Des carcasses, trop de carcasses, toujours des carcasses. Ces restes de nourriture qui aurait dû être nôtre, et ainsi assurer notre survie. J'avais remarqué depuis quelques temps que nous n'avions plus grand chose à nous mettre sous la dent, que la chasse devenait de plus en plus difficile et que le garde manger se vidait de jours en jours. Mais je n'étais pas au courant de la cause jusqu'à hier, où j'ai appris par notre Alpha que c'était un grizzly qui empiétait sur notre territoire, mettant en péril notre existence. C'est pour cela que je me suis porté volontaire pour aider la meute à chasser ce prédateur qui nous menace, afin de prouver mes valeurs à mon dominant. Je veux leur montrer, à tous, que je ne suis pas qu'un simple petit solitaire devenu guerrier, et que j'ai du cran et du courage. Je veux prouver ma loyauté envers les Sekmets.

Avec d'autres guerriers et chasseurs, nous étions donc partis à la recherche de l'animal sur nos terres. Nous ne savions pas vraiment comment nous le ferions partir, et s'il faudrait en venir à la violence. Un grizzly n'est pas une bête inoffensive, loin de là, il serait donc difficile de le chasser par une bagarre, cela dit ce serait tellement plus amusant ... Je me délectais déjà du sang qui coulerait bientôt dans ma gorge, lentement, apaisant mes pulsions meurtrières, même si je ne laissais rien paraître.

Nous arrivions bientôt à la forêt charbonneuse, où les traces nous avaient menés. Les cadavres d'animaux étaient de plus en plus présents, et la viande de plus en plus fraîche. Soudain, une odeur a traversé mes narines. Au vu de toutes les oreilles aux aguets d'un coup, je suppose que tout le monde l'avait senti. Nous nous sommes tous regardés, sans se parler. Il n'y avait pas besoin de mots pour se comprendre à ce moment là. Et avec un coup de patte, j'ai poussé un tronc d'arbre mort qui s'était écroulé sur le chemin, révélant ainsi une trace de pas toute fraîche, celle du grizzly. L'empreinte était dirigée vers le sud, c'est donc par là que nous avons décidé de nous rendre, poursuivant notre traque.

« Bon il va décider à se montrer ce gros lard ? »

Je dois avouer que moi aussi, j'en ai marre de chercher un ennemi qui semble invisible, malgré la carrure énorme qu'il devrait avoir. Des traces, des carcasses, et des odeurs, ce sont les seuls indices qui témoignent de sa présence. Mais personne ne l'a vu, ni entendu. Oh, et puis si ça se trouve, il est parti de lui même ? Non, ce serait bien trop beau. Enfin, pas si beau que ça, je dois avouer que défier la bête me ferait le plus grand bien, du moins à mes nerfs. Mais en réfléchissant, c'est peu probable qu'il se soit éclipsé comme une ombre, sans demander son reste. Pourquoi partirait-il des terres où la nourriture lui arrive droit dans les pattes et où personne ne le chasse ? C'est hautement improbable. Je suis sûr qu'il est encore parmi nous, bien caché. Il faut juste continuer la traque, lentement mais sûrement, sans laisser filer l'espoir qui guide nos pas. La patience est une vertu ... Oui mais moi, je n'ai pas de patience.

Je tourne alors la tête vers mon interlocutrice, ne lui adressant pas même un regard de sympathie. Nous ne sommes pas là pour jouer. Et puis qu'est-ce que je méprise les autres loups ! Elle n'a peut-être rien fait de mal contre moi, mais faire la causette ne m'intéresse pas. Du moins pour le moment. Mais je ne laisse pas paraître mon agacement, je me contente simplement de prendre un visage neutre, en veillant à toujours garder la tête haute, dignement. Elle est si jeune, et a encore tant à apprendre ...

- Peut-être bien qu'on l'intimide, notre gentil petit nounours. Il se cache sûrement, en bon froussard qu'il est.

Et puis, satisfait de ma réponse sarcastique, visant à rabaisser notre fameux grizzly, je m'arrête devant la femelle blanche qui avait entamé la conversation, plongeant mon regard sombre dans le sien.

- Cela dit, si nous voulons être discret, je ne pense pas que parler soit une bonne chose.

Je sais que notre odeur est la première chose que l'animal remarquera à notre arrivée, et qu'il nous repérera sans doute très longtemps avant que nous ne l'atteignions, cela dit ce n'était pas ma seule raison. Je n'ai aucune envie de parler avec les autres guerriers ou chasseurs de la meute. Je veux rester concentré sur ma tâche, et ne pas être agacé par quelques loups trop bavards.

