La pénombre est douce, réconfortante, et elle cache bien des vies que personne ne soupçonne. Là, dans cette obscurité, deux loups courent côtes à côtes. Se bousculant, la langue pendantes, on pourrait croire à les observer qu'il s'agit de deux louveteaux. Pourtant ce sont bien deux loups adultes, tous deux âgés de six belles années, et dans leurs têtes, même s'ils sont ce soir d'une humeur de louvards enjoués, ils n'en sont pas moins en pleine mission. Là, à se percuter l'un l'autre en pouffant presque de rire, ils longent les terres neutres avec un seul endroit en tête : les tranchées. C'est là qu'ils ont eu vent de la visite d'un dénommé Astaroth.

- Bien le bonsoir, Tybalt et Isha. Vous souhaitiez me trouver ?

Je n'aime pas les chiens. Ils sont fourbes et traîtres. Ils sont lâches. Aussi, je n'ai aucune confiance en ce clébard. Mais Tybalt à insisté pour que je vienne à sa rencontre à sa compagnie. Il a entendu dire qu'Astaroth sait tout, qu'Astaroth entend tout. Il est persuadé que le chien pourra nous aider à atteindre les objectifs de Skull. J'ai d'abord soupiré et j'ai essayé de lui faire entendre raison. Les chiens sont des idiots finis, ils ne pensent qu'à leur maître et à la baballe. On ne peut pas leur faire confiance. Mais Tybalt est borné, alors je l'ai suivi, parce qu'il est mon meilleur ami et qu'il a une fâcheuse tendance à se foutre dans des merdiers pas possible. Aussi, quand nous arrivons près du chien au pelage ras et sombre, et que nous nous immobilisons comme les loups adultes et sages que nous sommes, je toise un instant notre interlocuteur.

- J'tiens à préciser qu'c'est lui qui voulait t'voir

Je montre mon ami de la tête, histoire de bien faire comprendre au chien que je n'ai aucune envie d'être là. Pourtant, je suis curieux de savoir de quoi il en retourne. Alors je reste calme, j'affiche une mine intéressée et j'attends la suite, désireux d'en apprendre davantage. Puisque je suis là, après tout ...

Un regard de mon ami m'indique que mes manières ne sont pas des plus polies. Mais après tout, je ne dois de respect à personne et encore moins à un cabot de bas quartiers. Je patiente, en silence, écoutant mon compagnon faire ses salutations. Le chien voit, le chien écoute. Il analyse ceux qui lui font face. Je sais très bien qu'il a des plans derrière la tête. Aux paroles de Tybalt, il fait mine de confirmer les dires qui traînent dans les parages. Mon compagnon semble enthousiaste à cette idée, pas moi. Quelque chose cloche, chez ce chien.

- Qu'avez-vous à m'offrir ? Votre prix sera le mien.

Je tique. Je montre les dents sans gronder de prime abord. Les chiens sont vraiment des corniauds répugnants.

- Tu nous prends pour des louveteaux ignorants ? Les informations sont tiennes, pourquoi les prix seraient nôtres ?

Mais un regard réprobateur de mon meilleur ami me fait taire. Après tout nous sommes là pour lui, parce qu'il l'a voulu. Alors, de nouveau, je me tais. Il semblerait que les rôles soient échangés, pour une fois. Tybalt fait preuve de bien plus de diplomatie que je ne saurais le faire. Les chiens me révulsent, je n'ai qu'une envie : les abattre. Alors j'attends, patiemment, que Tybalt étale ses idées.

Le clébard s'amuse visiblement de mes réactions démesurées. C'est que je peine à garder mon sang froid, et je suis persuadé qu'il n'attend que ça, que je commette une erreur. Nous aurions alors tous fait le déplacement pour rien, et les rumeurs se répandraient rapidement contre moi. Si je n'ai pas peur des on-dit, je me dois cependant de ne pas attirer l'attention plus que nécessaire sur ma propre entité et surtout, il se pourrait que ce chien nous soit d'une quelconque utilité, malgré mes suspicions non feintes. Je fixe mon regard sur le chien qui prend volontairement son temps pour nous répondre.

