Je suis particulièrement enclin à un bon combat bien sanglant. En réfléchissant honnêtement, je doute que cet entraînement que j'ai imposé à Appledore via les ordres de Skull soit une bonne idée. Je vais devoir me contrôler beaucoup plus qu'à l'accoutumée, et le jeune mâle n'aura pas le niveau de s'en sortir indemne si je laisse libre court à la colère sourde que je retient tant bien que mal en moi. Je soupire en attendant son arrivée dans la forêt charbonneuse. En tout cas, je me dis qu'au moins si un ou deux Sekmet décident de venir nous emmerder, je pourrais me défouler aisément. Le risque est plus grand pour Appledore qui risque d'avoir du fil à retordre, mais tant pis. Il arrive enfin, et je sens un violent manque de motivation dans l'aura invisible qui l'entoure. Est-il lassé de la vie qu'il mène ? En a-t-il mare de tous ces entraînements et de ces chasses interminables auxquels nous prenons part quotidiennement pour le simple assouvissement des désirs de notre Alpha ? Remarquant que je me fais exécrable dans mes pensées profondes, je me reprends en secouant légèrement la tête. Non Isha. Souviens-toi que tu es là parce que tu le voulais. La Horde est une aubaine, pas un poids supplémentaire. Des loups forts pourront veilleur sur ta soeur quand tu ne le pourra pas. La seule condition est de donner ta vie à Skull, et c'est le prix que tu as décidé de payer. Je soupire et je m'avance vers Appledore, humant déjà les effluves qui hantent les lieux.

- Es-tu prêt ? J'espère que tes pensées ne sont pas ailleurs, parce que ce n'est pas un inoffensif chamois que nous traqueront aujourd'hui, c'est la Mort elle-même.

Appledore n'a vraiment pas l'air décidé à se bouger la croupe, et mon agacement monte d'un cran alors qu'il reste immobile à attendre que les choses se passent. Après un court silence depuis mon accueil et ma mise en garde, voilà que le jeune loup se prend pour un super-héros téméraire et courageux. Je montre les dents en fronçant les sourcils, et je lui saute brutalement à l'échine pour le flanquer par terre. Ma gueule tout près de la sienne je gronde, menaçant, avant de le relâcher pour le toiser de toute ma hauteur, fixant son regard démoralisé.

- Si j'étais ton père, tu n'serais pas aussi ignorant, petit. Maintenant bouges-toi et trouves-moi une piste.

A ce que je sais du gosse, il n'a pas de parents. Mais tout de même, pendant un an il a forcément traîné avec quelqu'un. J'ignore de qui il s'agissait, mais il n'a rien daigné apprendre à notre jeune recrue. Et puisque dans la Horde, tous n'agissent que dans leurs propres intérêts, c'est à moi qu'il incombe la tâche de lui apprendre ce qu'il ne sait pas encore. Oh, cet ordre ne vient pas de Skull, mais de moi, effectivement. Je me suis donné cette mission parce que, derrière ses airs de louvard fainéant et je-m'en-foutiste, je suis persuadé qu'Appledore pourra devenir un bon loup, comme il en existe peu.

Le p'tit est pas motivé le moins du monde. Je sens qu'il retient ses mots, qu'il se force à ne pas répondre à ma mise en garde. Bien, il apprend vite pour certaines choses, et c'est d'ailleurs dans son intérêt. Je le fixe de longues secondes, abandonnant toutes recherches pour le laisser mener la danse tout seul, cette fois. Il est temps qu'il se bouge et qu'il apprenne à travailler par lui-même. Je ne serais pas toujours là pour trouver ses pistes et lui indiquer quel chemin suivre. Je soupire longtemps, il semble mettre un temps fou à trouver quelque chose. Bon, sur ces terres je doute qu'il trouve rapidement une odeur puisque la puanteur des Sekmet hante chacun centimètre carré, mais je suis trop exécrable pour lui proposer d'aller ailleurs, dans un endroit moins dangereux et plus propice.

Et enfin, sa truffe semble s'agiter. Il a trouvé quelque chose ! Mes oreilles se dressent dans sa direction, tous mes sens sont en alerte. Peut-être aura-t-il la fierté de dénicher sa toute première proie, aujourd'hui ! Enthousiaste, je le suis quand il se met en marche sans prendre le temps de vérifier ses soupçons. Je décide de faire confiance à son instinct et de le laisser mener cette traque en adulte, comme s'il était seul. Au pire des cas, je serais là pour le protéger si nous tombons sur un Sekmet. Mais bientôt, une odeur de saleté et d'humidité emplit mon museau. Ce n'est pas l'effluve d'un Sekmet, mais je connais cette odeur. Un Esobek, dans les parages ? Non, ils arborent un parfum fruité, moins agressif. Des bruits attirent mon attention et je me mets en garde.