Et puis, à force de recherches, c'est au beau milieu de la forêt charbonneuse que nous avons trouvé l'individu clandestin. Devant nous, sortant tout droit d'un bosquet feuillus, il apparaît soudain et se dresse de toute sa hauteur. Il nous domine de loin, avec sa taille colossale. Et à l'occasion, je trouve  mon nom de lune mal approprié ... Colosse Hurlant, oui, face à un vrai géant, je me sens pourtant petit, minable. Mais même si je suis impressionné de voir la masse énorme de la bête, je ne risque pas de reculer devant lui, ou de faire mon lâche. Cette pensée ne traverse même pas mon esprit. Lorsque le danger m'appelle, je réponds toujours présent, me délectant de l'adrénaline qui coule dans mes veines, me donnant un maximum d'énergie. Et même si nous n'avons pas la taille, nous avons l'avantage du nombre et de l'agilité.

Ça ne dépendrait que de moi, nous serions déjà sur le dos du grizzly, en essayant de le mettre à terre. Cela dit, je ne suis pas aux commandes, je ne peux pas décider de la marche que nous allons suivre. C'est pourquoi, pour le moment, nous nous regardons tous les yeux dans les yeux, nous interrogeant silencieusement sur le comportement à adopter. Mais nous devons nous dépêcher, parce que je dois avouer que l'animal à l'air de mauvais poil. Et si nous ne nous décidons pas rapidement à lui montrer qui est le chef ici, il risque de passer rapidement à l'offensive. Remarquez, il n'y aurait plus de question à se poser quant à savoir si nous tentons de parlementer ou d'employer la force.

Et voilà, je l'avais dit. Même cet idiot de glouton est plus rapide que nous à la détente. Mais maintenant qu'il est devant nous, je dois avouer qu'il est immense, vraiment immense ... Encore plus que ce que j'avais imaginé de loin. Mais ce n'est toujours pas ça qui m'arrête, en fait je suis de mauvais poil aujourd'hui. Donc le fait de se faire traiter de pleutre, incapable ou encore faible n'arrange rien à ma situation, je bouillis déjà intérieurement. Ah si j'étais seul, je lui aurais déjà sauté dessus, à cette sale bête sauvage. Et tant pis pour les conséquences. Parce que je suis tout sauf un peureux, ou un faible. Non, je vais toujours au bout de mes idées. Mais voyons, je ne dois pas prendre de décision trop impulsive, alors que personne n'a encore donné d'avis. Après si je suis le seul à vouloir lui bondir dessus, je serais bien embêté. Mais il faut bien que quelqu'un se dévoue à lui parler. Sans regarder les autres, je m'avance plus près de l'animal, avec les oreilles et la queue hauts portées, pour lui montrer que je ne suis pas un soumis, que je n'ai pas peur.

- Bien, faut dire que tu ne nous arranges pas en mangeant nos repas, ou en buvant notre force.

Je le regarde, penchant quelque peu la tête, et plongeant mon regard profond dans le sien. C'est dur de déchiffrer un animal d'une autre espèce.

- A ce propos, tu veux pas dégager le terrain ? Parce qu'on en a marre de tes déchets qui traînent, tu ramasses rien derrière toi pépère. Mais entre nous, y'a des terres plus au sud où tu serais bien, et où il y a plus de nourriture. Bon y'a une meute dessus, les Esobeks, mais je suis sûr qu'ils seraient ravis de ta présence.

Je ne prends pas la peine de dissimuler mon mépris sous mon sarcasme, non loin de ça. Mes mots sont acides, je tente de lui faire comprendre qu'il n'est pas le bienvenue ici, sur nos terres, même si je pense qu'il le sait déjà. Et puis c'est naturel pour moi, quand on me connait on s'y habitue. Faut pas le prendre personnellement.

Mais je pense que cette fois-ci, le message est bien passé. J'en suis sûr même, à en juger par le coup de patte que je viens de me recevoir dans l'abdomen, et qui m'a envoyé valser contre un arbre. Mais plus de peur que de mal, il ne m'a pas frappé fort, heureusement pour moi et mon ego démesuré. Puis en me relevant du sol poussiéreux, je regarde mes compagnons, en attendant leur réaction. Bon, les amis, je me suis sacrifié pour vous. C'est moi qui l'ai pris ce coup de patte. On peut l'attaquer maintenant, il ne s'est pas plié à la manière douce. Qu'est-ce que vous attendez ? Prenez ma défense, je songe ironiquement. Et enfin, je suis de nouveau sur pattes, dans l'attente que quelqu'un ne bouge.

