Blessures:

La neige froide tombant du ciel me réveille. J'ouvre difficilement les yeux, pour voir les flocons caresser ma truffe et mon museau. Je ne comprends pas, ma tanière n'est pas si petite, je ne devrais pas sentir autant le froid extérieur sur mon corps, pourtant je sens mes membres trembler légèrement. Je soupire, inspire, puis je redresse la tête lentement. Bon sang ! J'ai l'impression de m'être fait percuté par un énorme machin humain ! Je grogne de douleur en m'appuyant sur mes pattes et je regarde mon épaule gauche. Je vois mal parce que mon oeil déjà invalide me brûle et qu'il est totalement dans l'obscurité, pour l'heure. Je m'éveille difficilement, laisse s'écouler plusieurs minutes pour me remettre les événements en tête, et je réalise le danger de la situation. Bon sang ! Je me suis fait attaquer par un aigle ! Qu'est-ce que cet idiot pensait attraper !? Un renard ? Je gronde de colère, puis de douleur en me mettant en marche. Je me suis endormi en territoire ennemi, je suis en danger. Je suis blessé et ce salop n'm'a pas loupé. Il faut que je parte et vite, avant qu'un Esobek repère l'odeur de mon sang et ne débarque. Résigné à vivre un calvaire pour retourner sur les terres neutres, là où je serais plus en sécurité que sur les territoires de mes ennemis, je pars d'un pas lent à travers les collines, boitant. Mes oreilles sifflent et me brûlent, je crois que le cri de l'animal aussi proche de mes frontons n'aura pas été bénéfique pour ces derniers. Je grogne tout le long du trajet, bougonnant et jurant par intermittence. Mon oreille gauche est en feu, je me demande s'il ne l'a pas déchirée en deux.

Alors qu'il m'aurait suffit de quelques heures pour rejoindre ma tanière, il me faut aujourd'hui une demi journée avant de voir au loin l'orée de la forêt aux pendus. Cet endroit est rassurant, et il n'est pas loin d'un autre lieu où je serais à l'abris le temps de me remettre de mes blessures. Et, tandis que j'entre dans le cimetière en titubant, je me bats intérieurement contre ma fierté. Les douleurs qui m'assaillent me mettent en doute, je me demande si je ne devrais pas appeler la guérisseuse de la Horde pour qu'elle jette un oeil à mes blessures. Je déteste demander de l'aide et je haie davantage encore les loups qui n'ont aucun cran, mais je dois dire que le froid de l'hiver n'aide pas mon corps à garder une température constante suffisante pour me maintenir en vie aussi longtemps que je le voudrais. Je soupire, je gronde, et je m'affale finalement contre une pierre tombale suffisamment grande pour cacher mon corps dans sa totalité. Au moins, de là où je me trouve, je verrais l'arrivée de tout danger ou passerais inaperçu de ce dernier. Je soupire longuement puis, couché sur le fan, je pose ma tête sur mes pattes antérieures et ferme les yeux quelques minutes. Malheureusement pour moi, le repos ne sera pas suffisant pour me sortir de cette galère-ci. Peut-être que si j'appelais Tybalt ... Ou Sora ? Non, tous deux sont mes alliés, mais ils ne pourraient rien faire pour me venir en aide hormis appeler Rake Maâr. Aussi, ça me ferait un public de trop face à ma faiblesse, et je refuse cette éventualité. Je ravale difficilement ma fierté, et je lance un long hurlement durant de longues secondes, suivi de deux brefs qui n'en dépassent pas trois, vers le ciel. J'espère qu'elle me trouvera rapidement.

J'entends le grillage souple se soulever. Quelqu'un approche. Je souffle, avale quelques volutes d'air pour m'enquérir de l'identité du nouveau venu. Epuisé, à bout de forces, je ne parviens pas à redresse plus que ma seule tête. Je grogne doucement, énervé par ma faiblesse si grande, ma vulnérabilité implacable. Je renifle, je connais cette odeur. Elle a cette trace musquée qui appartient à la Horde, mélangée à des effluves de plantes et autres champignons. Rake Maâr, ça ne fait aucun doute. Résigné à attendre qu'elle me trouve, je remue les pattes pour signaler ma présence en secouant les feuilles mortes, puis je repose ma tête sur le sol. Elle me repère rapidement. Elle s'avance vers moi à une allure tranquille qui m'agace sévèrement. N'a-t-elle pas compris ? Ne sent-elle pas l'odeur cuivrée du sang qui emplit les lieux ? S'amuse-t-elle de la souffrance qu'éprouve l'un des siens ? Mais considère-t-elle seulement la Horde comme sa meute ? Je ne sais rien de cette louve. Seulement qu'elle était la première à prendre place dans l'ombre de Skull, et qu'elles ont en quelque sorte fondé la Horde ensemble. J'ignore tout de ce qui la concerne, jusqu'à l'étendue de ses capacités. Et puis à dire vrai, je m'en moque pas mal. Tant qu'elle sert à quelque chose et qu'elle se rend utile pour massacrer les Sekmets, c'est tout ce qui m'importe. Elle s'assoit à distance, m'observant. Est-ce là sa façon de procéder ? Attendre de voir crever ses patients ? Je grogne doucement, lui lançant un regard tranchant.

