Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Je suis sorti des bois pour m'aventurer chez les Esobeks et ce, sans aucun griefs pour eux. En fait, j'étais désireux de prendre un peu de hauteur et les seules disponibles en ce monde sont les collines escarpées, situées sur leur territoire. Mais moi, je me fiche pas mal de savoir à qui appartiennent les terres. J'arpente celles que je veux, quand je le veux. Et je suis bien décidé à profiter de l'air le plus frais que je puisse trouver. C'est donc en trottinant tranquillement que j'arrive aux collines escarpées, réalisant à quel point les années les ont affaiblies et les hommes, détruites. Par leurs guerres incessantes, par leurs désirs de vengeances et par leur stupidité légendaire, ils ont fini par transformer leur propre univers en un immense et immonde tas de déchets en putréfaction. Tout autant que les morts pullulent dans la forêt aux pendus, ici les collines ne sont plus réellement ce qu'elles devaient être par le passé. Je me prends à rêver à leur splendeur d'autrefois et, en les escaladant agilement pour atteindre le plus haut sommet, j'imagine leur beauté passée, sans doute oubliée par ceux qui l'ont connu s'ils sont encore en vie aujourd'hui. Parfois, je me prends à regretter de ne pas avoir connu cette époque, ces périodes de paix et de prospérité. Et puis, je me dis que si j'en avais été, je n'aurais pas été plus heureux qu'aujourd'hui puisque je n'aurais pas pu faire davantage que ce que mes ancêtres ont déjà fait pour tenter de sauver nos terres. J'aurais été condamné à regarder mourir mon monde sans pouvoir agir.
Je ne suis pas le plus grand des loups, même si je ne suis pas le plus petit non plus. D'un gabarit dans la moyenne pour un loup européen, je peux passer inaperçu mais également, malheureusement pour moi, je peux passer pour une proie. Oui, le brun de mon pelage mélangé au gris cendré de mon dos peut parfois attirer le regard de certains prédateurs. Et c'est, malheureusement pour moi, ce qui se passe aujourd'hui. Je ne l'entends pas arriver. Mes sens toujours en alerte ne le repèrent pas, parce que ce n'est pas un ennemi ordinaire. Il n'est pas un loup que je pourrais combattre pour apporter une victoire supplémentaire à la Horde ou simplement développer mes capacités individuelles. Il n'est pas un renard peureux ou un glouton agressif que je pourrais également tenter de dissuader par le combat. Non. Et il n'est pas non plus une proie que je pourrais faire fuir par ma seule présence ou traquer dans toutes les terres jusqu'à le capturer entre mes crocs et l'abattre. Ce serait tellement plus facile, si je pouvais interminablement faire face aux mêmes ennemis, aux mêmes dangers. Je pourrais, si ma vie était si simple, me contenter de me balader quotidiennement sur les terres sans m'inquiéter de rien, pouvoir arpenter le monde sans jamais avoir peur puisque je saurais toujours d'où viens le danger. Mais à l'heure qu'il est, je préférais de loin affronter une horde d'êtres humains déchaînés, ces monstres perfides et cruels qui ne pensent qu'à détruire tout ce qu'ils touchent et à tuer tous ceux qui croisent leur chemin. Oui, je préférerais affronter des humains plutôt que cet ennemi-là.
Ses serres se plantent dans mon échine avec une force spectaculaire et je lance un jappement de douleur. Ma voix, suraiguë alors que je ne l'avais jamais extériorisé de cette manière, résonne dans les collines sous la douleur violence que je ressens. Il serre davantage sa prise sur moi et, son poids ajouté à la force de sa chute libre vers moi, me fait tomber dans l'herbe roussie par de récents incendies. Je gémis douloureusement et me débats de toutes mes forces pour tenter de me libérer mais lui, avec ses ailes immenses, se stabilise et freine tous mes mouvements en serrant toujours plus fort sa prise dans ma chair. Je jappe, gémis, hurle, mais rien n'y fait, il n'a aucune pitié. Je roule en boule pour essayer de lui faire lâcher prise, et j'aperçois alors son bec jaune, arme destructrice au milieu de sa tête blanche. Son corps, ombre de la mort, me surplombe d'une aura meurtrière. Son oeil vif me scrute en attendant de trouver une issue pour m'atteindre. Je me redresse violemment pour fuir, mais l'une de ses serres se plante dans mon visage et l'autre attrape mon oreille avec force. Je lance un aboiement aigu pour faire comprendre ma souffrance intense mais il s'en fiche, je suis sa proie. Je me secoue dans tous les sens, balance des coups de pattes violents pour me libérer et, enfin, il me relâche une seconde. Furieux, fou de douleur, je saute brutalement pour lui attraper l'aile. Sa voix stridente me brûle les tympans, son bec acéré me roue de coups et entaille ma chair qu'il arrache par lambeaux. Mon poids est trop important pour lui, je l'emporte vers le sol et dans un corps à corps acharné dans lequel je m'efforce de le garder sous moi pour qu'il ne s'envole plus, je fini par lui griffer violemment le visage en abattant mes pattes sur lui. Il lâche un cri terrible se débat et je le relâche en grondant férocement sous la douleur, le sang perlant sur mon visage en de sinistres sillons. L'immense rapace finit par s'envoler et moi, la tête en lambeaux, je m'affale sur le sol en espérant que mes ennemis, frères de race, ne viendront pas m'achever par facilité. Juste un temps de repos. Juste quelques temps avant que je ne rentre. Quelques minutes. Ou ... Quelques heures. Qu'ils me laissent juste un peu de temps ...