Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Une odeur putride règne en ces lieux que j'affectionnais autrefois. Aujourd'hui, cet endroit est pour moi une source de colère, une raison de plus de haïr le monde entier. Pourquoi faire vivre ensemble deux loups qui finiront, sans aucune chance de changer le destin, par être séparés ? Je gronde d'une voix sourde en arrivant devant le lac d'acide. Déjà, Sora m'attend. Il y a déjà bien longtemps maintenant, ce qui me semble en fait une éternité, nous nous sommes entraînés ensemble. Les duo avaient été décidés par Skull elle-même, et j'étais ravi d'avoir Sora comme adversaire. Mais depuis la dernière fois que je l'ai croisé, les choses ont changé. Beaucoup de choses ont changé. Je montre les dents, par habitude, certainement, puis j'affiche un air calme, autant que je le peux. Il est content de me voir, aussi j'essaie de l'être tout autant. Je souris d'un air narquois, sans vraiment vouloir être moqueur.
- Tu m'avais dis que nous ne serions plus a égalité lors de notre prochaine rencontre. N'es-tu pas satisfait d'avoir eu raison ?
Je ne peux m'empêcher de le toise de longs instants. Je me suis battu corps et âme pour en arriver là. J'ai poussé mes limites jusqu'à leurs plus sombres retranchements, j'ai abattu des montagnes pour mériter mon statut et le respect que l'on me doit aujourd'hui. Force est d'admettre que j'ai bien changé, oui. Sora semble regretter le temps ou nous étions des adversaires de mêmes niveaux. Il m'appréciait peut-être plus que je ne l'aurais cru, et peut-être même plus qu'il n'accepterait de l'admettre. Son corps est plus fort qu'auparavant, mais j'ai davantage évolué. Je me souviens qu'il est un peu plus jeune que moi, aussi pour moi, il est normal que je sois plus fort. Alors, non, je ne regrette pas d'être devenu le fier guerrier que je suis aujourd'hui. Même si, ce ne sont plus les mêmes motivations qui forcent mon corps à se mouvoir inlassablement, aujourd'hui.
- Je suis trop faible, Isha. Mes entraînements ne paient plus. J'ai besoin de ton aide.
Je gronde, j'extériorise mes dents et je claque des mâchoires dans sa direction, mettant immédiatement fin à ses jérémiades.
- Enfin ! Où sont passés ta détermination et ta force de caractère !?
Je m'approche davantage. Il est vrai que je n'ai plus ce calme olympien dont je faisais preuve autrefois. Les choses ont changé.
- Si tu es faible, c'est que tu ne t'entraînes pas assez. Ne reproche pas la faute à tes entraînements. Tu es responsable de tes actes.
Je suis en colère. Constamment en colère. Pas contre Sora, pas contre Tybalt ni contre personne. Je suis en colère contre la vie, contre le monde et l'injustice. Je suis en colère contre l'Univers entier. Je n'ai plus rien à perdre, et encore moins du temps.
- Allons ! Parles-moi, maintenant !
Je veux qu'il porte le premier coup. Parce qu'il est plus faible, ou parce que je suis plus fort. Je veux qu'il reprenne confiance en lui. On ne massacrera pas deux meutes entières en pleurant sur notre sort.
Il ferme les yeux un long moment. Un trop long moment. Je gronde doucement, le toisant avec férocité. Je n'aime pas perdre du temps, encore moins par les temps qui courrent. Je ne supporte pas l'idée de rester planté là, à ne rien faire d'autre que regarder celui qui est censé être mon partenaire d'entraînement. J'appréciais Sora. J'ai même pensé, pendant un moment, que nous deviendrions amis. Que peut-être, un jour, lorsque la Horde n'aurait plus de raison d'être, nous pourrions rester amis et même, qui sait ?, former un clan de solitaires, quelques-uns de mes proches et moi. Aujourd'hui, c'en est fini de cette idée. A quoi bon rejoindre quelques solitaires, alors que ma soeur n'est plus à mes côtés ? A quoi bon envisager l'avenir sans elle ?
Il rouvre les yeux. Je perçois une hésitation, ou peut-être les traces d'une réflexion intense dans son regard. Il reste là, quelques secondes à fixer le sol et la neige, puis ses yeux s'illuminent d'une nouvelle ardeur. Je dresse les oreilles dans sa direction, attentif. Est-il enfin prêt à reprendre les choses où nous les avons laissées ? Oui, je crois bien que oui.
- Tu ne t'en tiras pas indemne, que tu sois plus fort ou non.
Un sourire mesquin étire mes babines, même si mon regard reste franc et froid.
- Je n'attends que ça.
