Un large sourire sur le visage, je m'étais relevé du sol poussiéreux, prêt à commencer notre entraînement. J'étais excité à l'idée d'enfin pouvoir partager mon expérience avec un membre de ma meute, cela promettait d'être amusant en plus d'être bénéfique. Lentement, je m'étais à nouveau avancé de la louve aveugle, lui adressant quelques mots de plus.

- Et bien, dans ce cas, commençons !

Nous n'avions pas vraiment discuté de la façon dont nous voulions nous y prendre pour s'exercer à deux, cela dit je savais que ce n'était pas nécessaire. Nous voulions la même chose, finalement. Donc j'étais persuadé que nous serions d'accord ausujet de la marche à suivre.

Et lentement, j'avais ralentit mon coeur, ainsi que ma respiration de façon à ce qu'elle ne me repère pas facilement. Je l'avais observé, et comme elle était aveugle, il n'était pas difficile de comprendre qu'elle s'appuyait beaucoup plus sur ses autres sens, particulièrement l'ouïe. Il fallait donc faire bien attention à cela. Je lui ai ensuite tourné autour pour plusieurs tours, afin de mélanger mon odeur, et de la faire perdre ses repères. Quant à elle, elle ne bougeait pas, elle restait au milieu, telle une statue de marbre. Je suppose qu'elle devait se concentrer, se préparer à me voir surgir, si je puis dire. Ou alors, elle analysait la situation, gardant son sang froid. J'étais conscient du fait que je ne représentais pas vraiment de menace pour elle, cela dit, je savais intérieurement que si cela avait été le cas, elle aurait adopté le même comportement. Elle n'avait pas l'air du genre à se laisser déstabiliser. Mais je ne me faisais pas d'illusions : je savais qu'à défaut de ne pas me voir, et me repérer difficilement, elle ressentait ma présence. Mais pas le temps de réfléchir une éternité, je m'étais avancé vers elle à vive allure, sautant à sa gauche. Mais ce fut une feinte, et comme je l'avais anticipé, la femelle se dirigea vers la droite. Sauf qu'au dernier moment, j'avais moi aussi dévié ma trajectoire vers la droite,  la percutant de plein fouet, la plaquant au sol. Cette technique de combat était toujours infaillible à la première utilisation, elle était ma favoris. Et une fois la louve sous contrôle, je m'étais écarté d'elle, la laissant se relever. C'était à son tour, maintenant, de me montrer ce qu'elle avait dans le ventre.

Vapeur, buée, humidité. Je me trouve à présent dans un flou complet, je suis enveloppé d'un brouillard ardent et chaud, provenant du sol. Hum, astucieux de sa part, je dois admettre. Sur le coup je suis vraiment déstabilisé, je ne m'y attendais pas. Je m'incline devant l'effet de surprise. Cela dit, je n'ai pas dit mon dernier mot ... Après tout, je suis loin d'être du genre de ceux qui privilégient la vue sur tout, non cela risque pas. Parce que moi aussi, j'ai un problème de vue, ce qu'elle semble oublier. J'ai vécu un moment avec une vision à un seul œil, qui plus est avec le second oeil abîmé également. Et maintenant encore, cet œil me pose beaucoup de problèmes, même si je ne laisse rien paraître. C'est pourquoi très vite je reprends le contrôle, je garde mon sang froid. Je ne la vois pas encore, non. J'observe tout autour de moi, cet océan d'ombres vagues qui vont et viennent, m'étourdissant quelque peu. Mais j'arrive à enfin me repérer, à nouveau, j'ai retrouvé mes repères ... Trop tard. La femelle m'a pris par surprise, ne me laissant aucune chance. Et comme je l'avais fait auparavant, elle me laisse me relever, et recule de deux pas.

- Nous voilà tous les deux aveugle ... le temps que la brume s'échappe.

La patience est une vertu. Je suis peut-être désavantagé par rapport à mon habitude, cela dit j'ai toujours plus de vision qu'elle. Et puis, le brouillard commence déjà à se dissiper, ce n'est plus qu'une question de temps. Je me relève lentement, ne laissant rien paraître. Maintenant, je sais où elle est. Son pelage coloré brise l'unité de la brume, j'aperçois sa silhouette face à moi. Je cligne des yeux, de manière à les nettoyer, et enfin je lui saute dessus, et nous roulons tous deux sur le sol encore humide. Il est grand temps de se mettre à un entrainement disons ... Un peu plus basique.

