Il doit être aux alentours de midi. L'air est glacial, dehors. Il frappe ma peau, mord ma chair, me blesse et m'affaiblit imperceptiblement. Pourtant je reste là, à découvert, j'attends quelque chose. Le ciel est d'un bleu limpide, même le soleil daigne nous accorder sa présence. Il illumine le monde de sa couleur chaleureuse, mais nous avons tous froid, malgré tout. Je marche dans les cendres, je regarde les ombres sur le sol, et les parties ensoleillées de tout ce qui m'entoure. A gauche, mon pelage est terne, sali par le temps et l'âge. A droite, il flamboie sous la lumière de l'astre de jour. Je suis d'un brun triste et monotone à gauche, mais d'une jeunesse folle et d'un léger roux grisâtre à droite. Double face. Un monstre, ombre parmi les ombres, pion de la Mort-Skull, chasseur de ses convoitises. Un protecteur, loup parmi les loups, frère de la Vie-Kaya, défenseur de ses droits. Oui, il y a bien deux loups en moi, mais tous deux ont les mêmes objectifs et pour l'heure, ils travaillent en communion, dans une harmonie parfaite. Un jour ils se battrons, l'un donnera sa vie pour l'autre et mourra pour ne plus jamais revenir. Mais ce temps n'est pas arrivé, et j'ai encore beaucoup de chemin à parcourir avant de fixer mon avenir. Les cartes sont entre mes pattes, toutes les portes me sont ouvertes et il ne tient qu'à moi de saisir la poignée de l'une d'elles. Mais j'ai le temps. Et jusqu'au choix décisif, je veux grandir intérieurement. Je veux m'épanouir, évoluer, gagner tout ce que je peux gagner. Des capacités, des liens, des souvenirs et des projets. Pour l'heure, j'arpente les terres Esobeks à la recherche d'un combat. Parce que je veux encore et encore progresser. Aller toujours plus loin, monter toujours plus haut.

Alors que j'observais les alentours à la recherche d'un Esobeks en quête de protection de ses terres, c'est une tout autre rencontre qui m'attend. Mes yeux scrutent les environs, le regard sombre et sans pitité. Je suis venu me battre, je n'attends pas un ami ni le passage d'une harde de chevreuils. Non, je veux en découdre, je veux donner de mes pattes au premier qui croisera mon chemin. Je continue d'observer le monde en contrebas, tel un cerf veillerait sur son monde. Mais je ne veille pas, non. Je suis l'ombre de la mort, son arme sournoise prête à frapper. Et je le vois. Le jeune mâle est là, plus bas, plus loin. Il attend, lui aussi, il ne bouge pas. Et il me fixe, surtout. D'abord, la tête haute et la queue tout autant redressée que le sont mes oreilles dans sa direction, je le toise en silence. Est-il un Esobek ? Le vent porte mon odeur jusqu'à lui, pas le contraire, mais je crois déceler une pointe musquée, une légère trace que je connais bien pour être celle de ma meute natale. J'inspire profondément et, puisqu'il ne ploie pas devant ma supériorité physique et qu'il ne détourne pas le regard, je me tourne pour me poster face à lui. Le regard vif, je le fixe dans les yeux, à distance. Je n'ai aucunement peur et j'ai bien l'intention d'aller au bout de mes objectifs. La queue portée droite, les poils hérissées, les oreilles en avant, j'abaisse ma tête légèrement, signe d'agressivité. Je lui montre, à distance toujours, que je suis un danger, que je ne suis pas ici avec des intentions louables.

