Ils l'ont chassée, persécutée, abandonnée sans défenses. Quand je pense à ce qu'ils m'ont fait, j'ai quelques impatiences. Mais je caresse un si beau rêve que mon coeur n'est pas trop lourd. Songeant que son règne s'achève, je fais patte de velours. Empress qui se meurt dans la nuit, sa fille qui pleure entre mes griffes. Son dernier soupir dans le noir, c'est mon chant d'espoir. Pourtant j'ai tenté d'oublier. J'aurais pu lui pardonner. Mais l'ennui, je sais, c'est petit ; je ne supporte pas qu'ils vivent. Alors c'est moi qui me suis choisi pour chasser les Sekmets d'ici. La bataille sera sans pitié, mais ce travail-là me plait. La mélodie des grognements, le contre-poing des hurlements, la symphonie du grand départ, c'est mon chant d'espoir. Kaya s'en va, mais Isha est bien là. Pour entraîner ces sauvages, jusqu'à ce qu'ils deviennent des tueurs, et prennent goût à l'horreur. Dormez, vilains termites. Un jour quand vous serez forts, vous serez digne de la Horde. Ecoutez les tambours de guerre, les grondements de Skull, son inaltérable soif de vengeance. Oui j'entends les bravos, je vois notre étendard dans un ciel de cauchemars, rougit par nos victoires. C'est mon chant d'espoir. Je souris en traversant les rangs. En fixant dans les yeux les Sekmets, ces foutus perdants. Victoire.

Je passe entre les loups sans me soucier de la plupart. Je n'ai peur de personne, et aucun d'entre eux n'oseraient attaquer l'un de leurs geôliers. Ils nous craignent autant qu'ils nous haïssent. Ils ont perdu leur Alpha par notre faute, ils n'ont plus aucune organisation et ne savent pas encore réfléchir sereinement. Je suis persuadé que les secrets fusent dans les rangs, que la guerre n'est pas terminée. Nous avons gagné une simple bataille, ce n'est que le commencement d'un nouveau monde, d'une nouvelle Aire. Je passe devant certains d'entre eux sans même prendre la peine de montrer les dents. Ils ne sont pas encore assez organisés pour m'attaquer ici, sans avoir prévu un plan. Et puis, tout le monde est épuisé, ils ont tous besoin de se reposer. Moi, je me sens bien. J'ai marché autant qu'eux, mais la victoire donne une énergie féroce à ceux qui la gagnent. Et je fais partie de ceux-là. Alors je m'éloigne dans les tunnels en silence, et je me mets en tête de découvrir les lieux pour m'assurer de dénicher les meilleures cachettes, où j'empêcherais ensuite les Sekmets rebelles de se terrer dans l'optique d'une quelconque rébellion. Cette situation me plait. Tous ces loups furieux, tendus comme des arcs, prêts au combat malgré leur défaite récente.

- Qu'est-ce que tu fiche ici ?

Je bande mes muscles, prêt à affronter un adversaire. Puis il se retourne, déniché par un Hordien, et je le reconnais. C'est le jeune mâle que j'ai rencontré peu avant la bataille. Celui que j'ai affronté en territoire Esobek. Je ne me souviens pas l'avoir vu pendant que je me battais, ni l'avoir affronté une seconde fois. Peut-être combattait-il loin de moi, le Destin n'aura pas souhaité nous voir à l'oeuvre une seconde fois. Ou alors il aura reporté notre rencontre à aujourd'hui, après l'Exode. Je souris en le détaillant sans aucune retenue. Il n'a rien retenu de ce que j'aurais pu lui apprendre la première fois. Il aurait dû se rendre compte de ses erreurs, et se battre à tout prix pour devenir meilleur et plus fort. Mais il est resté faible et stupide. Un Sekmet dans toute sa splendeur. Moi, j'ai changé. Beaucoup changé. J'ai toujours le même pelage, le même visage, les mêmes yeux sombres et menaçants. Mais mes muscles qui roulent sous ma peau, sont bien plus développés, bien plus nombreux que la dernière fois où il m'a vu. Si nous aurions pu être pratiquement des égaux la dernière fois, aujourd'hui il en est tout autre chose. Il n'aura plus aucune chance contre moi, je suis devenu trop imposant, trop puissant. Et je suis fier de constater cela maintenant.

- Toi. Tu n'as même pas changé.

