Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
C'est un combat, que je veux. Oui, un bon combat pour développer mes muscles, augmenter la puissance et la portée de nos attaques, et développer ma force. Parce que l'heure fatidique approche, et qu'il est hors de question que je ne me batte pas jusqu'à la mort, s'il le faut. Ces derniers temps, je n'ai que peu croisé mon Alpha. En solitaire, j'ai même laissé la Horde à son sort, m'entraînant de jour comme de nuit, du matin jusqu'au soir avec un seul objectif : devenir plus fort. Je veux qu'on me respecte, qu'on me reconnaisse et que mon nom soit craint. Je veux que mon père, où qu'il soit, entende mon nom comme celui d'un fantôme revenu le hanter. Je veux qu'il ait autant peur que tous les autres et je veux qu'il sache que lorsque je le trouverais, ce ne sera pas pour lui faire des léchouilles de louveteau. Non, quand je le reverrais, je le tuerais. Je lui ferais payer le mal qu'il a fait à ma soeur jumelle il y a trois ans, et je lui ferais payer pour sa disparition inexpliquée, il y plusieurs semaines. Et lorsque tout sera terminé, lorsque les Sekmets n'existeront plus et que mon père sera mort entre mes crocs, je me délecterais de son sang, je l'avalerais en souriant pleinement, et je laisserais pourrir son cadavre. Je le servirais en pâture aux charognards et je partirais à la recherche de Kaya, jusqu'à ce que je la retrouve. Morte ou vive, je retrouverais sa trace. Je suis le loup le plus déterminé de ces terres. Et je suis aussi le loup le plus dangereux qui soit, lorsqu'on s'en prend à sa famille. Alors, grondant, j'arpente l'endroit le plus dangereux du Nord : la cabane du chasseur.
L'endroit est sordide, les grincements des pièges suspendus dans le vide attisent un sentiment de peur intense chez quiconque passe par ici. Moi, je n'ai pas peur. Au contraire, ces sons stridents et inquiétants réveillent en moi un sentiment de supériorité, et font battre le sang à mes tempes tant je me sens excité. L'odeur du sang emplit les lieux, parce que le chasseur humain continue d'aller et venir régulièrement, vidant ses pièges pour en poser de nouveaux en attendant de prendre d'autres proies sans jamais se fatiguer. J'ai une fois été pris dans l'un d'eux, et ça ne m'a pas empêché de revenir plusieurs fois par la suite. Je suis un aventurier, je suis téméraire, et je veux tuer ce soir. L'odeur de la mort est exquise, mais une vie prise par mes propres moyens est encore plus alléchante qu'un cadavre trouvé. Je me secoue nerveusement, ébrouant et hérissant mon pelage brun, et j'observe les environs. Je veux me battre. N'importe quel animal fera l'affaire. N'importe lequel. Je lance un long hurlement de défi dans le ciel, en attendant patiemment que quelqu'un réponde ou qu'un animal malheureux traverse l'endroit sans se douter qu'un prédateur rugissant rôde dans les parages. Pour une raison que j'ignore, je suis furieux. Et je hante les lieux, faisant les cent pas à la recherche d'un quelconque animal qui traîne. Je ne cherche pas à chasser. Non, je veux réellement tuer, et pas pour nourrir ma Horde. Je veux abattre un ennemi et avoir la joie de sentir son coeur cesser de battre pour l'éternité.
C'est sous la forme d'un énorme chat que mon adversaire arrive. J'entends d'abord sa démarche silencieuse, les frottements à peine audibles de ses pas dans la neige. Puis je sens son odeur puante de félin, et j'entends enfin ses grognements énervés, quand il comprend que son petit terrain de chasse est occupé par un autre prédateur. Je montre les dents et me campe sur mes pattes, le fixant dans les yeux de mon regard saphir. Je ne le lâche pas une seconde, sachant pertinemment que contre un anima de cette taille, je n'ai pas intérêt à baisser ma garde une seule seconde. Je grogne doucement, le puma s'avance lentement vers moi. Rabaissé sur le sol, les épaules plus hautes que sa tête roulant l'une après l'autre au même rythme que ses pattes antérieures, il me toise lui aussi. Chacun essaie d'analyser l'autre en grondant, et quand enfin il est à découvert, nous nous tournons autour. Pendant de longues secondes, plus rien ne bouge hormis nos deux corps se faisant face. Sa queue remue, la mienne est droite, portée haute par ma colère presque palpable dans l'air. Lui aussi est hors de lui. Nous sommes deux tueurs qui avons soif de sang, et nous ne sommes pas là pour faire connaissance. Aucun besoin de se présenter ou de commencer cette rencontre par de quelconques petites moqueries. Nous n'avons aucune envie de nous chamailler, nous voulons seulement nous entre-tuer jusqu'à ce que l'un tombe entre les crocs ou les griffes de l'autre. Je renâcle, je claque des mâchoire en me léchant avidement les babines dans un même geste. Je le provoque délibérément.
Il fond sur moi. Dans un rugissement féroce, voilà son corps qui rase le sol et ses griffes sorties qui visent ma gorge avant même de m'avoir atteint. Je bondis sur mes pattes postérieures avec un aboiement rauque, annonciateur de mes intentions. Il est inutile parce que nous ne comprenons pas le langage de l'autre, mais c'est un réflexe naturel de loup. Tout comme son rugissement est certainement une mise en garde apprise par sa mère et par tous ses ancêtres avant lui. Nos corps se heurtent violemment. Nous grognons tous deux en encaissant le choc de l'autre. Il doit peser facilement mon poids, alors que je pèse presque une demi centaine de kilos. Je gronde, il feule. Nos oreilles rabattues sur nos crânes signifient la même chose : nous nous haïssons et chacun veut la mort de l'autre. Un combat acharné nous oppose. Lui, de ses griffes puissantes, me lacère les épaules et les cuisses. Je prends soin de ne pas exposer mon ventre au combat, parce que c'est là que ma peau est la plus fine et la plus facile à percer. Le cuir d'un félin est plus épais que le nôtre, parce qu'ils n'ont pas notre couche de poils pour le protéger. Pourtant, mes crocs s'obstinent à atteindre sa gorge. Mes pattes ne font que le repousser, mes griffes même si elles le blessent, ne sont pas aussi aiguisées que les siennes. Nous roulons dans la terre, dans la neige, nous nous salissons et nous blessons toujours davantage. Pendant un instant, il me retourne sur le dos. Je pense ma fin arriver, mais il hésite une seconde de trop et je me redresse brusquement pour lui attraper la gorge, que j'arrache furieusement. Il hurle sa douleur, me balance des coups de griffes et secoue la tête. Mais quand je le relâche, il se vide de son sang dans la neige tâchée de notre élixir de vie à tous les deux. Je le regarde jusqu'à ce que sa vie se termine, puis je repars en boitant pour retrouver ma tanière et me remettre de ce combat draconien.