Et bientôt, ce sont trois foutus clébards qui nous tombent dessus. Je plaque mes oreilles sur mon crâne, hérisse mon poil et me redresse de toute ma hauteur, montrant les crocs par instinct. Bravo petit, tu pouvais pas trouver mieux. Je n'ai pas le temps de le réprimander comme il le mérite, l'un des chiens, le plus agressif, lui saute dessus. Appledore se défend immédiatement et je me réconforte en me disant qu'il a au moins un instinct de survie, caché sous son air blasé permanent. Je fais face aux deux autres chiens, de petite taille mais pas moins teigneux et armés. L'un d'eux se jette sur moi, mais je lui attrape violemment le museau et l'envoie dans les airs en une fraction de seconde, me régalant un instant de son gémissement de douleur. Déjà, le second prend sa part. Il avance, la queue entre les pattes, me menaçant de ses crocs. Et dire que c'est à cause des hommes que nos ancêtres ont engendré ces abominations ... Je bondis sur lui, lui mordant l'épaule tandis que ses crocs se referment sur ma joue. Le second bâtard le rejoint en s'attaquant à ma croupe et je grogne de colère. Quelle bande de lâches !

Quand j'en mords un, l'autre me file entre les pattes pour m'attaquer en traître. Ils sont petits mais pas moins rusés, je ne peux que l'admettre. D'autant que malgré moi, j'essaie de m'assurer qu'Appledore s'en sort de son côté. Quand mon regard croise le sien et que j'entends un grognement de douleur, je montre les dents, furieux. Il se débat contre son adversaire, et j'attrape violemment la tête de l'un des miens pour la lui broyer sous la force de mes crocs. Les os sont particulièrement durs, mais j'ai longtemps entraîné ma mâchoire pour développer sa puissance et l'ampleur de mes morsures. J'ai tiré de lourdes carcasses, seul pendant des jours. J'ai détruit des troncs un à un avec acharnement entre beaucoup d'autres entraînements intenses. Alors, après de longues secondes de pression, les os cèdent sous mes mâchoires et le chien hurle sa douleur dans un son strident. Je plaque mes oreilles pour ne pas souffrir, et je lâche son cadavre quand il s'immobilise entre mes dents. Son visage est déformé par la terreur et la douleur, et son crâne n'en a plus la forme.

L'instant d'après, c'est le second chien, vaillant, qui tente de revenir à la charge. Mauvaise idée, parce qu'ils s'en sont pris à l'un des miens et que je ne tolère aucune attaque sur mes proches. Je gronde férocement, fonds sur lui et lui attrape l'échine de justesse alors qu'il se faufilait sous moi. Je tire de toutes mes forces, mais je gronde et relâche ma prise. Ce salaud tient déjà ma patte arrière. Je tourne sur moi-même pour tenter de l'attraper et lui, grognant comme un forcené, s'accroche à sa prise. Il est trop petit pour que je l'atteigne et, sans lâcher sa prise, fait des bonds dans tous les sens pour que je ne parvienne pas à l'attraper. Je suis certain qu'il se délecte de mon sang coulant dans sa gueule, et l'adrénaline de la bagarre minimise la brûlure de ma blessure. Je me fatigue pendant de longues secondes avant de pouvoir attraper ce qui dépasse : sa queue. Je serre si forts mes dents autour qu'il relâche la pression sur ma patte en gueulant, pour se retourner et tenter de se libérer. Je le relâche et, en une fraction de seconde, lui attrape la nuque. Je le secoue dans tous les sens. L'avantage des petits chiens, c'est justement leur poids. Comme un lièvre, je fais voler son corps dans les air jusqu'à entendre sa nuque se briser entre mes dents. Et quand je lâche son corps, essoufflé, et que je me tourne vers Appledore, gît à ses pattes le troisième chien. Je m'approche de lui en reprenant mon souffle et en boîtant, l'autre connard ne m'a pas loupé. J'observe ce qu'a fait Appledore de son adversaire, et je suis satisfait du résultat. Malgré ma respiration saccadée, je souris en le regardant dans les yeux.

- Bien. Tu progresse très vite, tu peux être fier de toi. Rentrons, gamin. J'en ai assez vu pour aujourd'hui, manquerait plus qu'on tombe sur ces crétins de Sekmets.