Je me relève lentement du sol poussiéreux, me secouant afin de me nettoyer. Un peu, en tout cas. Et en regardant autour, je me rends compte que la brume humide s'est dissipée, l'atmosphère a retiré son épais manteau. Mais ce n'est pas pour autant que je retrouve une vision normale, non. En effet, cette épaisse fumée blanche m'a bien irritée mon oeil sensible, ce qui finalement me rend une vision à 50%. Ah, saleté de plaie ! Mais bon, les cicatrice font de nous ce que nous sommes. Elles sont une marque indélébile de notre passé, aussi lourd soit-il, et ce même si on tente de toutes nos forces de s'en détacher. Comme moi. Ces marques douloureuses sont le souvenir de notre vécu, et sont là pour nous rappeler constamment les dures leçons qu'a pu nous apprendre la vie. Elles font partie intégrante de nous, et on ne peut y échapper. Mais je fais tout de même attention à ne rien laisser paraître. Je ne montre pas ma faiblesse. De toute façon, ce n'est pas difficile de physiquement cacher ma douleur à Helya, étant donné qu'elle est aveugle et ... Attendez deux minutes ! Pas là ? D'accord, je ne la vois plus, elle est partie. Mais où elle est ? Je me retourne rapidement, et enfin je la vois, qui commence à courir en direction de la forêt. Hum ... Qu'est-ce qu'elle fait ? Et de loin, elle me crie son invitation à courir.

- J’espère ne pas t'avoir fait trop mal. Une petite course ça te tente ?

Mais enfin, elle est déjà loin, je ne peux pas lui répondre. Et sans réfléchir, je me lance à sa poursuite. Je cours à une allure folle, et je prends rapidement de la vitesse. Je donne tout, je vais le plus vite possible, amenuisant au fil de mes pas la distance qui nous sépare, et esquivant tous les débris et obstacles du sol, agilement. Et finalement, elle arrive la première. Cela dit, c'était couru d'avance, sans vouloir faire de jeu de mots. J'ai pu remarquer, lorsque nous nous battions, qu'elle avait un peu plus d'endurance que moi. Et puis, elle est partie bien avant moi. Je pense d'ailleurs que de l'avoir rattrapée malgré son avance considérable reste une bonne performance. Nous nous regardons quelques secondes, essoufflés de notre course folle et de tous nos autres efforts, en général.

- Ne t'en fais pas pour moi, je suis résistant.

Je réponds à sa question antérieure, presque lui adressant un clin d'oeil. Mais cela ne servirait à rien, étant donné qu'elle est aveugle. De toute façon, ma réponse est sans compter sur mon œil meurtri. Et tel que je le connais, j'aurai cette douleur pour toute la fin de la journée. Enfin, ce n'est pas comme si je n'étais pas habitué.

Et quand nous avons enfin récupéré, je me dresse de toute ma hauteur, lui adressant ces quelques mots.

- Et bien, merci pour cet entraînement, Helya. Nous devrions recommencer, un de ces jours. Mais il me semble que je devrais retourner au camp.

C'est vrai. Je considère que nous nous sommes suffisamment dépensés aujourd'hui. Nous avons pu peaufiner nos compétences de combats, échanger nos techniques. Et lorsque nous en avions terminé avec l'entrainement physique, nous avons même couru, pour l'endurance et l'agilité. Cela me semble tout à fait bon, et puis c'était amusant, je dois avouer. Et de toute façon, je ne peux pas continuer, avec mon œil aveugle. Bon d'accord, cela ne m'empêche pas de vivre, mais quand ma vie n'est pas elle-même menacée, cela me semble inutile de me la compliquer. Je ne souhaite pas m'embêter de ce malus alors que je peux m'en passer. Et puis, je pense que la femelle est de mon avis. Cela suffira pour la journée.

- A bientôt, Helya.

Je lui accorde un sourire, même si je sais qu'elle ne peut pas le voir. Après un tel entraînement, je suis content. Je la raccompagnerais bien au camp, mais je crains devoir faire un détour avant, j'ai besoin de vagabonder un peu, prendre l'air. Et puis, j'ai toujours été d'un naturel solitaire. Je pense d'ailleurs que la louve me ressemble, de ce côté là.

Et enfin, je pars lentement mais dignement en direction du camp, ma sombre silhouette se noie très vite dans les ombres de ce paysage en ruines ...