Même si vivre en ce monde est un entraînement perpétuel, Skull n'en a jamais assez. Elle ne peut pas se reposer sur ses lauriers, en ce moment. Quoiqu'il advienne, il lui faut entretenir sa force, son endurance et son agilité, pour garder ses chances lors d'un combat ou d'une course-poursuite.

La louve se rend dans une bien étrange prairie, parsemée de pierres rouges étincelantes, d'une beauté rare malgré la cendre qui les recouvre. Le ciel est couvert, le vent fort et le froid glacial. Mais Skull est pourtant là, à dévorer ces choses écarlates du regard. Quelle étrangeté… La louve relève la tête lentement, les yeux mi-clos. Elle est parfaitement calme, et ne sent aucune présence dans les alentours. Tant mieux, la Hordienne ne désire pas être dérangée pendant ces entraînements. Aujourd'hui, on reprend les bases: pas de pillage, pas d'ours ni de chien mutant. Aujourd'hui, elle va s'entraîner seule, dans un endroit isolé et loin du danger. Skull reste plantée au centre des pierres rouges quelques instants. On se demande ce qu'elle attend; ce qu'elle entend ou voit. Mais sa face impassible, impénétrable, ne révèle rien hormis de la détermination. Aucune faille dans ses yeux ou dans sa posture. Quand Skull se décide à partir, elle commence par une course. Tout d'abord, ses pas sont réguliers et lents, son souffle est encore calme et profond. Elle aime sentir la terre humide sous ses pattes; l'humus s'enfoncer sous ses griffes. Rien ne vient la déconcentrer, elle regarde droit devant elle. La louve reste dans un petit périmètre, décrivant de larges cercles autour de la prairie. Elle accélère progressivement, alternant entre pointes et petite course. Skull n'est désormais plus qu'une ombre furtive entre les étoiles écarlates. Son corps brun-roux est tendu, ses pattes trapues touchent le sol au rythme des battements de son coeur affolé, et le vent vient fouetter son pelage avec force. Sa respiration est devenue haletante et brève, ses poumons la brulent, mais Skull se force à courir pendant d'interminables minutes. Ce n'est qu'une fois rompue que la louve ralentit, le souffle court et la cage thoracique en feu. Ses pattes tremblent légèrement mais elle fait comme si de rien était; elle n'est pas faible. Non, ça, jamais. Malgré les nuages, des rayons de soleil blanchâtres viennent caresser le sol, créant des ombres claires mais reconnaissables. Aussi, Skull décide de les prendre pour cible et se jette dessus comme elle l'aurait fait sur un lapin. Elle ne se laisse aucun répit: elle frappe le sol avec ses pattes, l'une après l'autre, recule, avance, tourbillonne, mord le vide. La louve reprend une brève course autour des ombres qu'elle décide tour à tour d'attaquer. Elle s'essouffle, elle le sent. Il est stupide de se fatiguer à attaquer un ennemi imaginaire, mais la Hordienne sent, dans la brulure de ses muscles, quelque chose de bénéfique. Non, elle ne doit pas s'arrêter. Soudainement, elle se retourne, comme si un ennemi venait de surgir par derrière elle, et elle attaque violemment. Skull jette ses pattes griffues, fait des bonds et recourt. Arrivée près d'un arbre, elle s'y fait les griffes puis commence à le contourner rapidement, comme un animal fou. Dès qu'elle voit un rocher, elle y saute, dès qu'elle voit l'ombre d'un chêne sur le sol, elle s'y jette. Et ça, pendant plus d'une heure, sans aucune pause. Lorsqu'elle décide de s'arrêter, la Hordienne a le poil parsemé de terre, de feuilles et de mousse, le corps perclus de courbatures et de griffures bénignes, et le souffle saccadé, semblable à un râle de mourant. Un loup censé aurait accordé qu'il n'était n'est plus de son âge de s'entraîner ainsi. Mais Skull n'est pas censée, elle est guidée par la folie. Une folie qui la laisse cependant très lucide, et qui la rend forte. C'est une chose indescriptible qui habite l'Alpha; un mélange si complexe qu'elle-même n'en pourrait défaire les noeuds. Après tout, la folie ne se s'explique pas, elle se ressent. Un vieux sage avait dit un jour à Skull: "L'extrême limite de la sagesse, voilà ce que l'on baptise folie."


FIN