De dos, il semble d'abord peu surpris d'entendre ma voix. J'en déduis que je lui aurais laissé une impression, et peu m'importe si elle est positive ou négative. Il se souvient de moi, ça ne fait aucun doute. Mais le mieux dans cette histoire, le plus jouissif, c'est probablement de voir son visage se décomposer lorsqu'il me fait face à nouveau, comme autrefois. Il réalise alors à quel point nous sommes devenus différents. Il n'est plus qu'un louveteau nouveau-né, plus que l'équivalent d'un parasite dans mon pelage. Et il le sait. C'est ça qui me plait. Il le sait et ses yeux ne le cachent pas. Il a raison d'avoir peur. Parce qu'avec toutes ces cachotteries qui circulent librement dans les sous-terrains, je serais bien tenté d'abattre un Rouge rien que pour l'exemple, et pour me défouler un peu. Mais alors qu'il recule pour tenter de disparaître, comme si ça lui était possible, j'ai bien d'autres idées en tête. Bien d'autres desseins pour lui. Après tout, il possède une qualité qu'il ignore probablement, et qui m'intéresse particulièrement. Il est doté de ce trait de caractère que peu de loups ont, et par lequel je suis irrémédiablement attiré. Mais au lieu de lui faire part de mes ressentis, je le laisse avoir peur durant un moment.

Je partage cependant la vérité qui s'étale sous nos yeux. Il est resté pratiquement identique au jeune mâle que j'ai regardé fuir il y a quelques semaines, amoché par mes crocs. Je souris, dévoilant toutes mes dents au tranchant meurtrier. Je n'ai de cesse de le fixer, de l'analyser, même s'il tente de se faire plus petit qu'il ne l'est pour disparaître, se fondre dans le décor. Comme s'il avait une chance quelconque de me fuir, ici. Il reconnait son infériorité d'une voix chevrotante, presque amusante. Mais j'en attends plus de lui, bien plus. Alors je ne me contente pas de ça, et je m'avance de plusieurs pas dans sa direction pour m'imposer davantage à lui, pour l'oppresser un peu plus. Quoi de plus passionnant que de faire remarquer aux faibles, qu'ils sont si fragiles ? Rien, probablement. Je m'approche encore un peu, jusqu'à le coincer contre la paroi de sa propre prison, pour venir presque mêler les poils de nos poitrails. A seulement quelques centimètres de son visage, je souffle tout près de son oreille plaquée contre son crâne, quelques mots pour l'affoler un peu plus. Des menaces qui m'amusent, des paroles qui effraient, et je prends plaisir à voir les poils de son échine se hérisser contre la paroi qui le maintient captif entre elle et moi. Il est si faible.

- Après la raclée que je t'ai mise, pourquoi ne t'être pas entraîné pour protéger les tiens ?

Je m'éloigne ensuite, l'air de rien, feignant de visiter les lieux tout en gardant mes sens dirigés sur chacun de ses mouvements, et mes yeux rivés à la seule sortie possible. Ma question est sincère, je ne cherche pas à détourner son attention. Si je m'étais fait battre par un autre loup, je me serais entraîné encore plus dur pour parvenir à surpasser mes limites. J'aurais repoussé mes capacités encore plus loin pour ne jamais plus me faire avoir de la sorte. Lui, a à peine pris quelques grammes de muscles. Il n'est rien de plus qu'un jeune arrogant que j'ai abandonné en chemin, et je ne m'explique cela que de deux façons. Ou je l'ai trop grièvement blessé pour qu'il ait la possibilité de s'entraîner davantage, ou il n'avait aucune motivation qui le poussait à progresser. Et je ne me souviens pas avoir déjà vu un loup encore assez en état pour fuir, qui ne l'était ensuite plus pour progresser. Alors je ne vois que la seconde option. Serait-ce là un Sekmet qui n'en n'est pas un ? Ce serait alors une for intéressante information. D'autant qu'il a ce petit quelque chose qui me plait bien, et face auquel Skull ne resterait pas bien longtemps indifférente. Je n'ai jamais recruté un seul membre de la Horde, il serait peut-être temps de commencer cette aventure.

Alors que mon corps s'est éloigné du sien, alors que mon esprit divague et se promène dans l'endroit sans plus se méfier, le jeune mâle se relève enfin. Ca et là, de nombreux objets gisent. Aucun ne sera jamais utile à mon espèce, et ils passeront ainsi l'éternité à pourrir ici, jusqu'à ce qu'un humain soit assez courageux ou suffisamment désespéré pour risquer sa vie en venant les chercher. Des objets de toutes formes et portant des centaines d'odeurs différentes. Nourriture avariée, métal, plastique. Tant d'effluves qui se mêlent à ceux de la terre meuble et des loups, de nous. Lorsqu'enfin le loup grisâtre décide de parler, je fais mine de continuer mes fouilles même si mon regard se pose discrètement sur son visage, avide d'en apprendre davantage sur lui.