Il bondit, sans un mot de plus. Je lâche un léger grognement, plus d'excitation que de colère. Son corps percute le mien avec une force remarquable, mais pas suffisamment fort pour me faire perdre l'équilibre. Il commence. Bien. Mais pas assez vite. Mes crocs se plantent dans son échine, mes pattes antérieures martèlent son poitrail. Debout, mon ami. Debout ! Je m'en vais réveiller l'assassin.
Je serre fort sa peau entre mes dents, mais jamais au point de le faire saigner. Mon but est de progresser tout comme lui, je n'ai pas l'intention de blesser l'un des miens. Des bleus, quelques contusions, de bonnes courbatures, mais rien de bien grave. Là n'est pas mon but. Cependant, Sora me fait brutalement lâcher prise en m'envoyant un coup d'épaule dans la mâchoire. Je grogne de surprise et j'entrouvre la gueule, je me suis mordu la langue dans la manoeuvre. Je recule, il s'échappe, j'essaie de me remettre rapidement de cette vive douleur dans ma gueule. Furieusement, mon partenaire fond sur moi pour m'asséner des coups de crocs puissants et douloureux.
Après une brève observation, je saute à sa rencontre et abat mon poids sur son corps pour lui faire mordre la poussière. Tentative réussie, mais pour peu de temps. Si je suis plus fort que lui, il n'en a pas moins progressé malgré tout. Quand je me suis tué à la tâche dans différentes chasses et entraînements, lui a dû trouver aussi des moyens de dévolopper ses compétences. Tant mieux. Nous ne serons jamais trop forts pour combattre nos ennemis communs. Des brûlures m'assaillent, ses crocs ont effleuré ma peau à divers endroits, mais j'encaisse la douleur et je continue de combattre.
Il échappe à ma prise, s'éloigne en roulant. Je reste tendu, les muscles bandés, les yeux rivés à mon adversaire. Je m'attends à ce qu'il se relève pour me sauter dessus, tenter une nouvelle offensive. Mais cette dernière survient du sol, envoyant mes pattes vers le ciel alors que mon corps s'affale dans la poussière dure et froide de l'hiver. Je grogne de surprise, une douleur lancinante irraidie dans ma colonne vertébrale. Tout son poids me tombe dessus. Et j'ai beau être plus fort, il n'en n'est pas moins lourd comme n'importe quel mâle. Ses dents se resserrent sur mon encolure, je serre les dents en grognant difficilement, les mâchoires plaquées contre le sol.
Mais il part gagnant trop facilement, et je me redresse brusquement, envoyant son corps tant bien que mal hors de ma portée. Je me retourne vivement pour lui faire face, et dans un sourire malsain je fonds sur lui. Je l'étale, lui mords les épaules, les cuisses, les flancs. J'encaisse ses attaques parce que lui aussi, même si nous ne sommes plus du même niveau, a des capacités indéniables. Je l'apprécie. J'aime sa détermination farouche, son envie d'aller toujours plus loin, sa façon de repousser ses limites sans cesse. Je suis heureux de faire partie de ceux qui lui permettront d'aller plus loin, tout comme il m'a permis de grandir.
Cependant, le temps s'écoule et nous n'avons pas la même endurance. Il s'essouffle, je le vois magré son envie d'aller toujours plus loin. Je vois bien que ses pattes ne le porteront plus longtemps, malgré la flamme ardente qui brûle dans ses yeux. Je souris, comme un vainqueur, et je fonce dans sa direction, la tête basse et le regard dur. Je fais mine de me soulever sur mes pattes arrière pour attaquer son échine, mais je me baisse au dernier moment et mes crocs se referment sur sa gorge, ne laissant pas le temps à ses dents de toucher mon visage. Usant de toutes mes forces, je me propulse sur mes quatre pattes pour le retourner et le faire tomber sur le dos.
Là, je serre sa jugulaire contre mes incisives, sentant le sang battre dans sa veine et je me délecte de sa douleur pendant un instant, avant de relâcher immédiatement ma prise quand je réalise que je ne suis pas face à un véritable ennemi. J'ai passé tant de temps à me battre contre de réels adversaires, que j'ai failli oublier que lors d'un entraînement, l'issue n'est pas la mort de l'un des combattants. Je m'éloigne de quelques pas, pour regarder Sora se relever et m'enquérir de sa santé, même si je ne lui pose pas directement la question. Nul doute qu'il va bien. Il est trop déterminé pour s'avouer vaincu, même si j'ai failli aller trop loin cette fois-ci. La prochaine fois, il vaudrait mieux que je me batte contre un adversaire d'un niveau supérieur. Je pourrais finir par blesser l'un des miens involontairement ...