Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Tu es en train de dormir, et tu fais un cauchemar. Le jour où tu as déclaré à Atom que tu l'aimais se retrouve changé en ton pire cauchemar. Celle-ci a refusé ta déclaration et décide de te combattre. Vas-tu te battre sérieusement ? Essayer de lui faire entendre raison ?
Une aube grise, un vent glacial qui frappe mon pelage, une brume épaisse qui m'empêche de voir à deux mètres devant moi, tous les éléments sont là pour me faire passer une morne journée. Pourtant, je me sens euphorique. Quelque chose se passe, en moi, et ça se travaille depuis déjà bien longtemps. Je m'en rends compte maintenant, alors que la dernière fois que je l'ai vue, nous nous battions contre trois autres loups, en compagnie de mon ami-caillou. Je soupire et affiche un léger sourire en regardant le sable fin voleter au ras du sol, porté par le vent froid de l'hiver. Qui a dit que les plages étaient des endroits réservés uniquement à la chaleur de l'été ? Malgré les violentes bourrasques glaciales qui rebroussent mon pelage brun, j'aime être là, face à la mer, pour regarder les vagues aller et venir, lécher la rive ou s'écraser contre les roches, à l'autre bout de la plage. L'odeur de sel m'enivre, en cette journée grise, et j'aime rester là à ne rien faire d'autre que penser à cette louve, son regard fou et ses gestes violents, ses mots plein de haine et sa voix agressive. Finalement, peut-être que je suis capable d'éprouver autre chose que de la haine envers cette meute que j'ai abandonnée il y a si longtemps. Je soupire en clignant lentement des yeux, apaisé. Oui, après tout ce que cette meute m'a fait et m'a arraché, peut-être qu'elle ne peut désormais m'apporter que de belles choses ... Un fol espoir emplit mon corps ou ... Mon coeur. Je souris imperceptiblement, face à la mer, et je me plait à simplement humer les effluves salés de l'eau.
Derrière moi, d'immenses territoires s'étalent. Des forêts carbonisées, des plaines emplies de cendres où plus rien ne pousse, des lieux immondes désertés par les humains depuis bien longtemps et pourtant, dans ce décor anarchique, je réalise que l'amour est encore possible. Tout comme j'ai aimé les membres de ma meute, tout comme j'ai respecté et idolâtré mon père par le passé, j'ai aussi aimé ma soeur du plus profond de mon coeur et je l'aime encore aujourd'hui, bien plus que ma propre vie. Les temps sont durs pour tous, mais je me sens bien. Je n'ai pas besoin d'être entouré par des dizaines de loups, comme le sont les membres d'une meute. Je me suffis amplement de l'amour de ma petite soeur que je ne désire que protéger de ce monde cruel, même si je sais qu'elle n'est pas faible. Je l'aime, terriblement, farouchement, d'un amour le plus sincère qui puisse exister. Et je sais, aujourd'hui, que je suis capable d'aimer quelqu'un d'autre que celle qui a tout partagé avec moi depuis ma naissance. Autrefois, j'ai eu des relations, bien entendu. J'ai connu des louves charmantes, avec lesquelles j'ai passé de bons moments. J'ai eu des sentiments pour elles, mais jamais l'amour ne m'avait réellement frappé. Je les appréciaient, voilà tout, et c'est ce qui, à l'époque, nous rapprochait les uns des autres. C'était de belles histoires, même si jamais je n'avais envisage de faire ma vie avec l'une d'elles. A tel point, même, que je n'ai jamais imaginé présenter l'une de ces louves à ma petite soeur. Mais aujourd'hui, c'est différent.
Oui, elle existe, cette femelle que j'aimerais faire connaître à Kaya. Cette louve à laquelle j'aimerais vouer ma vie, celle avec laquelle j'aimerais passer mes journées, partager mes chasses et ma tanière. Celle qui, finalement, a fait battre mon coeur plus fort et plus vite à chaque fois que nous nous sommes croisés. Il m'a fallu du temps pour comprendre. J'ai eu besoin de longues semaines pour réaliser que si je pensais à elle si souvent, ce n'était pas seulement parce qu'elle était un bon souvenir. Non, depuis le début elle est plus que cela. Elle est plus qu'un souvenir, plus qu'une belle après-midi passée avec une agréable inconnue. Elle est celle que je veux, celle que j'aimerais voir le matin en ouvrant les yeux, celle que j'aimerais voir le soir après une longue bataille ou une interminable partie de chasse. Elle est celle que je veux. Oui, certes, mais à quel degré ? Et pour quoi ? Quels risques prends-je en désirant si ardemment le lui dire ? Et si tous ces sentiments, toutes ces émotions aussi violentes que délicieuses, n'étaient pas réciproques ? Oh ... Je repense à Sageeth. Il n'a pas épargné ma vie en ayant pitié de moi. Il l'a fait parce que j'étais arrogant et téméraire, parce que je voulais vivre et que je l'ai démontré de mille et une façons. Alors, pourquoi aurais-je peur, aujourd'hui ? Qu'est-ce qui pourrait bien m'empêcher de dire ce que je ressens ? Ce ne serait pas la fin du monde, ce serait seulement un échec parmi des millions de victoires. Rien d'important, une épreuve anodine. Oui, une épreuve sans importance dans l'Histoire du Monde. Mais dans mon histoire, c'est probablement l'aventure la plus périlleuse que j'entreprends, et celle qui aura le plus gros impact sur ma vie future. J'inspire profondément, je me tourne vers la forêt, et je hurle longtemps, espérant que le vent portera ma voix à ses oreilles. Il faut que je lui dise, elle a le droit de savoir, quand bien même elle refuserait mes avances. Elle doit comprendre mes sentiments.