Il ne bouge pas davantage, ni ne faiblit ni ne recule. Je montre les dents légèrement, j'ai bien compris qu'il ne partirait pas et qu'il avait l'intention d'accepter un défi. J'avance une patte brusquement, et je lance un long hurlement vers le ciel avant de le fixer à nouveau. Oui, gagné. Il relève mon défi. Je pars sans davantage réfléchir. Ce n'est ni son territoire ni le mien, mais c'est un réel plaisir de me dire que j'ai enfin trouvé un adversaire pour me battre. Je souris, étirant mes babines en une grimace sordide, et je file droit vers lui, descendant la colline sans la moindre hésitation. Une lueur étrange brûle dans mon regard, et je fonce sur mon seul objectif sans même m'enquérir de ses potentielles capacités. Il veut se battre, je le sens au fond de moi, mais il y a un soupçon d'hésitation dans son attitude, cette infime particule qui m'informe de son inexpérience. Il ne sait pas contre qui il se bat, et je me promets qu'il se rappellera de moi lorsque tout ça sera terminé. à a peine quelques mètres de lui, je m'arrête brusquement pour le toiser et humer son odeur corporelle. Oui, un Sekmet, je ne me trompais pas. Je gronde et je montre les dents pour le prévenir une dernière fois, mais puisqu'il ne part pas la seconde suivante, je bondis sur lui pour lui mordre violemment le museau, le forçant d'office au respect. Je ne cherche pas tout de suite à atteindre les points sensibles ni à provoquer sa mort, je veux d'abord le soumettre, l'humilier et lui montrer qu'il n'a pas défié n'importe qui. Je gronde, de ma voix sourde, comme si j'étais en colère. Mais la réalité est tout autre : je suis ravi de pouvoir combattre un ennemi.

Le jeune mâle se débat avec force et courage, mais il n'a pas mon expérience et cela le freine dans bien des opportunités. Là où un adversaire plus fort aurait trouvé le moyen de détourner mes crocs pour reprendre l'avantage, l'inconnu encaisse et s'agite pour se libérer, ne gagnant que davantage de douleur, au point même de se blesser lui-même sur mes propres crocs. Je resserre mon emprise un instant pour le forcer à s'immobiliser et ses pattes partent d'instinct pour frapper mon encolure avec détermination. L'air glacial de l'hiver frappe nos pelages, brûle nos peaux, mais la chaleur qui irradie de tous mes pores m'empêche de sentir sa morsure gelée. Je suis trop concentré sur mon adversaire pour me soucier du froid qui nous entoure, et la distance qu'il m'a imposée ne me convient pas plus que notre premier échange de regards. Je le toise à distance rien qu'un instant, le temps de jauger son taux d'énervement ou d'arrogance, et je ne vois dans ses yeux qu'une sorte de résignation, comme s'il avait réellement désiré ce combat mais pour autre chose que la gloire d'une victoire. La question m'intrigue, mais je ne m'attarde pas sur cette dernière et je fonds de nouveau sur le jeune inconnu. Me levant sur mes pattes postérieures, je tombe sur son garrot pour lui mordre la tête juste derrière les oreilles, tirant brutalement sur sa peau pour le renverser en arrière et le flanquer par terre. Je reste au-dessus de lui à le mordre, encaissant de furieux coups de pattes qu'il m'envoie. Les grondements sourds du combat résonnent dans les collines et nous n'avons de cesse de nous porter des coups, tous plus brutaux et douloureux les uns que les autres. A chaque fois que le mâle relève la tête pour me menacer de ses crocs et tenter de me mordre, j'esquive d'un mouvement sec en arrière pour immédiatement tomber vers sa gorge et y planter mes crocs. Suffisamment fort pour lui faire mal, pas assez pour le tuer.