Mon corps a un peu de mal à me suivre, au début. Mes membres semblent peser des tonnes, je suis engourdi. Mais je suis tout de même très vite debout, prêt à affronter le danger, la menace. Posé contre un arbre, je regarde mon entourage, afin de comprendre ce qui se passe, de me remettre dans le bain. Ils n'ont toujours pas bougé ... Ils sont tous là, comme ... Attendez ! Non, en fait ils ne sont pas tous ici. Je tourne la tête, et je vois la scène qui se passe à ma droite. Helya, elle, n'est pas restée bouche-bée devant la créature de l'enfer. Elle a apparemment une bonne prise sur l'animal colossal, ne demandant qu'à le mettre à terre. Enfin une louve qui a du cran, et qui a su prendre la bonne décision. Mais elle ne pourra pas tenir bien longtemps, toute seule. Cela dit, je peux maintenant me joindre à elle, je ne serai plus seul. Et avec un peu de chance, les autres suivront. Après tout, c'est l'union qui fait la force, non ? C'est bien pour cette raison que je vis en meute, moi, Sageeth, le solitaire ...

N'ayant qu'une fraction de seconde d'analyse, je prends enfin mon élan, prêt à bondir sur la bête qui pie nos terres sans scrupules. Je veux lui montrer qu'on ne se frotte pas à un loup de la sorte, qu'on n'insulte pas un Sekmet, et surtout qu'on ne doit éprouver envers moi que de la crainte. Il va goûter à ma force, à ma colère. Mais aussi à la colère de mes compagnons, s'ils font leur part du travail, sans quoi nous prendrions tous les deux une bonne raclée. Mais au moins, nous serions battus en tout honneur, nous perdrions dignement. Parce que finalement, peu de loups sont venus défendre ce qui leur appartient.

Mes muscles sont tendus, je prends de la vitesse, beaucoup de vitesse. Je me prépare mentalement à la collision, qui ne devrait plus tarder. L'adrénaline fait son chemin à travers mes veines, je déborde d'énergie, et je n'ai qu'une seule envie : étancher ma soif de sang. Le sang, oui ... Ce liquide chaud et onctueux, moteur de la vie. Cet infini fluide qui m'attire tant, et dont le goût est le seul à apaiser mes démons intérieurs ... J'imagine déjà le parfum que peut avoir celui d'un grizzli : un goût cuivré, légèrement acidulé, et ... Piquant. Hum, j'ai soif.

Et enfin arrive le choc de l'impacte. Ma masse importante vient percuter la masse titanesque de l'ours, créant un bruit sourd, mais pourtant discret sous l'éclat du combat avec Helya. Je parviens à le déstabiliser un peu, sans trop me désorienter moi. Mes griffes se plantent profondément dans la chaire tendre de la bête, et mes crocs commencent tant bien que mal à infliger des morsures douloureuses au niveau de son flanc. Je peux dire que pour le moment, nous avons le dessus. Mais pour combien de temps ? Je n'ai pas beaucoup d'endurance, et puis l'animal semble disposer encore de pas mal de réserves. Et puis, s'il arrive à améliorer sa situation, il prendra très vite la main. Et enfin, entre deux frappes, je jette un rapide coup d’œil aux autres.

- Et bien, vous venez ? ... Un coup de patte ... serait le bienvenue !

Ma voix est saturée, du aux efforts que je fais pour me battre. Mon souffle est rapide, j'essaye d'économiser mes forces au maximum, du moins pour le moment.

Et pour la deuxième fois de la journée, je finis sur le sol, respirant la poussière et avalant du sable. Mais cette fois, une énorme masse m'étouffe, appuyant sur mes poumons déjà meurtris. L'ours est sur moi, je n'arrive pas à me dégager. Ah, je les sens toutes nos proies volées là, il n'a plus aucun alibi qui tienne la route pour clamer son innocence, je songe ironiquement. Et puis, je commence à voir des étoiles tout autour de moi, ma vision s'obscurcit à cause du manque d'oxygène. Je ne suis plus vraiment conscient de mon entourage, ce n'est que flou lointain, et bruits étouffés. Mais enfin, le grizzli se retire de mon corps, je ne sais pas pourquoi, et l'air frais m'atteint de nouveau. Ma respiration saccadée s'affole avec la vague d'oxygène enfin accessible, si bien que je suis pris d'une violente toux. Mais elle ne dure pas longtemps, et je retrouve très vite une respiration normale. Cela dit, je reste un instant à terre, deux chocs pratiquement simultanés ne sont pas à prendre à la légère. Je me demande même si je n'aurais pas une côte fêlée. J'ai mal à mon dos, à mon thorax. La douleur m'imobilise quelques minutes, le temps que je m'y habitue.