Bientôt, la voilà qui arrive, s'extirpe des sous-bois et me montre sa face lupine, magnifique, dont le pelage immaculé reflète à la perfection les rayons du soleil. Elle à l'air grave, elle me fixe comme si j'étais un animal étrange, comme si je n'avais rien à faire là. Elle semble à cran, et l'angoisse monte en moi à mesure que les secondes s'écoulent sans jamais nous rapprocher l'un de l'autre. Je respire, mais j'ai l'impression que mon coeur a cessé de battre et que mes muscles se sont figé dans une position mortuaire. Comme si je venais de signer mon arrêt de mort. C'est une sensation aussi étrange que désagréable, et je ne sais comment faire face. Pourtant, je ne trouve ni l'envie ni le courage de faire demi-tour. Maintenant que je suis là, et qu'elle l'est aussi, je veux aller au bout de mes rêves, terminer ce chemin de vie et qu'elle soit à mes côtés. Quelque chose de bien étrange pourtant, bouillonne en moi. Comme une impression de déjà vu, ou un manque, quelque chose qui aurait disparu, et quelque chose de capital, pourtant. Je pose mon regard azur sur la jeune femelle au pelage de neige, en face, et enfin elle se décidé à s'approcher de moi. J'afficher un léger sourire, sur mes babines étirées, mais elle ne me le rend pas. Lorsqu'elle n'est plus qu'à quelques mètres de moi, je la salut d'un signe de tête et d'un sourire amical. Je suis heureux de la revoir. Elle m'a tant manqué, depuis la dernière fois ! Et si elle l'ignorait ? Oui, bien sûr qu'elle l'ignore. Mais ce soir, elle ne sera plus dans cette ignorance qui m'est douloureuse. Ce soir, elle saura. Elle ne repartira pas d'ici sans savoir ce que je ressens pour elle.
Les sensations sont étranges, j'ai un mauvais pressentiment. Pourtant, lorsqu'elle grimace et que je crois apercevoir l'ébauche d'un croc sous sa babine, je ne me démonte pas. Je lui souris toujours, je n'ai de cesse de le faire comme si ma bonne humeur pouvait lui être transmise, pouvait la calmer. Mais non, elle ne se calme pas, et elle commence à gronder doucement. Sa voix est basse, mais je sens que quelque chose ne va pas. Elle n'est pas surprise par mon appel, comme je me l'étais imaginé. Elle n'a pas l'air ravie de me revoir, non plus. Je lui susurre quelques mots amicaux, comme pour détendre l'atmosphère qui me semble lourde, oppressante. Mais rien n'y fait, Atom est visiblement dans un état second. Alors, j'inspire profondément, je prends mon courage à deux pattes, et je me lance. Je lui explique que j'ai beaucoup pensé à elle, ces derniers temps. Que depuis notre rencontre, je ne parviens pas à penser à autre chose. Je suis honnête, je lui dis ce que je pense, ce que je ressens. Je termine en ajoutant que je suis heureux d'être là, et qu'elle soit là aussi. Je me rends compte que nous avons marché, tout ce temps, côtes à côtes. Comme deux vieux amis, nous nous sommes baladé pendant de longues minutes, sur une plage déserte, sous un soleil couchant dont les rayons timides ont réchauffé nos peau et où le vent à ébouriffé nos pelages refroidis par l'hiver. Je soupire, enfin, et je lui jette un regard timide. Qu'en pense-t-elle ? Elle va me rejeter, ça me paraît logique. Mais dans le fond, j'ai l'espoir qu'elle ressente la même chose, qu'elle accepte mes sentiments et décide de me les rendre malgré les conventions, défiant les lois d'une meute. Malgré moi, je ne peux m'empêcher d'espérer.
Et brusquement, sans crier gare, elle me saute dessus. De tout son poids, elle m'écrase dans le sable et les grains se mêlent à mon pelage, certains même s'engouffrent dans ma bouche entrouverte par la surprise de l'attaque. Par réflexe, je me redresse brusquement. Je la fixe un instant, penaud, et j'observe une seconde son attitude. Elle a les poils hérissés sur tout le corps, du commencement de l'échine à la base de la queue. Son regard est franc, droit, imperturbable, et son corps est campé sur ses pattes puissantes. Elle est prête à attaquer de nouveau, ses crocs sont extériorisés dans une menace grondante et je recule d'un pas, avant de devoir esquiver une nouvelle et violente offensive. Je gronde de stupeur, j'essaie de m'écarter et elle me mord douloureusement l'épaule. Je la repousse tant bien que mal, j'essaie de lui expliquer que mes sentiments n'ont rien d'un poids, qu'elle n'est simplement pas obligée de les accepter. J'essaie de lui faire entendre raison, mais elle continue de vouloir prendre ma vie. Je ne sais plus où aller, dans quelle direction me jeter pour échapper à toutes ses attaques mortelles. Tous crocs dehors, pendant longtemps, elle m'assaille de morsures et de coups de griffes. Elle laboure mon corps comme elle harcèlerait une proie pendant une partie de chasse, elle semble déterminer à mettre fin à mes jours. Et malgré ma voix qui se veut rassurante, malgré les mots que j'emploie, rien ne se termine. Elle continue, encore et encore, et rien ne semble être capable de l'arrêter dans ses funestes agissements. Et d'un seul coup, aussi brutalement qu'elle m'a mordu la première fois, j'ouvre les yeux. Ma respiration est saccadée, mon coeur bat à une allure formidable. Bon sang ... Je rêvais ... Le manque de sa présence est tel que je fais des cauchemars ...