Tu marches lentement, laissant derrière toi des empreintes de pattes dans la neige. Ta démarche est lourde, contrairement à ta démarche souple et agile que tu possèdes habituellement. Ta faim grandit depuis que les neiges sont tombées, car tu n'arrives plus à te nourrir. Mais une partie de toi refuse peut-être de s'alimenter, après tout. La blessure que tu gardes au fond de ton coeur est encore fraîche, et les paysages hivernaux qui s'offrent à toi ne font que gratter l'écorchure déjà rouverte, amplifiant alors la sensation de vide constant. Tu doutes parfois même que cette blessure se refermera, un jour. Tu avais tant voulu y croire au début, mais cet espoir s'est finalement estompé avec le temps, aussi vite que la vie de Tauriel fut prise.

Ce n'est pas aujourd'hui que tu trouveras ta nourriture, Triskélion. Ton coeur est trop noir pour chasser, il y a bien trop d'obscurité qui t'a envahit pour pouvoir faire quelque chose correctement. Tu es un incapable et puis c'est tout, tu mourras bien assez tôt, tu rejoindras rapidement ceux que tu aurais dû protéger, il y a un an.

Tu ne mérites que ça, de toute façon.

La mort.

Et puis, le lendemain, le destin avait de nouveau voulu jouer avec toi. Il t'avait d'abord attiré dans ses filets, en t'offrant un lapin. Tu avais cru à de la chance, comme si le mauvais temps qui t'entourait allait enfin tourner, et que tu pourrais à nouveau manger. Tu avais presque oublié le goût de la viande fraîche dans ta bouche, la sensation que cela faisait d'avoir l'estomac rempli, tant tu n'avais rien trouvé depuis des jours. Mais maintenant, une proie relativement simple se dressait devant toi, et tu allais pouvoir, enfin, redécouvrir ces sensations.

Tu t'étais alors approché à pas de velours, ralentissant ta respiration comme te l'avait enseigné Rusgeth. Mais quand tu étais presque arrivé à ta proie, que tu frôlais ton but, le destin avait décidé de te torturer un peu plus, en s'amusant avec toi. Un chasseur était arrivé dans ton dos, avec des pas beaucoup moins souples et discrets que les tiens, voilà ce qui fit fuir le malheureux lapin que tu devais te mettre sous la dent. Un cliquetis métallique se fit entendre, une détonation parvint à tes oreilles. Tu avais peu de temps, si tu voulais espérer faire une nouvelle chasse ... Ton instinct s'éveilla alors, et c'est ce qui sauva ta belle fourrure rousse, car il te tira en avant avant qu'un énorme son s'éleva dans les airs, faisant fuir tous les oiseaux des environs, et qu'une balle s'enfonça dans la terre au lieu de ton corps. Pris de panique, tu t'élanças à toute vitesse dans les bois, tenant cher à ta vie qui, pourtant, hier t'importait si peu. Manquant d'entraînement et d'expérience, tu fus bien vite essoufflé, mais cela ne te retint pas. Tu poursuivis ta course affolée, au milieu des arbres et de tous ces obstacles que tu pouvais rencontrer en chemin, esquivant agilement ce qui te barrait la route. Tu devais mettre un maximum de distance entre l'homme et ton âme, c'était devenu là ton seul but.

Et enfin, lorsque tu fus arrivé à une distance sécuritaire de ton traqueur, tu te permis de t'arrêter. Ton coeur battait à une vitesse inhabituelle, tu eus du mal à récupérer ton souffle. Mais tu étais vivant, et c'est tout ce qui t'importait. Maintenant tu savais, tu savais que tu tenais à ta vie.