La langue pendante, les oreilles en arrière et la queue au repos, je cours à travers les bois dans une direction que je connais désormais par coeur. Je ne suis pas en colère, ni fatigué, ni affamé ni rien de tout cela. Je suis juste résigné à m'entraîner dur, jour après jour, parce que j'ai des objectifs et que désormais, ma vie est vouée à ce qui semble être un Clan en formation. Un jour, dans mes espoirs les plus fous, Kaya et Atom s'entendront suffisamment pour que nous nous éloignions tous les trois de nos groupes respectifs. Un jour, dans mes rêves les plus fous, nous ne formerons plus qu'un, et je vivrais pour elles jusqu'à la fin de ma vie. Je veux que mes pattes martèlent le sol pour elles, que mes muscles se contractent pour elles, que ma respiration s'accorde avec les leurs, pour toujours et à jamais. Je m'immobilise brutalement, j'observe les alentours en reprenant ma respiration, et je lance un long hurlement vers le ciel, appelant Tybalt en cette sombre soirée d'hiver. Et je reprends ma course effrénée à travers les bois, bien décidé à rejoindre mon compagnon de meute là nous nous entraînerons ce soir, parce que nous sommes loin d'avoir encore le niveau nécessaire pour atteindre les objectifs de la meute, et qu'après tous mes entraînements je me dois désormais de défier des loups plus forts que par le passé. J'ai progressé, aussi j'ai décidé de changer de partenaire pour ce soir, afin de voir ce qu'il me reste encore à apprendre. J'arrive à l'entrée du camp des humains, un endroit gigantesque et totalement détruit, puis je m'arrête et m'assied en attendant mon compagnon de meute. Nous ne nous apprécions pas comme des frères, mais notre relation a grandement évolué depuis notre rencontre. Tybalt n'est plus, à mes yeux, ce grand con prétentieux qu'il était autrefois. Et je ne demande qu'à connaître ses valeurs et sa vision du monde, pour l'apprécier davantage encore.

Il arrive rapidement sur les lieux, m'annonçant tout feu tout flamme qu'il était dans les parages. Son attitude joyeuse m'amuse et je laisse naître un sourire sur mes babines, parce que je l'apprécie de plus en plus et que son engouement quand à me retrouver me change grandement de l'attitude démotivée de mon jeune Appledore, que j'entraîne depuis quelques temps. Une bourrasque de vent glacial souffle dans nos pelages, lissant le miens et ébouriffant celui de Tybalt qui se tient face à moi. Je ne peux réprimer un rire que je tente de minimiser au maximum, mais sa tronche d'ours me fait tellement marrer que je fini par ouvrir grand la gueule pour extérioriser ma moquerie. Moi voix rauque s'estompe peu à peu alors que mon ami me demande la raison de mon appel, et je me racle machinalement la gorge pour me redonner une contenance face à la situation. Je prends un air grave, comme si la vie de quelqu'un dépendait de nous. Quoi qu'à y réfléchir, même si c'était le cas on s'en foutrait royalement, parce qu'on est pas des bons samaritains et que notre objectif n'est pas de sauver des vies mais bien d'en prendre un maximum. L'espace d'un instant, tout en détaillant mon ami de mon oeil valide, je me demande ce qu'il adviendra de lui lorsque tout cela sera terminé. Il n'est pas aussi cinglé qu'il le laisse paraître. Il a juste des comptes à régler avec le monde entier. Peut-être, à la fin de tout ça, resterons-nous amis ? Ou peut-être, ce qui serait plus probable, disparaîtrons-nous simplement de la vie de l'autre, sans nous retourner. Ce serait bien là l'attitude d'un Hordien. Aucune attache, aucun regret. Je laisse mon sourire fleurir encore pour cacher mes ressentiments, et je lui flanque un coup de patte amical.

- Entraîn'ment ! Je trouve que l'endroit s'y prête bien ! T'as vu tous ces obstacles tordus !? On va s'marrer !

- Je pense aussi. je compte me concentrer sur l'agilité, moi.

L'agilité. Oui, ça me paraît être une bonne idée. Un de ces quatre, il faudra que je lui propose un duel, parce que sa force surpasse la mienne et que j'apprécie particulièrement me battre contre des loups plus forts que moi. C'est bien plus marrant de se faire flanquer à terre, ça augmente davantage nos capacités d'encaissement.

- Qu'en dis-tu ? Peut-être devrait-on d’abords trouver un endroit précis où nous entraîner.