- Je vous en propose deux. Vous ne m'avez pas l'air décidés à en proposer quant à vous. La première ; vous vous battez entre vous. Dès que l'un se retrouve à terre ... L'autre recevra les informations. ... Ou la deuxième. Vous m'offrez libre accès sur vos terres. Droit de chasse, droit de passage.

Est-ce qu'il se moque de nous ? Mes yeux saphirs se posent sur ceux, bruns, de mon meilleur ami. Nous réfléchissons sans échanger le moindre mot, et nous mettons d'accord. Tybalt et moi sommes les pro' de ce genre de plans. S'il croit nous berner, il rêve.

- Je vous conseille de choisir la facilité. Cela risque d'être un combat à mort, si votre réflexion s'éternise.

J'échange un regard entendu avec mon meilleur ami, avant de fixer mon regard sombre sur celui du chien, fronçant les yeux pour lui montrer mon sérieux.

- Ok, on peut s'battre, je réponds du tac au tac. Mais au premier coup fourré, je t'égorge de mes propres crocs.

Après tout, ça ne sera pas la première fois que Tybalt et moi en venons aux pattes, et pourquoi pas en profiter, puisque ça nous permettra de dépasser nos limites tout en ayant des choses à gagner derrière ?

Tybalt est déjà sur la défensive, et je sais que cette petite aventure amuse d'autant plus mon ami qu'elle l'incite à se mesurer à moi. Je fixe le chien de longues secondes, comme dans l'attente d'une réponse, mais Tybalt ne prend pas ce temps de réflexion. Il est déjà sur moi, me percutant de tout son poids. Je lâche un grondement de surprise, et mes crocs se referment sur son épaule opposée pour lui faire perdre l'équilibre. Nos corps s'emmêlent, se roulent l'un sur l'autre et s'emplissent de boue et de neige. J'entends vaguement la voix du chien entre les claquements de mâchoires de mon ami et les coups de griffes que je lui assène dans les flancs. Il parle de faire semblant, de prestation. Est-ce qu'il se moque de nous ? Mon manque de concentration dans le combat me donne droit à une morsure sanglante au niveau de la nuque. Je grogne par réflexe, et c'est en balançant mon arrière-train contre Tybalt que je lui fait perdre sa prise et que je le force à reculer. Une seconde est suffisante pour que mes pattes avant percutent son poitrail et se retrouvent sur son échine, alors que ma gueule grande ouverte cherche à capturer son museau dans un étau féroce. Nos corps s'élèvent au-dessus du sol, et seules nos pattes postérieures nous maintiennent contre la terre.

Une nouvelle inattention m'échappe, pour chercher le chien du regard. Il a disparu de sa place initiale. Je le retrouve plus bas, derrière une protection grillagée, à nous observer de son oeil pervers. Tybalt plante ses crocs dans ma patte antérieure, et je suis forcé de retourner ma tête vers lui pour lui mordre la joue afin de le faire lâcher. Notre but n'est pas de nous blesser, mais nous sommes des hordien et le combat nous excite, que ce soit contre nos ennemis, ou nos amis. Alors nous nous donnons corps et âme tous les deux, chacun essayant de mettre l'autre à terre. Je suis heureux de voir que mon ami a progressé malgré notre grande différence de capacités. Nous avons le même âge, pourtant il semble s'être laissé aller ces derniers mois. Je lâche un grondement rauque, menaçant, le défiant d'aller plus loin. Mais à mon plus grand plaisir, Tybalt est aussi combatif que moi et il se rue sur son adversaire. Je l'accueille fermement, les pattes campées dans la terre molle, et je m'avance à la dernière seconde pour le déstabiliser et profiter de sa surprise pour planter mes crocs puissant dans sa gorge. Je mords violemment, sentant sa jugulaire battre sous mes dents meurtrières, et je relâche la pression presque aussi tôt pour claquer des mâchoires près des siennes, nos dents s'entrechoquant furieusement.