- Parce que ce ne sont pas les miens, alors pourquoi les protéger ? Je suis déjà obligé de chasser pour cette bande de fions que je déteste si je ne veux pas me faire jeter, on ne va pas encore me demander de les protéger.

Je feints une parfaite indifférence, pourtant toutes ces informations m'importent grandement. Il est fort intéressant d'apprendre que l'un d'entre eux les hait. Pourquoi, je m'en fiche pas mal. Mais les faits sont là, il déteste ceux qu'il sert, et cela pour jouer en la faveur de la horde, des miens. Je fixe le loup en silence, cherchant dans son regard une quelconque trace de manigance, peut-être une infime lueur qui trahirait son mensonge. Mais rien. Rien de plus que la haine, cette étoile brûlante qui embrase ses orbes sombres. Rien de plus que ses griffes traçant un sillon dans le sol, et une petite pierre allant percuter la paroi de cette cage bétonnée. Je vois la haine décorer son visage, comme une multitudes de lueurs jaunes, délicieuses à voir de mon point de vue assassin.

- Si vous me tuez, je ne manquerais à personne et ce sera même un soulagement pour eux, si ça se fait.

Il se redresse, me fixe dans les yeux comme s'il était face à l'un d'eux. Comme si soudainement, il ne me craignait plus. Piège ou sincérité ? Je ne saurais le dire. Dans mon esprit, il est tout aussi sincère que ma parole est honorable. Autant que je tiens toujours les promesses que je fais, il me semble parfaitement honnête. Et c'en est d'autant plus plaisant que je n'ai encore jamais croisé un loup semblable à moi comme lui me paraît l'être. Tout aussi Sekmet, mais tout aussi hostile que moi. J'ignore s'il est né en leur sein, comme moi. Et j'ignore ce qu'ils lui ont fait pour le rendre si haineux, mais je me prends à apprécier rencontrer un loup qui saurait peut-être comprendre ce que j'ai toujours ressenti à l'égard de cette meute.

Je redresse enfin la tête de mes recherches sans but, et je plonge me regard dans sa direction pour le détailler plus scrupuleusement. Quels atouts porte-t-il ? Aucune force. Aucune agilité et pas plus de réflexion. Mais une tendance significative à se jeter dans les combats sans chercher à savoir s'il a une chance ou non. Une certaine détermination, également, quoi qu'une lâcheté qui ne fait aucun doute. Cependant, elle prouve également qu'il tient à sa vie malgré son tempérament de feu qui le pousse à prendre des risques considérables sans en mesurer les conséquences. Je me tourne vers lui pour lui faire face à nouveau, tandis que le jeune mâle semble reprendre ses esprits et se rendre compte qu'il ne s'adresse pas à n'importe qui. Son visage s'oriente vers le sol, que ses griffes labourent avec une grande détermination.

- Un loup qui haït sa Meute mais qui est trop lâche pour se barrer, est-ce qu’il a vraiment le droit de vivre, hein ?

- Non. Et je m'étonne que tu ne te sois pas déjà donné la mort, puisque tu sais que tu vaux rien.

J'assène mes paroles comme autant de coups de crocs. Traçant dans son esprit des sillons sanglants, je m'efforce de graver sa lâcheté dans sa mémoire, de manière indélébile, pour que jamais il n'oublie qu'il ne vaut rien. Pour qu'il en prenne d'autant plus conscience maintenant qu'il a partagé ses pensées avec moi. Il n'est pas mon ami, je n'aurais aucune raison de l'épargner. Et même mes amis, je ne leur cache pas la vérité lorsqu'ils me demandent de la leur donner. Ce jeune mâle ne fait pas exception. En revanche, si je haie les lâches, j'entraperçois pour lui une lueur d'espoir. C'est bien la première que je vois un lâche admettre sa faiblesse face à son propre ennemi, et cela m'impressionne.

- En revanche, un lâche qui est prêt à changer peut mériter de vivre encore.