Il gronde, me fait face, me défit délibérément. Je devrais l'abattre pour le simple plaisir de l'entendre pleurer et agoniser jusqu'à rendre son dernier souffle, mais le tuer serait trop simple. Il mérite bien plus, et j'ai envie de bien plus. Alors que je mords sauvagement son échine, le jeune mâle se débat brusquement de façon à se libérer de mon emprise. Je le lâche en grondant pour rattraper l'équilibre qu'il m'a pris, et j'écope d'une violente morsure à l'épaule. Mon ennemi ne lâche pas prise et je grogne de douleur, sentant bientôt mon sang s'éparpiller dans sa gueule. Il m'assène des coups de griffes à n'en plus finir et je recule en marchant de côté déstabilisé par ses attaques incessantes. Et puis, bestialement, je plonge mes crocs puissants dans son encolure, ma mâchoire supérieure entaillant son échine tandis que l'inférieure se plante dans sa gorge. Je le pousse de toutes mes forces en me détachant avec violence de son attache sanglante, m'arrachant un lambeau de chair de l'épaule, et je le couche au sol, furieux. Là, inlassablement, je resserre mon emprise sur sa gorge et je sens sa jugulaire battre contre ma langue, son angoisse montant en moi comme une douce mélodie. Je gronde férocement sans le lâcher, l'écoutant suffoquer et s'étouffer entre mes mâchoires mortelles, ne le relâchant qu'après de longues, d'interminables secondes. J'ai bien l'intention d'attendre de l'épuiser, pour ensuite lui faire répandre mon nom dans sa meute pour qu'elle me craigne et craigne la Horde par mon intermédiaire.

HRP:

Mu probablement par un violent élan d'espoir, mon adversaire se relève aussitôt que mes dents ont relâché sa gorge. Je me recule vivement pour qu'il ne me percute pas dans sa précipitation, et je le regarde faire non sans surprise. Ca m'étonne de le voir être si vif après une telle attaque. Mais l'explication vient tranquillement, tandis que je le vois se jeter sur moi, comme par réflexe, pour me porter une morsure. Au lieu de mordre pleinement dans la peau qui entoure ma gorge et ma nuque, les dents du mâle se resserrent sur l'extrémité de mes poils et il en emporte une partie en s'écroulant lourdement au sol. Oui, comme la proie suit immanquablement son instinct de survie, il s'est relevé par réflexe quand il a cru avoir une porte de sortie. Mais le manque d'air l'a sonné, et le voilà qui en paye les frais. Je souris, immobile, à le regarder se battre avec lui-même. Voilà que sa propre détermination se bat contre sa propre santé. Je claque des machoires dans un sourire mesquin.

- Alors gamin, on s'est sur-estimé ? Debout ! J'n'en ai pas fini.

Il ne me viendrait évidemment pas à l'idée d'attaquer un loup au sol. Et si je n'ai pas l'intention de le tuer, je ne manquerais cependant pas de le harceler jusqu'à ce qu'il me supplie de le laisser vivre. Là est l'ultime but de ma vie, désormais : Soumettre mes semblables pour donner une quelconque importance à ma propre existence. Il faut bien que j'occupe mes journées, maintenant que je n'ai plus personne à protéger.

Le jeune mâle est aussi épuisé que furieux. Il est hors de lui, malgré la grande faiblesse qui s'est emparée de lui, et il peine à garder son corps immobile. Il ne peut se relever, pourtant il ne me supplie pas encore. Quelle détermination, bravo ! Je souris, l'air sadique, j'aime quand mes proies s'accrochent à la vie, lorsqu'elles considèrent leur agonie comme leur dernier espoir, leur seul souffle de vie. Je le fixe de longues secondes, il ne se relève pas. Son immobilité m'agace, je perds lentement patience. Mais j'attends encore, je suis certain qu'il se relèvera. Les Sekmets sont ainsi, ils préfèrent mourir plutôt que de s'avouer vaincus. Du moins, ceux que j'ai connus. La blessure que je porte à l'épaule me brûle, même si je n'en laisse rien paraître. J'aimerais aller me faire soigner ça au plus vite, je veux oublier cette bagarre, et me repaître de la descente d'adrénaline qui fatiguera mon corps pour quelques heures de repos bien mérité.

