Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Il est temps de s'avouer vaincue. Je pense. Peut-être ai-je une chance ? Non, je sais que je n'en ai pas. Je ne sais me soigner. Personne ne le fera pour moi ; et sans sortir de ce tronc creux qui m'est devenu une cachette de choix, je mourrai de toute manière. À quoi bon rêver ? J'essaie pourtant de penser à de bons moments. Mais il n'y a que la peur qui me domine. Qui me cloue sur place. Qui m'empêche de penser. Il est difficile de penser à de bon moments, oui ... Eh puis, en ai-je vraiment eu dans ma vie ? Elle a été des plus banales. Moi qui me pensais forte, insaisissable, me voilà devenue piégée. Je n'aurais jamais pensé que je puisse me faire rattraper ainsi. Ma ... Liberté. J'y croyais sincèrement. Résultat désormais, je suis seule. Livrée à moi-même. Face à qui ? Face à la mort. Directement. Mes pensées s'embrouillent peu à peu. Mon cœur s'emballe. La Mort. Elle s'approche. Elle tournoie autour du creux du tronc, mais ses griffes ne m'attrapent pas. Ses griffes ténébreuses, ses griffes mortelles. Je me tapis dans l'ombre. L'un des côtés n'est pas creux, je peux m'y blottir ... Seulement ... Et ensuite ? La Mort va t-elle me laisser ? Va t-elle se lasser, partir, m'oublier ? Tout de même, je suis sacrément amochée. Elle m'a touchée au membre droit ; sans lui, je ne peux pas faire grand chose de toute façon. Autant mourir ici que rester handicapée le restant de mes jours, pas vrai ? Là, au fond de ce tronc, je découvre peut-être le vrai sens de la vie. On dit souvent que l'on apprécie la vie seulement au moment de la quitter. J'imagine que c'est vrai. Si seulement mes congénères pensaient à cela ! Je suis sûre que ce serait ridicule. Mais je ne peux pas vraiment faire grand chose d'autre, ici, attendant de me faire tuer dans ma propre tombe. C'est sûrement mieux ainsi. J'essaie de faire le vide dans ma tête. Un moment, il n'y a que du silence. Qui s'éternise. J'espère qu'il s'éternise. J'envisage à sortir ... Et la Mort refrappe. Fort. J'entends le tronc ployer sous son poids, j'entends des griffes racler le bois. Je vois le ciel. Bleu. Puissant. J'imagine que c'est la dernière fois que je le verrais ... Car je vois déjà le visage de la mort. Il a un visage ... De loup. J'éprouve du regret. Le regret de la vie. Le loup m'attrape la nuque. Naturellement, je me débats. Je m'accroche à la vie, m'agite. Je hurle. Je crie. Mais l'autre loup me tient si fermement ! Sa morsure s'enfonce dans ma nuque. Je sens la vie me quitter peu à peu. L'adrénaline qui court dans mes veines n'est plus assez suffisante. Il m'a arraché un membre ; maintenant il m'arrache la vie. Bâtard de loup. Mes forces me quittent. Je continue à me débattre ; non plus pour m'échapper mais plutôt pour m'épuiser plus vite. J'éprouve une certaine fierté à mourir de moi-même.
J'agite une dernière fois mes ailes. Et je sombre dans l'obscurité.