J'entrouvre une porte dans son avenir obscur, volontairement après l'avoir humilié un peu plus, afin de lui montrer à quel point ces chances sont rares, et qu'il devine jusqu'à quel niveau il devra se battre pour devenir un vrai loup et faire taire le lâche en lui. Puis je me rapproche de lui, la tête haute et les oreilles dressées en avant, le dominant de toute ma hauteur sans le lâcher du regard. Non, il ne vaut encore rien. Mais il est malléable, je le vois, et j'envisage autre chose qu'une mort stupide. J'ai envie de m'amuser un peu, et j'ai envie qu'il fasse partie de mon nouveau jeu. Je veux me servir de mon temps pour former un nouveau tueur. Un loup qui a des rancunes, des souvenirs à cacher, et un avenir à s'inventer seul.

Dans son silence je perçois sa douleur. Il réalise la réalité de ce qu'il est, et je suis persuadé que jusqu'à présent il tentait désespérément d'ignorer ce qu'il savait au fond de lui. Un sourire mesquin étire mes babines, tandis que je regarde son visage impassible et que je devine ce qu'il ressent. Une douleur sourde s'empare probablement de lui, à tel point qu'il se sent oppressé, qu'il étouffe. Moi je suis là, à l'observer dans le plus grand silence, en n'ayant pas du tout l'idée de lui venir en aide. Au contraire, j'aurais plus tendance à parler pour l'enfoncer un peu plus. L'on ne réveille pas un loup en lui offrant des fleurs, selon moi. Je n'ai pas été élevé dans la délicatesse, et je n'ai pas l'intention d'épargner les êtres qui m'entourent. Un faible ne devient fort que s'il trouve le courage de faire face à ses fragilités et de les combattre avec détermination. Aussi doit-il comprendre qu'il n'aura rien sans rien. Il doit apprendre à se salir les pattes.

Je le laisse sombrer lentement dans l'acceptation et le désespoir de réaliser qu'il n'est rien en ce monde, et qu'il n'est vital pour personne. Je lui laisse le soin de se monter la tête tout seul contre lui-même, de se convaincre qu'il ne mérite pas la place que la vie lui a accordé à la naissance. Et pendant de longues secondes, je le regarde couler dans les abîmes du néant qu'il a partiellement créé seul, et que je n'ai fais que creuser un peu plus pour l'aider à tomber. Ce n'est qu'au moment où je le sens à bout, prêt à quitter ce monde, que je lui offre sa porte de sortie, une autre alternative à la mort. Et je me délecte de ce sentiment de supériorité, de cette lueur de reconnaissance qui brille alors dans son regard sombre. Je regarde avec plaisir toutes ces lueurs d'envie, toutes ces questions qui illuminent son regard d'une intensité nouvelle. Il est prêt à entendre la suite. A tel point en fait, que je n'ai pas le temps de lui faire une quelconque proposition.

Il se relève, utilisant ses pattes comme un guerrier le ferait. Poussant ses limites au-delà de leurs barrières, malgré la peur et la répulsion qu'il éprouve pour lui-même. Il a vu la sortie que je lui ai montrée, et il veut se jeter vers elle. Je souris une seconde, je m'apprête à lui dévoiler mes plans, ceux qu'il pourrait partager avec moi. Je m'apprête à lui parler de Skull, des possibilités qui s'ouvriraient à lui, s'il nous rejoignait. Mais il me devance, pour me rendre fier malgré moi et probablement malgré lui aussi, de son audace. Il essaie de maintenir son regard ancré dans le mien. S'il échoue une première fois, il persévère. N'importe quel mentor rêve de voir son élève progresser à une telle vitesse. Là, devant moi, se tient désormais un hordien. L'un des miens. Et je suis fier de constater de mes yeux, le début de ses progrès. Il deviendra un loup, un vrai. De ceux dont on apprend le nom, et que l'on oublie jamais. Il est maintenant l'un de mes jeunes.

- Tu devra faire tes preuves, mais je ne doute pas que tu saura être reconnaissant pour cette chance qui t'es offerte.

Il apprendra à me haïr et à vouloir m'enterrer vivant. Il apprendra à m'aimer et à me mettre sur un pied d'estale. Il apprendra qu'à mes côtés, seuls les forts survivent, mais qu'ils n'en deviennent que meilleurs. Je forme des tueurs pour Skull, mais je transforme avant tout des entités infimes, en véritables loups. Un jour, je le sais, il sera fier d'être appelé par le nom de ses ancêtres. Et tout cela, il l'aura appris parce qu'il aura voulu changer. Il aura transformé ses défauts en qualités.