Elle soupire. Et alors quoi ? N'est-elle pas contente d'avoir un peu de boulot ? Préfère-t-elle ramasser des fleurs toute la journée pour se faire de jolis bouquets ? Je montre légèrement les dents, mais ne cherche pas à l'intimider. Dans l'état que je suis, une quelconque menace n'aurait pas la moindre répercussion sur un louveteau, alors sur une Hordienne adulte ... Elle s'approche enfin de moi, un regard simple et une mine de fausse réjouissance sur le visage. Je la fixe dans les yeux, imperturbable, et écoute ses paroles avec un agacement certain.

- Besoin d'aide mon chou ?

Je ravale un grognement rauque qui, lui non plus, ne servirait à rien. J'affiche une grimace lasse et fatiguée, j'ai seulement envie de dormir.

- Si c'est pas trop te d'mander.

Trop fier pour garder une telle position de soumission, je me bats contre moi-même et parviens à me remettre en position assise. Mes antérieures tremblent mais je les ignore, bien décidé à rester ainsi jusqu'à ce qu'elle daigne me donner quelques trucs et astuces pour survivre après un tel combat. Voyant qu'elle cherche à comprendre ce qui m'est arrivé, je lui lance un regard en coin et je soupire, comme si l'histoire était anodine.

- Un aigle m'a pris pour une biche.

Humiliant, vraiment. Mais ça n'en est pas moins la stricte vérité ...

Elle fait mine de comprendre, ne semble pas plus que ça frappée par l'irréalité de la situation. Après tout, peut-être les aigles s'en prennent aux loups plus souvent que je le croyais. Peu m'importe. Sans un mot, Rake Maâr se rapproche de moi. Et sans la moindre hésitation, elle plante sa truffe dans le pelage de mon poitrail, m'arrachant une grimace de douleur au contact de son museau. Elle redresse ensuite la tête, mais son visage est impossible à analyser. Vais-je vivre ? Mourir ? Je ne saurais le deviner en regardant sa face impénétrable. Les doigts de sa patte sillonnent la longue plaie qui semble interminable, et je me concentre sur son regard pour ignorer la douleur intense qui irradie mon corps. Lorsqu'enfin elle est satisfaite de son exptertise, elle laisse mon poitrail pour fixer mon oeil aveugle. S'il ne m'a jamais été utile, j'espère cependant qu'il me permettra de nouveau de voir, bientôt. Je n'ai aucune envie que mon handicap s'aggrave. Elle examine longtemps mon oeil.

- Quoi ? C'est si moche que ça ?

Elle m'ignore royalement, continuant d'analyser les plaies et blessures qui ont touché mon orbe azur. Je grogne doucement entre mes dents, pas tant pour son silence que pour l'éventualité d'avoir un oeil aveugle.

- Dis-moi juste qu'il ne changera pas de couleur, même si je devais ne plus voir.

Parce qu'après tout, voilà longtemps que je ne l'utilise plus pour grand chose. Alors s'il meurt définitivement, ça ne me pose finalement pas plus de difficulté que ça. En revanche, s'il change de couleur, s'il s'éclaircit, mes ennemis seront en mesure de voir que j'ai un défaut. Et ils sauront tourner ce détail à leur avantage. Je serais alors vulnérable dans toutes les circonstances. Mais, gardant ses bonnes habitudes, la femelle ne me répond pas. Elle soupire doucement, se redresse et semble chercher les mots justes. Bon sang mais qu'elle se bouge !

- Si mes observations sont bonnes, c'est en voie de cicatrisation, mais certaines plaies sont trop larges pour se rétablir assez vite. Tu te sens capable de marcher ?

Elle parle bien évidemment de la blessure la plus profonde et de loin la plus douloureuse, celle que je porte au poitrail. Peut-être aussi de mon oeil ? Il me brûle atrocement. Et le fait que j'aie perdu, au moins momentanément, la vue ne me dit rien qui vaille. Elle se relève et s'éloigne déjà.

- Il faut trouver des cicatrisants. Tu m'accompagnes ?