Et enfin, quand je parviens à me remettre sur mes pattes, je vois le grizzli à terre, grognant, et les yeux remplis de sang. Et en regardant plus haut, je vois Helya, l'aveugle, qui est sur lui. Ah, comment ne pas s'en douter, il n'y a bien qu'elle qui pense à s'en prendre à la vue de ses adversaires, j'en ai moi même eu l'expérience en m'entraînant avec elle, une fois. Mais en y réfléchissant, c'était une manœuvre très périlleuse, cela m'étonnerait fortement que l'ours ne la laisse s'en tirer aussi facilement. Je m'avance donc rapidement, du moins comme je le peux, en prédiction du mouvement de la bête titanesque. Et alors que son coup part en direction de la louve gênante, j'attrape de justesse son bras puissant, de quoi permettre à la guerrière de se retirer avant que je ne lâche prise.

L'ours commence à s'affaiblir, ça se voit comme la misère sur le pauvre monde. Ce n'est pas vraiment l'expression correcte, je sais, néanmoins, je trouve qu'elle colle parfaitement à la situation. Le grand colosse brun est à terre, pratiquement complètement ensanglanté. Des touffes de poils sont éparpillées sur le terrain de bataille, et des souffles saccadés dominent hauts et forts. Nous sommes pratiquement à court d'énergie, mais nous sommes plus nombreux. Nous allons gagner, il n'est pas question qu'il en soit autrement. J'en mettrais même mes quatre pattes à couper, si j'étais joueur.

Mais je ne m'amuse pas avec ma propre vie. Je me distrais simplement avec celle des autres.

Et alors que la pluie de coups se fait des plus intenses, que des pattes de toutes les espèces présentent volent en tous sens, je suis à nouveau projeté à l'écart du grizzli. Rien de bien méchant cette fois, juste assez pour me faire mordre la poussière, à nouveau. Mais je me relève d'un bon, découvrant mes crocs un maximum, menaçant. De ma position clairement offensive, je peux voir que Helya a également lâché prise, de son côté. Mais l'ursidé ne peut se relever, il est bien trop épuisé pour ça. Il ne reste plus qu'à porter le coup fatal, et sa vie ne sera plus qu'un souvenir envolé.

Mais c'est ce moment que choisit Oilossë pour -enfin- sortir de sa transe. Tiens donc, la peur se serait-elle envolée maintenant que la menace est sur le point de périr ? Et de ma place, je peux voir la jeune femelle se déplacer rapidement et sauter sur -l'occasion dirais-je- l'ursidé. Oh, le profiteur ! Mon sang bouillit, et à l'instant je ne sais même plus contre lequel de l'ours ou de la louve j'éprouve le plus de colère. Je veux bien croire qu'elle est jeune et encore pas très expérimentée, qu'elle n'a pas eu le cran ou la folie de s'attaquer plus tôt à la bête sauvage ... Mais elle doit apprendre que l'union fait la force chez les loups, et que si elle s'était jointe à nous plus tôt, en plus de nous éviter quelques douleurs, elle aurait mérité le droit de prendre la vie de la bête. Pas là. Elle n'en a pas le droit. Elle n'a fait qu'attendre bouche-bée tout le long, en attendant que l'on fasse le sale boulot pour enfin venir nous voler notre dû. Je ne sais pas pour la guerrière aveugle, mais moi quand je fais un affront de ce genre, je veux au moins la satisfaction de pouvoir sentir la vie quitter la bête contre laquelle j'ai lutté. Ou au moins que la personne réalisant cet acte le mérite.

C'est pourquoi en deux foulées, alors que la novice enfonce ses crocs dans la gorge de l'animal, je viens la percuter avec force pour la sortir du chemin, lui faisant lâcher prise. Et après lui avoir lancé un regard meurtrier, assaisonné d'un long grondement de colère, je prends sa place et enfonce ma mâchoire dans la carotide du grizzli. Et effectivement, il ne faut pas attendre longtemps avant que je sente son poux ralentir considérablement, puis s'arrêter ...