Sous une lune naissante, je m'extirpe de ma tanière en soupirant profondément. Encore une longue nuit qui m'attend, et tant qu'à faire il fait sombre et gris, le ciel est couvert, les étoiles invisibles et l'astre lunaire à peine reconnaissable derrière la couche grisâtre du ciel. De quoi me foutre le moral en berne, bien évidemment. Mais, depuis presque deux lunes, c'est un peu mon quotidien. Entre les baisse de moral et les excès de fureur, je ne suis plus à ça près. Je m'étire dans tous les sens devant le styx et je m'assois, le regardant couler sans aucune interruption, emportant parfois à sa surface quelques débris tombés d'ici ou de là. Rien de bien intéressant en soit, mais il y a bien longtemps que j'ai perdu le goût des choses intéressantes. Aujourd'hui, je ne fais plus que chasser et m'entraîner, quand je ne chercher pas les emmerdes sur les terres des meutes ou que je ne provoque pas le premier mâle que je rencontre. Un soucis avec ma confiance en moi-même ? Un problème à régler avec mon assurance ? Non, pas le moins du monde. Simplement, étaler de jeunes mâles fougueux me détend, et m'empêcher de passer mes nerfs sur les membres de ma meute. En contre partie, je suis apte à entraîner nos jeunes recrues sans leur faire subir mes débordements comportementaux.

Ce soir, je me prévoie une chasse, pour changer. Je n'ai pas bougé mes pattes depuis plusieurs semaines, et je suppose qu'il est grand temps de le faire si je veux survivre un mois de plus dans les rangs de Skull. Pas qu'elle me fera payer mon inactivité exceptionnelle, au vue de ce que j'ai pu faire lors de la dernière lune, mais simplement que ce n'est pas mon genre de rester aussi passif pendant si longtemps. Et je me lasse de cette monotonie, même si parfois je me délecte de me morfondre sur la disparition si soudaine et si inattendue de ma tendre petite soeur. Kaya n'est jamais reparue, malgré toutes les prières muettes que j'ai pu lancer au Cieux. Ils sont restés sourds à mes appels de détresse, et aucune trace de ma soeur n'a été trouvé nulle part. Quoi qu'il lui soit arrivé, ça n'a été remarqué par personne, comme si elle s'était tout bonnement volatilisé. Je soupire, je réfléchis quelques secondes, et je décide de partir en traque sur les terres d'une meute que je connais bien, et que j'ai particulièrement envie d'emmerder depuis quelques semaines. Les Sekmets sont ma famille natale, mais ils sont aussi la meute pour laquelle je ressens le plus d'antipathie. Alors pourquoi ne pas aller chasser directement sur leurs terres, pour les faire chier un peu et nourrir ma meute en même temps ?

Dans la nuit noire, les hommes ne savent pas se repérer sans faire un vacarme assourdissant. Alors la plupart du temps, ils restent terrés dans leurs cachettes et attendent le lever du jour pour attaquer leurs ennemis. De ce fait, je profite de ce silence nocturne pour traverser les terres et rejoindre la clairière fumante, là où les proies sont encore quelque peu présentes, de temps à autre. Je vois marcher un humain dans la pénombre, presque aussi silencieux que nous. Il s'immobilise autant moi, lorsqu'il me repère, et nous nous fixons de longues secondes. Il ne peut combattre sans attirer l'attention de ses ennemis, alors il attend de voir si moi, j'ai l'intention d'attaquer. Je n'ai pas peur des bipèdes, aussi je le toise longtemps, guettant sa patte cherchant son arme métallique pour tenter de m'abattre. Mais comme il n'en fait rien, je garde confiance en moi et je m'éloigne vers l'opposé, lui signifiant que je ne suis pas son ennemi ce soir. Je ne suis pas stupide, je refuse de prendre le risque d'attirer les autres en le tuant.

