Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Le grand machin rond et creux grinçait sous le vent, la tempête faisait rage, les flocons se précipitaient sur ma figure tant et si bien que je devais secouer la tête toutes les dix secondes pour m'en débarrasser.
J'avance péniblement entre les allées, les stands délaissés sont rouillés, certains puent, d'autres ne sont tout simplement visible que parce qu'il y a encore quelques poutres ou piliers debout, les tissus s'étant envolés avec le vent ou volatilisé je ne sais où. Ma queue fouette l'air, enfin, plus particulièrement les flocons, je les chasse. J'effectue des grands pas pour pouvoir avancer à une allure raisonnable, ce qui me donne l'air attardé. Je grimace quand je sens qu'une de mes pattes à marcher contre quelque chose d'inconnu et de tout mou, j'ose un regard et vois un espèce de truc bizarre marron qui pue, mais ce n'est pas de la crotte. Il y a de la pourriture dessus. J'ose le sentir, je me résigne tout de suite. Ca sent mauvais.
Des pas lourds raisonnent sur le sol, je les sens, les entends, et une sensation de vide inconfortable s'installe en moi. Des images, des cris, des douleurs, la confusion, la souffrance, tout ceci m'agressent, me déchirent, me font mal. Un hurlement, puis deux, puis trois, un regard désespéré, des ricanements cruels, des regards avides de voir peur victime encore plus souffrir. Une louve à bas âge osant un regard risqué à travers le feuillage des buissons verts, elle retient un cris de terreur avant de se recacher, traumatisée et changée à jamais par ce qu'elle vient de voir.
Je me retourne, et regarde avancer dans le lointain, surgir dans la tempête en immense ombre noire menaçante la silhouette d'un ours qui se découpe dans le lointain. Il est grand, menaçant, ses yeux, je les imagine rouge de haine, de cruauté. Mes oreilles se placent instinctivement contre ma nuque, je claque mes crocs, retrousse mes babines, avant de finalement me ramasser sur moi-même comme une bestiole sans défense. Je suis prête à me livrer à la mort évidente, à la torture, à la souffrance. J'oublie qui je suis, qui je désire être, ce que j'étais venue faire ici, ma vie, le sens de celle-ci, le regard de Tybalt qui se pose sur moi, les entraînements rudes de Isha, la dégaine de Rake Mâar à mon arrivée, l'allure et la manière de Skull parfaitement contrôlée sous cette folie.
Mon moi cruel a quitté mon corps, s'est envolé en voyant l'ours avancé. Je ne suis plus que cette petite louve fragile et cherchant un sens à sa vie. Les loups faibles qui connaissent et veulent savoir la compassion. Ils la font, l'exercent. Je n'étais plus celle-là. Et là je suis en train de compatir avec ma défunte mère.
L'ours se dresse devant moi, menaçant, retroussant ses babines, il se projette sur moi, j'esquive mollement le premier coup, puis le deuxième, le troisième, sans jamais contre-attaquer, sans jamais répliquer, juste en gardant mes yeux fixés avec effroi sur l'immense bête. Je continue d'esquiver, puis, n'en pouvant plus, je fuis. Je cours et monte dans une des plateformes -la plus basse- du grand rond qui menace de s'écrouler. Je m'y cache, me roule en boule, mais l'ours rugis, et je l'entends s'approcher de ma cachette.
Je m'enfonce encore plus. Qu'est-ce que je fais ? Je suis Démon Imitateur, pas Alweda, Démon Imitateur et... J'imite ce qu'on fait les ours à ma mère. J'ai la nausée, j'essaie de me reprendre, les cris se font plus broches, l'haleine fétide de l'ours, je la sens, mais je suis incapable de bouger, paralysée par la peur. Comment est-ce que j'espère vaincre en étant aussi pitoyable ?
Me ressaisir, il faut que je me ressaisisse, me ressaisir, me ressaisir. Je grogne. Je me relève. Je sors de ma cachette et bondis dans un hurlement terrifiant sur l'ours qui arrête sa course, surpris, je m'accroche du mieux que je peux à sa nuque en enroulant mes pattes autour de son cou et enfonçant mes griffes dedans. Mes pattes arrières essaient de trouver un point d'appuie stable pour me maintenir dans cette position sur l'ours. Je lui donne des sévères morsures, je le griffe avec mes crocs, comme je l'avais fait avec les rochers, dans la forêt où réside mon cher crâne. L'ours hurle de douleur, ses pattes me cherchent, mais je m'aplatis de manière à ne faire qu'un avec lui, hélas, il commence à m'effleurer, je panique. Qu'est-ce qu'un ours fait là ? Comment vais-je m'en sortir ? Non ! Ce n'est pas un raisonnement digne d'un Hordien !
Je resserre mon étreinte, mes griffes percent sa peau, je sens le sang couler, le sang se mêler à mes poils. Je veux qu'il recouvre mon pelage, je veux que cet ours gît mort sur le sol, ou gravement blessé, quelle importance du moment qu'il est voué à mourir !
L'ours se jette contre le sol pour m'écraser, je me dégage de lui, mais ne le laisse pas se relever. Je fonce contre son ventre et le lacère de coups de griffes violents, puis le mord au ventre en lui arrachant une touffe de fourrure.
- Pour... Ce... Que... Pour elle ! Pour... L'avoir fait... Souffrir ! Dis-je en hurlant toute ma rage dans le dernier mot.
L'ours me donne un coup de patte qui m'expulse au sol. Une immense plaie s'est ouverte sur mon flanc, mais la détermination brûlante en moi, je me rue de nouveau sur l'ours, ignorant mes blessures, mais celui-ci n'a pas la même volonté que moi, il est trop occupé par son sang qui coule. Je bondis sur sa nuque et le mords, quand soudain j'entends d'autres ours au loin, je relâche ma proie et regarde un groupe composé de quatre ou cinq ours avancer rapidement vers leur camarade au sol.
Je regarde si les blessures de ma victime sont suffisantes pour qu'il meurt. Satisfaite que la réponse soit oui, je détale dans les bois à toute allure, passant en dessous du grand truc rond. Les ours grondent de rage, mais ils ne se mettent pas à ma poursuite. Enfin si, un, mais il est trop bête et ne se baisse pas pour passer en dessous du grand truc rond et se prend une de ses plateformes dans la figure.
Riant aux éclats, je fonce vers un des membres de la Horde que je viens de repérer. Je suis heureuse d'avoir vaincu un ours, mais surtout, d'avoir affronté ma peur !