Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Il m'a fallu peu de temps pour dénicher la carcasse de l'énorme animal. Certainement a-t-elle été abandonnée par un clan autonome traversant les terres pour rejoindre d'autres contrées. La bête, un gigantesque élan dont il manque les organes et une partie des muscles, reste encore un mets de choix. D'autant qu'il a été fraîchement tué, à tel point que les oiseaux charognards sont encore nombreux sur son cadavre. Je m'en vais prendre ma part bien méritée après tout le chemin parcouru pour suivre l'odeur du sang et trouver sa piste. J'avale de gros morceaux de viande, me délectant de chaque muscle avalé pendant de longues minutes. Repu, je m'éloigne de quelques pas. Je me tiens là, droit comme un Alpha, repu et en parfaite santé. J'arpente les lieux du regard sans plus de convictions, prêt à rentrer chez moi, mais mon oeil est attiré par un mouvement. Là, dans la plaine de cendres, une silhouette qui se dessine. Pas aussi grosse qu'un loup, pas aussi petite qu'un renard. Un coyote ? Ca m'en a tout l'air. Nous détestons les coyotes. Ce sont des voleurs, des profiteurs et de vils manipulateurs. Ils attendent que le travail soit fait par les plus forts, pour se repaître de nos efforts. Je les haie, au moins autant que les Sekmets, si ce n'est plus. Je fixe l'animal de mon regard saphir, détaillant ses moindres traits. Lui aussi s'est immobilisé pour m'analyser. Il cherche à savoir si je suis seul, s'il a une chance de voler ma nourriture sans perdre la vie dans son entreprise. Je ne montre pas tout de suite les dents, j'attends de voir ce qu'il va faire.
Je me rapproche quelques peu de la carcasse, tout de même. Je n'ai plus faim, mais question de fierté, je refuse que le coyote en prenne une part. Pas le moindre petit morceau de chair. Je laisse les corbeaux se régaler, et même un aigle se joint à la partie. Mais pas le coyote. Certainement pas le coyote. Les minutes s'écoulent, les oiseaux se régalent en croassant les uns contre les autres. Je m'éloigne à nouveau, mais je garde un oeil sur mon repas. Après un certain temps, le coyote s'avance en trottant, pensant que je ne fais plus attention. Il veille à être dans mon dos, mais je me doute de ses intentions. J'écoute ses déplacements en orientant mes oreilles dans sa direction. Il s'approche discrètement de la proie, trottant, s'arrêtant et me fixant, jetant ensuite un oeil sur les oiseaux. Il pense que la voie est libre. Il ne court pas pour autant, il sait qu'il risquerait de m'alerter en allant trop vite. Je montre les dents mais, de dos, il ne me voit pas. Sa présence m'agace fortement, et fait naître en moi une envie de meurtre. Je reste à l'écart, l'air de rien, tandis que mon ennemi s'approche davantage de ma nourriture. A quelques mètres, il galope pour faire fuir les oiseaux et se servir. Manque de chance, au milieu des charognards aux ailes sombres se cache l'aigle qui n'a pas terminé son repas. Le coyote pense passer à côté et manger, mais l'aigle le scrute et lui saute brutalement dessus, menaçant. Mon ennemi recule vivement, échappant aux serres meurtrières de son assaillant, et attaque une autre partie de l'animal. Je le vois, désormais. Je le laisse se nourrir quelques secondes, histoire qu'il ne meurt pas le vendre vide. Je souris en une grimace carnassière.
Et tandis qu'il est de l'autre côté de la carcasse, je me lève discrètement. Baissé sur mes quatre pattes, la tête basse, en chasse. Je le fixe en m'approchant silencieusement de lui, à pas mesurés pour ne pas être repéré. Il relève la tête, je m'immobilise l'air de rien, sans le quitter des yeux. Je le toise, il reprend sont repas, pensant avoir encore le temps de fuir si cela devient nécessaire. Je me couche au sol pour l'observer encore un peu, aux aguets. Il plonge la tête dans la carcasse, cherchant à arracher une grosse partie de l'estomac. Et je plonge. A file à toute allure sur la neige cendrée, traversant la plaine sans aucune difficulté. Il m'entend galoper, se relève et file à toutes pattes. Les oreilles rabattues en arrière, la queue en gouvernail, il court comme il peut. Mes oreilles à moi sont dressées hautes sur ma tête, mes foulées sont longues et peu espacées les unes des autres. Je suis plus grand, plus rapide quoi que plus lourd. Je le poursuis sans m'arrêter. S'il ne se rend pas, j'aurais raison de sa force. Il passe de légères dunes sur lesquelles je le suis sans hésiter. Je le rattrape à chaque foulée, motivé par l'odeur de la peur et excité par le désir de tuer. Il se concentre sur sa course, accélère davantage et moi aussi, déterminés tous deux. Il saute un tronc d'arbre et j'anticipe son prochain virage. Je passe à quelques mètres à droite de l'obstacle, tandis que lui, un peu plus loin, à tourné dans la même direction sans s'attendre à presque me croiser. Il vire brutalement de bord pour changer de cap, file de nouveau devant moi et je le suis, plus excité que jamais.
Il pense pouvoir m'échapper mais je continue à courir. Si lui est plus léger et foule à peine le sol pour courir, moi, plus lourd, je dois me débrouiller avec une couche de neige qui me monte au-dessus des doigts et ralentit ma course. Mais je vais y arriver, j'en suis certain. Je suis plus endurant et bien mieux nourris que ce voleur. Notre course dure de longues, d'interminables secondes. Peut-être même une ou deux minutes, tant le temps me paraît s'arrêter. Le coyote saute vivement par dessus des broussailles épineuses, et trébuche en se réceptionnant. Je gagne plusieurs mètres de distance grâce à cet accident de parcours. Il reprend son équilibre et recommence à courir, mais sa chute lui sera fatale, parce que je suis de plus en plus près. Tant et si bien que j'amorce déjà le ralentissement de mes propres foulées, sans pour autant perdre la distance. Si j'arrive trop vite sur lui, je le dépasserais et il fera demi-tour pour filer. Je freine sur une dizaine de mètres tout en continuant de le rejoindre, et je lui mords brutalement l'arrière-train. Il jappe, se retourne pour me mordre et de ce fait, tombe dans la neige. Il roule tandis que je le dépasse d'un ou deux mètres, freinant et m'arrêtant. Et puisqu'il roule, il se prend dans mes pattes. Je m'arrange pour le mordre, lance mes crocs partout entre mes quatre membres en espérant l'atteindre. Ca y est ! Mes dents se plantent dans son pelage, dans sa peau. Je serre mes mâchoires sauvagement sur lui, secouant vigoureusement la tête comme pour le déchiqueter. Il pigne, hurle, tente de se défendre mais trop tard. Les pattes appuyées sur son corps, dans un même geste je plonge ma tête vers sa gorge et la lui enserre de bon coeur, le tenant fermement et grognant en secouant la tête comme pour briser la nuque à un lapin. Ainsi immobilisé, la gueule béante, il essaie de se débattre et de me mordre. Mais ma prise est parfaite, et je n'ai plus qu'à attendre qu'il meurt étouffé. Il ne faut pas longtemps. Je lâche là son cadavre devenu inintéressant, inerte, et je retourne sur ma piste initiale. Mais je me suis plus éloigné de la carcasse que je ne le pensais. Alors je m'en vais par la forêt aux pendus, et je rentre chez moi.