Il me faut peu de temps pour rejoindre les terres désirées, et je remarque rapidement que je ne suis pas seul a avoir eu l'idée de m'aventurer à la surface en pleine nuit. A quelques dizaines de mètres de moi, l'un de mes semblables se tient, droit et fier, scrutant la clairière comme s'il cherchait une proie. Mes oreilles se dressent dans sa direction, ma truffe remue l'air devant elle pour tenter d'analyser à distance l'odeur de l'inconnu. Puis je longe le sous-bois duquel je viens de sortir, et je m'approche du loup en silence, sans le quitter des yeux mais feignant une attitude impassible, comme si je ne m'occupais pas de sa présence. Et lorsque je suis assez près, je m'informe sur lui. Sur elle, d'ailleurs, parce qu'il s'agit d'une femelle. Une femelle adulte, mais pas aussi âgée que moi. Et ce n'est d'ailleurs pas n'importe quelle louve. Elle porte sur elle une légère odeur musquée, marque me disant qu'elle a récemment rencontré l'un des miens. une nouvelle recrue ?

- Es-tu membre de la Horde ?

Je n'ai pas eu vent d'une nouvelle arrivante. Skull m'en aurait pourtant fait part, nous partageons la majorité des informations concernant la Horde, depuis qu'elle a choisi de me faire confiance. Je suppose qu'elle n'aura pas eu le temps de me prévenir, avec toutes ses nouvelles responsabilités. Elle est si occupée que moi-même, j'ai beaucoup de mal à organiser une entrevue avec ma Leader. Je soupire doucement, laissant une volute de fumée blanche s'épaissir dans l'air, devant moi. Les nuits sont encore froides, même si les jours se rallongent peu à peu à mesure que les semaines passent. Déjà, le printemps arrivera bientôt. Je sens par endroits, les effluves du renouveau. Et la neige a commencé à fondre, un peu partout. Même si les chasses sont encore difficiles, l'on sent dans l'air que la nouvelle époque approche à grands pas. Je fixe l'inconnue en silence, attendant qu'elle me réponde, les muscles bandés par précaution. Je suis toujours prêt au combat. Son pelage blanc pourrait être magnifique, si la Lune daignait lui apporter sa clarté. Mais le ciel reste sombre.

La louve inconnue n'esquisse pas le moindre mouvement. Elle semble ne pas avoir peur, ou tout du moins refuse-t-elle de craindre un danger qui n'est que potentiel. Peut-être préfère-t-elle attendre d'avoir des crocs dans l'échine avant d'estimer la situation suffisamment critique pour avoir peur. Je penche légèrement ma tête sur le côté, dans une grimace cruelle, et je la fixe de toute ma hauteur. Elle n'a pas grand chose d'extraordinaire. Une louve blanche comme tant d'autres, un flocon de neige esseulé sur la terre sombre. Elle semble prendre le temps de m'analyser avant de daigner me répondre. Son regard me scrute, me détaille, me découvre. Elle ne me connaît pas, mais peut-être tente-t-elle de se faire une idée des chances qu'elle aurait si je décidais de m'attaquer à elle. Et lorsque nos regards se croisent, elle sourit. Que peuvent bien avoir mes yeux pour la faire sourire ? Peut-être cela vaudrait-il le coup que je la plaque au sol avant de lui poser la question ? Cela serait plus amusant, pour agrémenter une première rencontre.

- On peut dire ça comme ça ... Tu es Esprit du Dragon, n'est-ce pas ? Skull m'a vaguement parlé de toi.

"On peut dire ça comme ça" ? Cherche-t-elle à teste mes limites ? Si tel est le cas, elle ne tardera pas à les découvrir. Je ne suis ni jovial, ni patient. Je veux des réponses et des résultats, et lorsque je les obtiens pas rapidement je les déclenche avec brutalité. Mais lorsqu'elle prononce le nom de mon Alpha, je n'ai plus de doute et j'ai ma réponse. Si elle avait croisé Skull sans être une prétendante à son clan, elle ne serait pas ici pour en parler. Donc, j'ai bel et bien à faire à une nouvelle recrue. C'est pas de chance. J'aimerais enfin avoir des membres forts, pour une fois. Pourquoi seuls les faibles se ruent-ils dans les pattes de ma Leader ? Souhaitent-ils seulement profiter de notre réputation d'assassins pour ne pas se faire dévorer comme des proies ? A ce jour, nous sommes bien peu à nous être réellement entraînés, et je peine à garder nos jeunes guerriers en état de combattants. Ils sont tous faibles, et beaucoup ont déserté par peur, depuis les débuts de notre meute. Tous des lâches. Rien de plus que cela.

