Cela fait bien longtemps que je n'ai pas chassé. Il faudra que je m'y remette un de ces quatre, mais vu la taille des gibiers que les Sekmets rapportent, en-dessous, il est hors de question pour moi de traquer des proies dans les sous-terrains. Non, je préfère de loin me préparer sereinement à une expédition à l'extérieur, pour en rapporter de grosses proies qui nourriront la meute ou à défaut, au moins les louveteaux et la Horde. Les Sekmets passent bien après dans la liste de mes priorités. Je suppose que je partirais une nuit, d'ici peu, et que j'emmènerais quelques Hordiens avec moi pour chasser. Cela fait bien longtemps que nous n'avons pas rassemblé les troupes, et les forcer à travailler ensemble pourrait bien renforcer l'esprit d'équipe, même si c'est le cadet des soucis de Skull. Moi, j'estime que l'entraînement groupé gagne beaucoup plus. Et lors des batailles, cela nous donnerait d'énormes avantages sur nos ennemis, que nous ne pouvons pas mépriser. C'est avec un soupire las que je m'éloigne de la meute pour m'enfoncer dans les tunnels, à la recherche d'un peu de solitude. Après toutes les nouvelles qui me sont arrivées ces derniers jours, j'ai bien besoin de tranquillité. Entre mes petits, et ceux de ma soeur ... Le travail ne manque pas, et pour personne. Nous avons bien des choses à penser.

A force de m'éloigner du camp des Sekmets, je fini par rejoindre un lac sous-terrain après avoir longé l'immense salle qui a abrité un nouveau pacte, il y a peu de temps. C'est là que j'ai recruté mon premier Hordien, et que j'ai gagné mon premier apprenti officiel -même si j'entraîne tous les nouveaux Hordiens sans exception. C'est sous cette cavité, entre les volutes de vapeurs toxiques que j'aperçois l'un des miens. Je ne l'ai jamais vu avant, mais il sent la Horde à pleine truffe. Alors je suppose qu'il a déjà rencontré Skull et qu'il est désormais des nôtres. Il observe le lac sans faire attention à mon arrivée, alors je m'approche un peu plus en me raclant la gorge pour l'informer qu'il n'est plus seul. J'essaie de mémoriser son pelage, sa carrure, ainsi que tous les détails qui pourront me permettre de l'identifier plus rapidement à l'avenir. J'essaie en somme, de le graver dans ma mémoire. Ici, dans les bas-fonds, ma vue ne m'est d'aucune utilité. Et là où les autres peinent désormais à se repérer, j'ai le gros avantage de savoir me servir de mes autres sens. Si l'on m'avait dit que mon handicap me serait un jour d'une quelconque utilité, je ne l'aurais probablement jamais cru. Mais soit, tant mieux.

- Sekmet ou Horde ?

La réponse du Hordien ne se fait pas attendre plus longtemps. Il ne s'est pas encore retourné qu'il m'informe déjà que nous sommes du même camp. Tout du moins, nous partageons les mêmes intérêts de destruction. A moins qu'il ne soit un Espion envoyé par les Sekmets ? Je m'attends désormais à tout, et je ne fais plus confiance à personne. Je n'ai certes jamais fait confiance à grand monde, mais les temps sont durs et l'on ne peut plus se fier à n'importe qui. Je me contente de croire en ceux que je connais, et ce strict minimum est largement suffisant. Le mâle roux me fait enfin face, et chacun jauge son vis-à-vis pour tenter de l'identifier. Non, je ne l'ai jamais vu. C'est bien un nouveau venu, encore. Encore un de plus que je vais devoir entraîner et qui, comme tous les autres, ne sera pas à la hauteur de mes attentes. Mais les recrutements sont si difficiles à organiser, que ma Leader est obligée de prendre ce qui lui tombe sous la patte. A moi ensuite de réveiller les troupes et de les préparer à la guerre. Je soupire en le détaillant, obligé de me contenter de formes abstraites. A première vue, il n'est pas taillé pour le combat. Une certaine masse, une force qu'on ne peu nier, mais un corps trapu incapable de se mouvoir rapidement.

- C'est toi, Isha ?

