Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Il s'était dirigé vers la Nappe Fumante en premier lieu pour étancher sa soif. Ce n'était pas la meilleure eau qu'il avait pu goûter dans sa vie mais il s'avérait que c'était la seule disponible pour le moment. Non, cette fois il n'allait pas encore pester contre les bipèdes, ça devenait lassant à la longue. Puis un peu trop facile. Ils ne pouvaient pas lui répondre. Même s'ils le faisaient, le loup brun ne les comprendrait pas de toute manière. Il n'y avait pas plus simple que ça. Autant parler à un mur… Le chasseur lâcha un soupir tandis qu'il progressait dans l'un des nombreux tunnels qui composait les souterrains. Cette vie enfermée devenait lassante, et mettait la patience des différents lupins à rude épreuve. Alors si vous rajoutiez le caractère d'Allen en addition… Cela devenait vite explosif pour la plupart des cas. En effet, ses dernières interactions lui avaient valu deux morsures. L'une au flanc, par ce fichu membre de la Horde. L'autre au museau, par l'espion noir. Un léger grognement chatouilla la gorge du loup brun lorsqu'il y repensait. Il avait beau ne pas être spécialement tenté par la violence, il n'était pas soumis pour autant. Enfin, il se rattraperait, il se le promettait mentalement. D'une manière ou d'une autre, il y arriverait bien, non ?
Bientôt il pouvait sentir les émanations âcres que dégageait la Nappe Fumante. Autant être franc : ça puait. En plus, l'odeur avait tendance à rester accrochée au pelage pendant un moment, ce qui donnait l'impression d'être de la viande avariée. Ce n'était pas vraiment ça, mais l'idée y était. Fronçant le museau en une moue de dégoût, il se rapprocha de lac, se convaincant tant bien que mal qu'il n'avait pas d'autres choix. C'était l'une des seules eaux potables des souterrains. Et il n'allait pas refaire une petite visite chez les humains de sitôt après la course poursuite qu'il avait eu la dernière fois, ah ça non. Ainsi il se contenterait de cette eau, tant pis pour les futurs maux de ventre, tant pis pour l'odeur qui lui agressait le museau, et merde aux émanations qui lui séchaient les yeux, le faisant machinalement cligner comme s'il avait envie de pleurer en une tentative vaine pour les humidifier. Parfois, Allen se disait que le Destin devait se foutre de sa gueule. Offrait-il un bon divertissement ? Aucune idée. Mais cela devait en valoir le détour, vu la poisse qu'il avait ces derniers temps. Il trotta jusqu'à la berge de la nappe avant de s'assurer qu'il n'y allait pas avoir l'une de ces fichues bouffées de magma pour faire bouillir l'eau. Aucun signe. Après un rapide froncement de museau peu convaincu, il se pencha pour laper de longues gorgées, grimaçant légèrement au goût. C'était infect. Mais c'était désaltérant. Donc il buvait. Puis ça remplissait l'estomac aussi. Donc c'était comme faire d'une pierre deux coups dans un sens. Alors qu'il se redressait, l'eau se mit à bouillir à cause de l'une des bouffées de magma. Des vapeurs toxiques ne tardèrent pas à s'élever dans l'air, le rendant irrespirable et faisant monter les larmes aux yeux du lupins tellement elles étaient agressives.
Respirant par petites inspirations pour respirer le moins possible de ces émanations toxiques, le loup brun se dirigea vers la sortie tant bien que mal, les yeux plissés comme si cela allait l'aider à chasser la vapeur qui lui agressait à la fois la vue, les poumons et l'odorat. Putain, il n'avait vraiment pas de chance. Il s'engouffra alors dans une nouvelle suite de dédales à la recherche d'un air plus respirable qu'il finit par respirer à grandes goulées lorsqu'il fut assez éloigné. C'était la plaie, vraiment. Le Sekmet se remettait en route, sans destination précise cette fois-ci. Il ne connaissait pas vraiment cette partie des tunnels, mais il avait pu mémoriser grossièrement le chemin qu'il avait pris à partir de la Nappe. Il n'aurait plus qu'à rebrousser chemin quand les émanations seraient moins fortes. Bon plan. Maintenant il n'avait plus qu'à attendre que cela passe. Et errer sans but précis lui semblait la chose la plus propice à faire. Ainsi il s'enfonça dans les tunnels, commençant son exploration aveugle qui durerait certainement un long moment.
Enfin, c'était ce qui était prévu au programme, jusqu'à ce qu'un bâillement ne lui décroche la mâchoire et finisse par le faire s'ébrouer pour chasser cette sensation de somnolence qui suivait ce réflexe d'attention. Voilà qu'il ne comprenait pas. Il avait eu son cotât de sommeil. Largement même. Alors pourquoi ? Sûrement rien d'important, mais cela en venait presque à l'agacer sensiblement. Il secoua légèrement la tête avant de reprendre son exploration. Nouveau bâillement. D'accord, ça allait devenir énervant. En plus cette fois-ci quelques larmes avaient perlé à ses yeux. Il les chassa d'un rapide coup de patte. Non il ne pouvait pas se sentir aussi claqué comme ça, pas d'un coup… Il l'aurait senti venir avant. Borné, Allen continua sa petite reconnaissance des lieux tandis que ses pattes se faisaient petit à petit plus lentes, plus maladroites. Engourdies même. Il finit par s'asseoir en pestant contre sa condition. Il bâillait à intervalles de plus en plus réguliers, ce qui, petit à petit, finissait par lui faire perdre le fil de ses pensées.
Rien ne pouvait plus enchanter le chasseur qu'à ce moment-là. Il se retrouvait avec l'esprit embrumé par une somnolence étrangère, et ses pattes semblaient lui avoir imposé un repos forcé, si bien qu'il avait fini par s'allonger contre la roche fraîche. Nichant son museau contre son flanc, le loup brun se mit à réfléchir. Était-ce l'eau qui était responsable de son état ? Ou les émanations ? Il avait tendance à pencher pour la seconde option. Les gaz devaient avoir une vertu anesthésiante, qui sait… Et puisque la meilleure manière de se délivrer à la tentation était d'y céder… Allen se laissa emporter dans les bras de Morphée avec une certaine satisfaction. Piquer une sieste ne pouvait pas lui faire de mal après tout, non ?