'éloigne peu à peu de mes habitudes, de ma façon d'être. Mon tempérament évolue. Autrefois un assassin sanguinaire, je deviens de jour en jour plus approchable, moins sauvage. Mère m'a toujours dit que nous évoluions de manière permanente, que rien n'était jamais acquis. Jusque là je ne l'avais jamais crue. Mais les derniers évènements n'en sont-ils pas la plus fervente preuve ?

Maliah s'abaisse brusquement sur ses antérieures et me fixe, grondant comme un raton laveur. Elle n'a pas la voix d'un loup, j'en suis formel, mais elle m'attendrie encore davantage. Je hausse le regard, intrigué par sa soudaine entreprise, mais je n'esquisse aucun mouvement et je me contente de l'observer. Elle est prêt à attaquer, mais elle reste trop longtemps là, immobile ou presque, le derrière en l'air. Je plisse les yeux, attentif à chacun de ses mouvements, et je mémorise chacune de ses manoeuvres pour la guider ensuite vers une meilleure attitude. Je reste debout devant elle, parfaitement immobile, attendant que ma propre fille passe à l'attaquer avec pour seul désir, celui de me vaincre.

- Ah ouais ? Dommage pour toi je suis coriace !

Je lâche un "Ah !" amusé, accompagné d'un sourire provocateur tandis que ma petite se jette sur moi. Elle m'attaque de face, mais remarque bien rapidement qu'elle ne tirera rien de sa proie dans ces conditions. Elle réfléchit à vive allure, je suis fier de la voir changer rapidement de plan d'attaque. Elle bascule pour me percuter de plein fouet, je fais mine de remuer mais ne quitte toujours pas ma place. Rapidement son souffle se fait plus court et ses pattes peinent à suivre le mouvement. Oui, ma louvette n'a que quelques mois, je ne peux pas en attendre trop de sa part. Mais sa détermination est comme celle de ses parents : de fer. Elle s'élance en avant, comptant bien sur moi pour la poursuivre. Je pars dans la seconde, trottant derrière elle pour lui laisser un peu d'avance, mais assez vite pour ne pas me laisser distancer. Après plusieurs couloirs, je sens que son allure est de plus en plus faiblarde alors, pour qu'elle ne se sente pas dépassée par ses limites physiques, je l'attrape par l'échine et je la plaque au sol, ne lui laissant pas le temps de se rendre compte de son propre épuisement. Là, je la roule sur le dos en un coup de pattes et, du bout des doigts en veillant à la légèreté de mes griffes, je la chatouille de toutes parts, ronronnant d'amusement.

- Tu pensais pouvoir t'échapper ? Hein !? Tu croyais vraiment pouvoir t'en sortir ?

Je l'embête de longues secondes, mais lorsqu'elle me file des coups de pattes dans le museau et que je remarque qu'elle peine à respirer entre deux éclats de rires, je relâche ma petite proie et je prends alors le temps de l'observer. Elle me ressemble, ça ne fait aucun doute. J'ignore de qui elle tient ces magnifiques yeux ambrés, mais pour le reste, elle est bien ma fille. Et son caractère, nul doute qu'elle vit avec sa mère. Cela se voit au moindre de ses mouvements. Lorsqu'elle a repris son souffle, je reprends mes attaques et de nouveau, son rire naïf m'émerveille pendant un long moment. Elle essaie de se débattre, elle balance des coups de pattes et de crocs dans tous les sens. C'est si amusant que j'en oublierais presque le reste. Les dangers qui nous entourent, son ignorance quand à mon identité et, malgré moi, le doute de pouvoir un jour leur faire savoir, à tous les quatre, qui je suis. Elle profite de mon moment d'inattention pour se ruer sur moi, et s'acharner sur mon oreille. Je fais mine de grogner de douleur mais en réalité, ça me chatouille plus qu'autre chose. Elle joue partout sur mon corps immense, profitant de chaque parcelle de mon entité pour en faire son propre terrain de jeu. Nul doute que sa fratrie serait jalouse s'ils savaient avec qui elle aura joué, lorsqu'elle rentrera à la tanière. Je me promets mentalement que je rattraperais cette forme d'injustice plus tard, avec chacun d'entre eux.

- C'est d'la triche toi t'es gros et moi j'suis toute petite...

Je pars d'un rire grave et tenu mode Mufasa //PAN// en levant les yeux pour tenter de la voir, perchée entre mes deux oreilles brunes.

- Gros ? Tu me trouve gros ?

Je penche la tête en avant pour la faire glisser au sol, et je me lève pour la surplomber de toute ma hauteur.

- Enfin Maliah, regardes-moi ! Je suis grand, fort, robuste, puissant ... Mais gros ! Petite sacripone !

Et je fais mine de m'affaler sur elle, la recouvrant de toute ma masse sans m'appuyer nulle part, afin de ne pas lui faire de mal. Je baille exagérément et je me positionne de sorte qu'elle ne puisse plus se dégager de dessous moi.

- Oh ... Mais où es-tu, Maliah ? Oh ! Tu es là ! Pardon, je n't'avais pas vue. C'est vrai que tu es minuscule ! Comme un scarabée.

Et je souris, taquin, en me relevant pour la libérer enfin.

Elle se secoue dans tous les sens, comme pour chasser de la terre dans son pelage duveteux. Je souris en la contemplant de longues secondes.

- Moi je suis pas grande mais j'ai peur de rien !

C'est certainement a fierté qui gonfle ma poitrine en cet instant. Elle est bien ma fille, ça ne fait pas le moindre doute. Je pensais maudire le Destin pour le restant de mes jours, mais je réalise que même si je n'ai pas été là pour eux, mes petits ont hérité de ma témérité autant que du courage de leur mère. Je suis heureux de vivre aujourd'hui, et même si je sais que les épreuves sont loin d'être terminées, ça ne m'empêche pas de me ravir de chaque instant passé aux côtés de ma famille. J'affiche un sourire impressionné et m'apprête à répondre, mais déjà elle passe à autre chose ou plutôt, continue sa tirade. Elle s'approche un peu plus pour dévoiler son crâne à mes yeux de saphir, et me montrer une cicatrice dans sa chair. Mon regard s'écarquille. Qui a osé toucher à ma fille ? Je le dépècerais vivant et je lui ferais avaler ses propres entrailles, à ce salaud ! Mes dents s’extériorisent comme par réflexe et un grognement menace de passer mes babines pour résonner dans le tunnel.

- Je me suis battue contre un renard ! Toute seule et j'ai gagné !

Elle me détaille sans aucune peur dans la voix, sans la moindre trace d'hésitation dans le regard. Seule ? Contre un renard ?

- Alors là jeune fille, tu m'impressionnes ! A ton âge, j'étais fier lorsque j'attrapais un simple rat !

Mais malgré la fierté, une once d'inquiétude pointe encore dans ma voix. Elle a su se dépêtrer d'un tel combat seule mais elle aurait tout aussi bien pu y rester, si le renard avait été plus malin ... Je maudis les nourrices de ne pas faire leur boulot correctement. Et puis, un son dans les tunnels me ramène vivement à la réalité. Nous ne devrions pas être ensemble, et encore moins pour nous amuser. Alors, debout devant elle, je fais un pas en avant et je la pousse légèrement de mon museau humide pour la faire lever. J'affiche un sourire qui se veut rassurant, cependant le temps presse, je ne peux me permettre de lui faire prendre un quelconque risque. Et si les Sekmets me voient bichonner un louveteau de leur meute, les soupçons grandiront à mon égard et au leur ...

- Nous ne sommes plus seuls, je vais te raccompagner avant de croiser un second renard.