Je déteste l'odeur de l'humus. Du moisi. De l'eau stagnante. Seulement, ce sont des conditions extrêmes qu'il me faut ... et le Marais Griffes Vertes est l'endroit parfait. Ces odeurs me donnent le tournis, et me mettent en situation de désavantage ; mais si j'arrive à donner le maximum ainsi, cela sera une bonne preuve de force. J'avance donc de quelques pas, plongeant ainsi les pattes dans l'eau. L'air de l'après-midi est lourd, à peine rafraîchi par l'eau et la saison. Je soupire. Il est encore temps d'abandonner, après tout ... Mais je ne le ferais pas. Il me faut aller au bout du Marais. Je m'enfonce plus encore dans l'eau, grimaçant au contact des lentilles d'eau, de la boue et du liquide sur mes flancs. Mes pattes touchent le sol boueux. J'aimerais brosser un tableau de la scène, mais il doit être tellement ridicule que je ne préfère pas me donner une honte supplémentaire. Une louve pataugeant dans la boue ... Super. Beaucoup critiqueraient ma manière de m'entraîner, mais je passe outre. Il ne sauraient pas ce que cela peut m'apporter. Je ferme les yeux et avance. J'ai l'impression que le temps est complètement ralenti. Mes membres, freinés par l'eau, doivent redoubler d'efforts. Je vais avoir des courbatures, demain ... Bref. J'avance donc dans l'eau, essayant tantôt de courir, tantôt de marcher contre l'eau. Lorsque j'atteins enfin l'autre bout de la petite mare que j'avais décidé de traverser, mes membres sont complètement affaiblis, lourds. Je ne suis pas essoufflée, mais j'ai l'impression d'avoir couru pendant des heures ... Et pire que tout, l'eau à l'odeur infecte me glace la peau, et pour me réchauffer, j'entreprends de courir. Je m'élance, d'abord doucement, et accélère peu à peu. Je fais un tour de la mare. Puis un second. Un troisième. Au quatrième, je sis déjà assez réchauffée et je commence à être essoufflée. Je ralentis donc progressivement. Jusqu'à m'arrêter. Là, je m'assois et entreprends une petite toilette. Répugnante, cette odeur. Mais je fais abstraction.

L'après-midi laisse bientôt place au crépuscule. Là, je décide de chasser. Ici, ce ne sera pas une mince affaire, de plus que l'odeur pestilentielle qui règne ici ne m'aidera pas. Mais qui tente rien n'a rien, alors je me mets en route. Je longe les différentes mares, museau ras du sol, mais rien. Je suis les petits sentiers, mais rien. Je désespère. Je passe de l'autre côté de la mare, tâchant de trottiner pour me réchauffer du froid qui commence à m'envelopper. Peut-être aurais-je plus de chance de l'autre côté, qui sait ?

Je continue donc mes recherches. Mais toujours rien. Hélas, ce côté-ci ne m'apporte rien de plus. Le soleil commence déjà à décliner. Je refuse néanmoins de rentrer bredouille, cela m'agace. J'émets un petit grognement de mécontentement. Je continue tout de même mon chemin, tête basse encore. Je ne vois pas l'énorme buisson aux taillis tous fous, et me le prend et pleine tête. J'ai un mouvement de recul et rugis sur le taillis. Je lui décoche un puissant coup de patte - qui réveille mes courbatures naissantes, et je grimace - et il frétille dans un bruit long. Cela me donne une idée. Je lui envoie encore quelques coups de patte les plus puissants que je peux. C'est douloureux, certes.

YAN'KA - « Ils ne savent pas ce qui est extrême, je me répète dans des murmures pour tenter d'oublier ma douleur. Ils ne savent pas ce qui est extrême. »

Mais cela me renforce. Combattre la douleur est efficace, cela améliorera mes muscles. C'est peut-être hâtif comme conclusion, mais c'est une bonne motivation. Je continue de frapper le buisson, donc, lorsque finalement j'en viens aux crocs. Je m'attaque directement aux racines et verrouille mes mâchoires dessus. Mon objectif est de le déraciner. Mes mâchoires, fermement serrées dessus, les tient bien. Je me secoue, de droite. De gauche. Le buisson commence à bouger. Mes mâchoires me brûlent - décidément, tout m'est trop extrême, aujourd'hui ... Enfin, je le sens qui bouge. Bouge, bouge. J'entends un bruit de déchirement. Et je suis projetée en arrière lorsqu'il se détache du sol et je roule sur quelques longueurs plus loin. Le buisson entre les crocs, je me relève. Non mécontente de moi, bien sûr. Je le fais rouler jusqu'à la mare la plus proche, où il s'enfonce dans l'eau. Je crache les épines qui m'obstruent la gueule, enlève brièvement celles entremêlées dans mon pelage. Ce petit entraînement improvisé m'aura été bénéfique. Pour le retour, je m'enfonce à nouveau dans l'eau. Ç'a un goût de déjà vu ... Je combats à nouveau le "courant" et me félicite lorsque j'arrive à l'autre rive. Je m'y hisse, et m'ébroue. Je lâche un soupir ravi. Le retour se fait en une course à une allure plutôt rapide. Le soir tombe ; l'air se rafraîchit, et j'ai intérêt à rentre vite si je ne veux pas me transformer en glaçon.