Je me relève fièrement, comme si je n'avais pas mal partout, comme si mes membres n'étaient pas quatre barres d'acier rigide. Je la suit en me concentrant sur tout, sauf sur la souffrance que j'éprouve. Je la ravale, faisant fît de ma fierté comme d'une arme de guerre. Je la suis en silence, espérant qu'elle sait ce qu'elle fait et qu'elle pourra me filer ce coup de patte dont j'ai besoin. Et sur le chemin, alors qu'elle fouille les moindres recoins à la recherche de son nécessaire de soins, je prends le risque de la déconcentrer.

- C'est p'têt' l'occasion de s'connaître mieux, nan ?

Ok, pour une première approche, peut mieux faire. M'enfin c'est pas comme si j'étais en train de la draguer, je n'ai donc aucune raison de faire le gentillet.

Elle me lance un regard presque méprisant, et une enième fois ignore mes paroles. Reprenant ses recherches, elle me lance finalement un "non" sans appel, comme si dans sa tête il était logique que les Hordiens ne cherchent pas à se connaître entre eux. Je suis partage quand à mon avis personnel. Ni liens, ni attaches, c'est un concept que j'approuve particulièrement. Mais si nous ne connaissons pas un minimum ceux que nous cotoyons chaque jour et qui, bientôt, seront nos seuls alliés dans une guerre sanglante, comment savoir à qui l'on peut faire confiance. Cependant je ne place aucune remarque. Si tel est son souhait, alors le silence sera de mise et tant pis pour le reste. J'apprendrais bien d'autres choses en écoutant les barragouinages de la Horde, à l'occasion.

Nous atteignons la cloture, que Rake Maâr observe d'une bien étrange façon. Ce n'est que plus tard, lorsqu'elle aura rassemvlé des os à ses pattes et m'aura demandé de m'asseoir comme un louveteau, que je comprendrais ce qu'elle regardait ainsi sur le grillage du cimetière. Elle s'approche de moi après un temps de réflexion, apporte de la neige en même temps, et se met à en étaler sur ma plaie la plus importante. De mon seul oeil valide, je la fixe avec incertitude. Le froid me fait mal, puis me soulage. Mais mon sang s'échappe de nouveau de mon corps, et je ne vois pas la chose comme positive.

- T'es sûre de c'que tu fais ? J'tiens à ma vie, au cas où ça s'verrait pas.

Mais visiblement, ignorer est sa spécialité et je ne suis pas une exception. Concentrée dans sa tâche, elle repart en arrière pour ramener cette fois, des toiles d'araignées. Je n'avais jamais vu un guérisseur à l'oeuvre, avant aujourd'hui, puisque j'ai toujours été trop fier pour daigner demander de l'aide. Ainsi, je suis étonné par les diverses techniques de la femelle qui s'occupe de mon cas. Cependant, je daigne lui faire un minimum confiance et je me laisse presque aller entre ses pattes, abandonnant mon sort à ses soins. Apparemment ça marche, parce que les saignements cessent tous les uns après les autres. Je suis soulagé, au moins je ne mourrais pas en me vidant de mon sang. Du moins pas aujourd'hui. Reste plus que mon pauvre oeil aveugle, et je me demande avec curiosité ce qu'elle va bien pouvoir lui faire. Je la suis du regard lorsqu'elle s'en va de nouveau, puis je me lève et la rejoint lentement, pour suivre ses faits et gestes avec attention.

- Tu cherches quoi ? T'as b'soin d'un coup d'patte ?

Après tout, si je peux l'aider et ainsi abréger son calvaire -parce que je vois bien que me soigner est pour elle une tâche des plus désagréables- autant le faire. Je pourrais ainsi retourner plus vite à ma tanière, et m'y reposer en toute solitude.

Elle semble ne pas apprécier ce qu'elle trouve. Apparemment, la chance n'est pas de mon côté, elle m'a l'air en difficulté pour trouver ce dont elle a besoin. C'est vraiment ma veine, tiens. Me faire bouffer par un aigle, et me retrouver entre les pattes d'une louve qui ne peut même pas me soulager complètement. Je lui propose mon aide, mais aussitôt je réalise que ça ne lui plait pas tant que ça. Pourtant, elle me fait part de ce qu'elle recherche, comme si elle acceptait que je tente de lui filer un coup de patte. Tout en parlant elle continue ses recherches, et finalement elle se soupe brusquement en fixant le sol. Je l'observe longtemps tandis qu'elle reste immobile. Que regarde-t-elle ? Un danger potentiel ? Je n'ose pas bouger, de peur qu'elle soit face à un serpent, ou quelque chose dans le genre. Je ne voudrais pas aggraver le départ si antipathique que semble prendre notre rencontre. Mais après de longues secondes, elle se décide enfin à se tourner vers moi et me demande de la suivre, ce que je fais évidemment.