Tel un clébard digne de ceux qui ornent les villages humains, mon adversaire tire la langue, fatigué, rompu. Je gronde et je claque des mâchoires, lentement la colère monte parce qu'il ne s'accroche pas assez, parce que je ne suis pas suffisamment à bout de forces pour m'estimer satisfait par ce combat. J'en veux encore. Mais il n'en n'a visiblement pas tant à m'offrir. D'un coup de patte rageur, je lui balance de la neige au visage en grondant férocement, ne le quittant pas de mes yeux saphirs. Je me refuse à attaquer un loup au sol, ce serait contre mes valeurs, et je suis un loup d'honneur. Un tueur, mais un tueur qui a des principes et qui n'en démordra pour rien au monde.

- Allons ! Debout ! Ne m'fais pas attendre !

Pendant quelques secondes, il tente de se lever. Je le flanque au sol à chaque fois, et il continue de jouer la détermination du vaincu, s'exténuant davantage en se relevant à chaque fois. Puis la fatigue à raison de lui, et toujours pas de moi. Je gronde, je l'empresse de se battre encore, mais il n'a plus rien à me donner. C'est terminé, et il ne valait pas tant que ce que je pensais. Et au fil des secondes qui s'écoulent, mon corps se vide de ses hormones déstructrices, et je sens l'épuisement monter. Je ne laisse rien paraître, j'attends qu'il se relève encore. Ce qu'il ne fait pas. J'en ai mare, maintenant. Il est temps d'arrêter ce jeu stupide, pourtant j'attends encore, espérant qu'il se relèvera une autre fois.

- Eh bien qu’est-ce que t’attends ? Viens donc me tuer, qu’on en finisse !

- Puisque tu l'demande.

Je n'attends guère plus, je m'avance. Je n'ai jamais éprouvé la moindre pitié, et je déteste les loups faibles qui abandonnent la vie de la sorte. Décidé à l'abattre, je m'approche de lui, tout près. Encore plus près. Je me redresse de toute ma hauteur au-dessus de lui, prêt à lui asséner un coup de crocs mortel. Terminé, les perdants. Seuls les vainqueurs vivent.

Le plaisir de la victoire, la fatigue de l'adrénaline qui retombe, le bonheur de savoir qu'on a tué un faible pour laisser vivre un fort. Voilà ce que j'attends, ce que je m'apprête à faire et à ressentir. Là, tendu au-dessus de lui, le dominant de toute ma hauteur, je n'attends plus que ça. Je profite de l'instant, des secondes qui se figent et du temps qui s'arrête alors que le prédateur surplombe sa proie dans une aura sanguinaire. Il attend la mort, là, à mes pattes. Lorsque mes crocs descendent lentement vers sa chair, il est déjà trop tard pour que je puisse anticiper la suite. Cet enfoiré avait un plan depuis le départ ! En une fraction de seconde, le voilà debout devant moi, mais la fraction de seconde suivante, son corps s'affale dans mes pattes pour me faire perdre l'équilibre. J'ai seulement le temps d'écarquiller les yeux et de retenir un hoquet de stupeur. Je m'étale de tout mon long, là, dans la neige froide, la fatigue du combat ne réveillant rien d'autre que les courbatures qui, d'habitudes, n'apparaissent que le lendemain. Je grogne de surprise et lui, ce jeune mâle prétentieux qui souhaitait relever mon défi au départ, est en train de s'éloigner à toutes pattes. Je gronde de mécontentement, allongé sur le flanc, et je fixe sa silhouette qui s'évapore lentement dans l'horizon. Il court d'une manière bien étrange, et je suppose que ses galopades maladroites sont dues à ses blessures. Mais il court quand même, malgré le froid et la douleur. Je le regarde faire sans un mot, ma gueule se referme lentement et mes crocs se cachent de nouveau sous mes babines. Je le regarde, qui tombe et se relève, et recommence à courir. Je lâche un long soupire alors que son corps se transforme en un minuscule point dans mon champ de vision, et je me laisse aller encore de longues secondes avant de me décider à me relever. Debout, tremblant légèrement, j'observe les dégâts que nous avons causé. Du sang partout. La neige s'est mélangée à la terre humide en dessous, et tout n'est plus que boue. Je soupire, et je m'éloigne d'un pas lent. C'en est terminé pour aujourd'hui.

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