- M'accordes-tu une chasse ... de Bienvenue ?

Elle s'est approché de moi, me scrute de son regard sombre. Sous les rayons de l'astre de nuit, son pelage étincelle par endroits. Mais pour moi, elle n'est rien de plus qu'une nouvelle gueule à nourrir, et une énième jeune à former. C'est que malgré mon tempérament pour le moins difficile, je prends à coeur mon rôle de "mentor" de la horde. Je n'ai pas laissé un seul de nos jeunes se débrouiller sans lui apporter mon soutien et mes entraînements. Et même si ces derniers sont aussi particuliers que moi, et qu'ils poussent mes apprentis à me détester autant qu'ils me respectent, je n'ai eu de cesse de continuer mon boulot au sein des miens. Un sourire narquois découvre mes incisives menaçantes, et je la fixe dans les yeux à mon tour. Skull n'a pas dû parler du bon Isha, ou alors elle a malencontreusement oublié les mises en gardes à mon propos. Sinon, cette jeune femelle aussi arrogante pourrait-elle être, n'aurait pas posé sa question de la sorte. Alors que nous sommes si proches, je fonds sur elle et la plaque violemment au sol, grondant d'une voix sourde sans me départir de ce sourire cruel.

- Bourreau d'Agonie aurait-elle oublié de te prévenir que je ne souhaite pas les bienvenue ?

Puis je m'écarte aussitôt. Mon manège n'avait pas pour but de l'humilier, mais de lui faire comprendre les faits. Aussi éterniser l'instant n'est pas dans mon objectifs. Je m'éloigne de quelques pas sans la quitter des yeux, et je la regarde se relever. Comme tous les autres, elle apprendra.

- Soit, jeune louve. Montres-moi ce que tu sais faire. Ton prédécesseur s'est montré particulièrement minable.

En effet, le dernier jeune que j'ai testé s'est vautré comme un louveteau nouveau-né lors de notre chasse en duo. J'ai dans l'espoir que cette demoiselle saura mieux s'y prendre.

Dé de chasse : 11 - 4 + 5 = 12

Alors que je suis déjà prêt à partir en chasse, la jeune louve se relève et gronde. Elle est fâchée ? Quel dommage. Du moins, ce serait dommage si j'accordais la moindre importance à ce qu'elle peut bien ressentir. Manque de chance, elle n'est pas tombée sur le plus compatissant des hordiens. Je me moque bien de savoir si elle est fière ou si elle acceptera les ordres de n'importe qui sans broncher. Ce qui m'intéresse, moi, c'est de voir ce qu'elle vaut et ce que je pourrais faire d'elle au fil des mois à venir. Si elle tient bon, et qu'elle ne déserte pas comme bon nombre de loups avant elle. Ils se prétendaient sadiques, ils juraient aimer le sang et ne désirer que la destruction. Pourtant ils ont tous pris leurs pattes à leurs cou dès que l'occasion s'est présenté, sans même daigner en informer leur ancienne Leader qui, pourtant, a toujours précisé que chacun était libre de partir dès qu'il le souhaitait. Skull ne retient personne, elle est ainsi et ne changera certainement jamais.