Je détaille les premiers nids d'humains abandonnés. De gigantesques tours dans lesquelles sont entassées des dizaines et des dizaines de tanières, et où les bipèdes vivent les uns sur les autres sans sembler éprouver la moindre gêne. Ces créatures me répugneront toujours. Je trouve du regard une brèche dans l'une des tours, assez grande pour que mon ami et moi puissions nous y infiltrer. Je lui lance un coup d'oeil complice accompagné d'un sourire en coin.

- Moi j'dis, le dernier en haut chasse pour l'autre !

Et je pars en courant, pratiquement mourant de rire.

Je ne prends pas le temps d'écouter ses jérémiades et déjà, je file entre les décombres. Je ne cours pas aussi vite que lorsque je suis en chasse ou que je me situe dans une plaine ou en forêt, parce qu'ici le sol est jonché de débris et d'obstacles divers, plus ou moins les uns, les autres. Je saute par dessus un baril de métal qui roule légèrement sou mon poids et je tombe au sol, mais me redresse aussitôt pour courir de plus belle vers des caisses en bois parsemées de trous de la largeur d'une patte. Je bondis de planche en planche en tentant de garder le cap sur mon objectif, et dès que le sol est un peu moins cahoteux, je file comme une flèche pour gagner le plus de distance possible. Je crois que Tybalt a emprunté un chemin différent du mien, parce qu'il n'est déjà plus derrière moi. Et puis j'entends quelque chose tomber à quelque distance sur la gauche, et en relevant la tête j'aperçois ses poils bruns qui filent à toute allure. Ce chanceux à trouver un moyen d'atteindre l'immeuble plus vite ! Je redouble d'efforts pour passer les obstacles qui me séparent encore de l'entrée du bâtiment, et je me prends les pattes dans plusieurs d'entre eux avant de parvenir à atteindre mon objecitf. Tybalt entre tandis que je me débat avec une chose collante accrochée à mon pelage, et quand enfin je me suis libéré de sa prise, mon ami est déjà à l'intérieur. Riant à gorge déployée, je fonce à sa suite et le rattrape en quelques bonds bien amorcés. Dans la pénombre je vois briller ses yeux, et je ris à gorge déployée en le faisant tomber des quelques marches qu'il a réussi à grimper.

Je reprends les devants et escalade l'escalier tant bien que mal, me raccrochant à des objets douteux et glissant de nombreuses fois sur des choses que je ne voudrais surtout pas identifier. Une odeur de mort règne dans les parages, je ne serais pas surpris de marcher sur un cadavre de rongeur ou pire, celui d'un humain qui n'aura pas réussi à s'extirper de là à temps et sera mort de fin dans sa propre tanière. Quelle fin horrible, en y pensant ... J'espère ne jamais me retrouver enseveli sous la terre qui forme ma propre maison, parce que vraiment ce serait la pire des morts. L'étouffement est fait pour les proies, par pour les prédateurs. Moi je suis un prédateur, et je veux mourir loyalement, en protégeant ma soeur ou en défendant les miens. C'est tout ce que je souhaite. Mais pour l'heure, je suis plutôt d'humeur à rire en entendant les chutes et les jurons de Tybalt qui semble avoir beaucoup moins de facilités que moi à atteindre notre objectif ultime. Après trois étages emplis de difficultés diverses et variées, j'atteins un niveau où les marches n'ont pas été abîmées. Il semblerait que le challenge se facilite pour nous épargner les difficultés liées à la fatigue. Je m'en réjouis et cours de plus belle, sautant d'obstacle en obstacle et de marche en marche. Décidément, c'aura été le plus marrant de tous mes entraînements ! J'arrive en haut avec une longue d'avance sur Tybalt, et je l'attends en prenant le temps de reprendre mon souffle. Lorsqu'enfin il me rejoint, ma respiration est déjà de nouveau calme et je le regarde avec un air taquin, j'ai gagné notre défi.

- Alors ? Prêt à redescendre ?

Je m'avance vers lui et lui fiche un coup d'épaule amical, me moquant bien gentiment mais non sans me délecter de sa fatigue évidente. Je le laisse se reposer quelques instants et nous commençons à quitter les lieux plus lentement puisque notre entraînement est terminé. Plus prudent qu'à l'allée, nous prenons le temps d'analyser chaque difficulté pour la surmonter aisément, en s'aidant l'un de l'autre en cas de besoin. Toujours d'humeur taquine alors que nous passons un baril en plastique, je souris à mon ami dans la pénombre.

- J'mangerais bien du mouton, pas toi ?