Je suis surpris d'apprendre qu'il connaît déjà mon nom. Rumeurs ? Ou désir de connaître les loups de son nouveau clan avant de les rencontrer ? Ou alors, besoin de se faire bien voir de la Leader, en apprenant les noms de ses comparses à l'avance ? Peu m'importe en fait, ce qui l'a motivé à chercher cette connaissance. Moi ce que je veux, c'est un combattant, un loup dans les pattes duquel je pourrais mettre ma vie sans être sûr de la perdre, en cas de besoin. Malheureusement, ces loups-là sont bien rares, et comment savoir si ce mâle n'est pas un traître venu chercher nos futurs plans d'attaque ? Peut-être un Esobek, qui peut savoir ? Je m'approche un peu plus de lui, laissant mon visage impassible s'éclairer sous les quelques rais de lumière qui traversent l'endroit. Je n'ai jamais pu me vanter de posséder quoi que ce soit de particuliers. Je ne suis pas une montagne de loup sans être rachitique, je ne possède pas un pelage luisant ou particulièrement beau, et je n'ai aucune cicatrice visible qui montrerait mon passé d'assassin psychopathe. Somme toute, je suis un parfait loup européen comme on en croise dans toutes les forêts, et le seul trait physique qui me différencie des autres est la couleur saphir de mes yeux. Je fixe l'inconnu, cherchant à montrer ma supériorité.

- Je suis flatté de voir que mon nom t'es familier. Je n'ai pas le plaisir de connaître le tien.

- Phoenix. Ne sois pas flatté pour si peu, j'aurais pu me tromper.

- Certes, tu aurais pu. Mais ce n'est pas le cas.

Mon acolyte m'observe quelques secondes, mais je ne laisse pas le temps s'éterniser, je n'aime particulièrement pas rester immobile à ne rien faire alors que tant de responsabilités m’incombent ailleurs. Je m'approche quelque peu du lac qui nous fait face, l'air de rien, et je hume les effluves de l'eau. L'odeur en elle-même n'est pas dangereuse, mais les vapeurs qui remontent vers le plafond me brûlent la truffe. Je recule et tourne un regard inquisiteur sur Phoenix.

- Dis-moi, Phoenix. Que fais-tu si loin du groupe ?

D'habitude, chacun à son poste et aucun ne peut jouir d'un repos alors qu'autant de dangers rôdent. Peut-être était-il en reconnaissance ? Auquel cas je pourrais l'aider. Après tout, nous sommes sous les ordres de la même louve, n'est-ce pas ?

Il répond à mes questions, mais je sens bien dans le ton de sa voix et le regard qu'il me lance, que cette situation ne lui plait pas. Cependant, je ne me suis jamais inquiété de savoir ce que pensaient les autres de moi, et je n'ai jamais cherché à plaire. Pas plus aux inconnus qu'aux membres de ma propre meute. Alors, sans chercher à lui rendre les choses plus simples, je continue. Il m'informe qu'il faisait des recherches, qu'il visitait. Bien sûr, nous n'avons rien de mieux à faire, cela va de soit. Je ne fais aucun commentaire pour l'heure, malgré ce que je pense.

- Est-ce que le groupe a besoin de moi ?

J'observe le lac encore une fois, y cherchant mon reflet en vain, la clarté ne me le permettant pas. Puis je m'éloigne du point d'eau et je prends la direction d'où je suis venu. Pourtant je ne quitte pas mon acolyte. Pas encore. Quitte à le faire chier, autant que ça m'apporte un minimum d'amusement, n'est-ce pas ? Je gratte la terre d'un bout de griffe, l'air de réfléchir sans vraiment le faire.

- Hm. Je suppose que non, sinon tu serais déjà mort pour avoir été absent à l'appel de ta Leader.

Je redresse la tête dans un sourire narquois, puis je m'éloigne de quelques pas dans la galerie ascendante.

- Je vais aller fouiner un peu par là. Libre à toi de me suivre, si tu veux.

En grattant énergiquement le sol, je découvre un os de carcasse qui sent délicieusement bon la moelle. Alors que je l'attrape et que je commence déjà à le ronger, je sens le goût de la moelle affluer dans ma gueule et je lâche un léger râle de contentement. Délicieux. Phoenix me rejoint d'un pas lent, je sens bien que ma compagnie lui déplaît et je dois avouer que là, à ronger mon os, je me demande ce qui le retient à mes côtés alors qu'il pourrait aisément partir. Je me redresse, satisfait d'avoir découvert ce délicieux morceau, et je l'abandonne lorsque plus rien n'est récupérable dessus. Je jette un regard en coin à Phoenix, son immobilité a quelque chose d'agaçant et j'ai bien l'impression que de l'avoir rejoint là est en fait une perte de temps. Je le fixe finalement de face, tournant ma tête pour mieux discerner sa silhouette dans la pénombre, et je lâche sur un ton condescendant :

- Bon. Pas qu'j'm'ennuie, mais j'ai d'autres choses à faire.

Sans même le saluer poliment, je commence déjà à m'éloigner plus profondément dans les tunnels, sur le chemin du retour. Il est temps de rejoindre les troupes, et de m'assurer que tout le monde marche au pas chez les Sekmets.