Mais qu'importe. La jeune femelle est trop lente à mon goût. Déjà elle ne gagne aucun point d'estime en traînant ainsi la patte alors qu'elle m'a elle-même demandé cette chasse en duo. Et elle n'en gagne pas davantage en marchant si lentement dans ma direction, comme si elle se pensait la princesse de la horde. Si elle pense me faire plier par son tempérament audacieux, c'est qu'elle me connaît mal. Si elle pense que j'ai rejoint la horde pour ses membres jovials et ses amitiés complices, elle me sous-estime. Et si elle croit que je me laisserais marcher sur les pattes parce que mademoiselle me tient tête une ou deux fois, elle se fiche la griffe dans l'oeil. Je soupire d'exaspération. Si les nouvelles recrues ne manquent pas de caractère, ils n'ont cependant rien à vanter la plupart du temps, et je ne les en trouve que plus encombrants. Elle a intérêt à faire ses preuves, ou je risque de réellement perdre patience. J'ai beau entraîner nos jeunes, je ne suis pas aussi patient que leur maman.

Déjà elle cherche les effluves d'une quelconque proie. Je la laisse faire dans le plus grand silence. Après tout c'est elle qui doit faire ses preuves. Les miennes ont été apportées à ma Leader en personne, et ce depuis bien longtemps. Je n'ai plus rien à prouver, désormais. Même si je peux encore m'améliorer, ce que je fais sans cesse, je ne ressens plus le besoin d'impressionner Skull pour mériter son respect ou sa reconnaissance. Non, je suis satisfait de mon sors, et aujourd'hui je me suis donné un autre objectif : celui de remplir les rangs de la horde avec des loups sanguinaires, qui sauront sous se battre individuellement avec les capacités qui leur sont propres, mais également en groupe, lorsque cela s'avérera nécessaire. Ce n'est pas chose aisée de pousses des loups aussi individualiste à la communauté, mais chose difficile n'est pas impossible, comme me l'a fait comprendre mon existence tout entière. Je ne suis pas en vie parce que j'ai passé mes années à pleurer, mais bien parce que je me suis battu pour mériter d'exister.

C'est dans une optique d'individualisme que notre chasse démarre. Alors, quand je trouve une piste et que la jeune louve semble en avoir trouvé une autre, je devine que nous ne poursuivrons pas notre proie en commun, et je cède pas au caprice de cette demoiselle. Je pars en courant pour trouver ma propre proie, et je ne tarde pas à dénicher une femelle ragondin mettant bas près d'une sorte de lac putride. L'eau a stagné depuis longtemps, mais la créature en a trop besoin pour avoir abandonné sa maison. Et je la vois qui se débat avec la poche amniotique qui renferme son petit. Je me précipite vers elle en escaladant des racines d'un énorme chêne, et je rampe sous certaines d'entre elles pour parvenir à atteindre mon objectif. Ce n'est pas grand chose, mais ce sera toujours ça de gagné. La femelle me repère rapidement à cause du bruit de mon avancée difficile, mais je n'ai de cesse de me rapprocher d'elle et visiblement, elle préfère disparaître plutôt que sauver la vie de son petit déjà mort.

Lorsque je parviens à m'extirper de ces pièges emmêlés formés par les racines de l'arbre immense, la grosse boule de poil brune s'est volatilisé et il ne reste plus sur place que le petit cadavre de son bébé mort-né, accompagné de son placenta qu'elle n'a pas même eu le temps d'ingurgiter. C'est ainsi que la vie se déroule. Dans le monde, seuls les plus forts peuvent survivre. Et les plus faibles, comme ce minuscules ragondin, sont contraints de mourir pour nourrir les autres, ceux qui se battent férocement pour mériter leur existence. Je m'empare rapidement de la bestiole, avalant rapidement les déchets pré-natals pour ne pas laisser de trace de ce passage et ainsi, ne pas attirer les prédateurs et charognards. Simple réflexe de survie. Je m'éloigne ensuite pour rejoindre ma "compagne" de meute, et je traverse de nouveau ces fichues racines avant de retrouver mon chemin vers la clairière où je l'ai abandonnée un peu plus tôt. Elle est là aussi, les crocs vides. Les jeunes hordiens sont prétentieux et inexpérimentés.

- Moi qui pensais que tu valais mieux que l'autre. Tu retente ta chance ou nous considérons que c'est partie remise ?