Elle prend quelque chose dans les quelques brins d'herbe, et l'odeur qui émane de sa gueule m'arrache une grimace dégoûtée. Un cadavre ? Quelle idée for étrange ... Je ne fais pourtant pas le moindre commentaire. Vu le temps de réflexion qu'elle s'est accordé avant de se décider à agir, je suppose qu'elle a bien pesé le pour et le contre de ce qu'elle à l'intention de faire. J'espère juste qu'elle ne compte pas me faire avaler ce cadavre répugnant, parce que vu l'odeur il n'est certainement plus très frais. Je soupire discrètement pour ne pas sembler irrespectueux de son travail. Nous retournons près du cimetière, et là encore Rake Maâr prend le temps d'observer les environs, à la recherche d'autre chose, visiblement. Satisfaite, elle me fait de nouveau asseoir. Toujours aussi silencieux, j'obéis et la laisse faire son travail sur ce que j'identifie comme une souris. Il lui faut peu de temps pour préparer son terrain, et elle me mets finalement en garde contre les effets secondaires de ses prochains soins envisagés.

- J'ai vécu pire.

Elle commence à étaler cette chose sur mon oeil, et je siffle entre mes dents tant la douleur est vive. Une sorte de brûlure désagréable qui me prends l'oeil et se répand jusque dans mon crâne, me déclenchant une migraine terrible alors que j'étais venu là pour être soulagé de mes douleurs. J'inspire profondément en tâchant de garder l'oeil ouvert malgré le réflexe d'évitement, et c'est le moment qu'elle choisi pour me fiche de ce truc répugnant directement sur l'orbe. Heureusement que je suis déjà partiellement aveugle, parce que je sens qu'elle m'aurait brûlé la rétine si elle avait été encore valide. Je fronce le regard, cherchant à comprendre ce qu'elle fait sans vouloir le lui demander directement, trop fier pour m'accorder de quelconques questions d'intérêt. Je sens alors une sorte de liquide s'échapper de la glande lacrymale. Je ne peux voir Rake Maâr, mais je devine son amusement grâce à ses soubresauts qu'elle cesse rapidement. A quoi joue-t-elle, au juste ? Je me le demande, mais je ne cherche pas plus.

Aussitôt, elle s'éloigne. Je la regarde de mon oeil valide, qui se nettoie les pattes dans la neige froide et pure. Je soupire, la brûlure ne s'estompe pas, et cette fichue migraine me tiendra certainement la grappe pendant un bon moment. Une bonne sieste, et je me jugerais suffisamment en forme pour retourner chasser. Faut bien se battre pour survivre, n'est-ce pas ? Alors il est hors de question que je me laisse abattre sous prétexte qu'un aigle a confondu mon pelage brun avec celui d'une proie. Lorsqu'elle revient vers moi, la louve à la fourrure immaculée détaille ma blessure d'un oeil critique. Elle me demande si ça ne fait pas trop mal, et je grimace en levant les yeux au ciel. A croire qu'elle n'a jamais essayé ce truc avant. Je me pose la question une seconde, mais je décide de ne pas le lui demander au risque de lui en vouloir, et de lui reprocher de m'avoir pris pour un cobaye. Elle semble s'assurer que tout va bien, mais son regard s'attarde trop. Alors je détourne le mien, mais trop tard.

- Isha ? Ton œil a t-il déjà subi des lacérations par le passé ?

J'hésite entre mentir et admettre qu'il n'est pas aussi fiable qu'il y paraît. Il est vrai que j'ai eu une certaine chance, lorsque j'ai combattu ce crétin qui tournait autour de ma soeur lorsque nous étions jeunes louvards. Alors que mon oeil a progressivement perdu ses capacités visuelles, Il n'a jamais perdu son éclat et le bleu saphir ne s'est jamais estompé. Kaya y prenait garde chaque jour, alors que ma vue diminuait, mais il est resté de ce bleu éclatant sans jamais faiblir d'intensité. Alors il est vrai que pendant des années, j'ai profité de cet atout et m'en suis souvent servi lors des combats, pour surprendre mes adversaires et les mettre hors d'état sans qu'ils ne puissent comprendre pourquoi. Mais aujourd'hui je ne suis pas face à un ennemi. Du moins je ne suis pas sensé l'être, alors peut-être puis-je faire confiance à l'un des miens, une fois dans ma vie ? Je réfléchis de longues secondes, tandis que son regard avide de connaissances scrute mon visage dans l'attente de ma réponse. Je soupire, résigné.

- Ouais, j'suis un bagarreur depuis toujours, t'vois ...