«Commence là où tu es. Utilise ce que tu as. Fais ce que tu peux.»Une odeur se fait de plus en plus tenace. Tu fronces le museau, et le lève. Cherchant la provenance de cette puanteur. Sur tes gardes, les oreilles plaquées contre ton crâne, tes babines dévoilant par réflexe tes crocs. Tu regardes de droite à gauche. Danger.
Danger. Répète inlassablement ton esprit. Tu n'étais venu ici que pour un banal entraînement quotidien. Mais pourtant, un mauvais pressentiment t'empoignait. Dans les bois, une atmosphère peu engageante régnait. Là où tu pensais trouver le réconfort des pendus, tu ne trouvais que cette odeur. Tu reniflas à nouveau, nerveux. L'inconnu était ce qui t'angoissait le plus. Un ennemi invisible. Tu n'étais pas même sûr que ce soit un ennemi. Seul ? En groupe ? Cette puanteur te disait quelque chose. Un relent d'arme à feu, de sueur, d'homme. De sang. De mort. Soudain, tu compris. Tu quittas immédiatement ta position tapis, pour t'enfuir en courant. Mais il était trop tard. Un. Deux. Non. C'est Cinq chiens qui te font face.
Le poil ras. La bave aux lèvres. Les crocs sortit. Le regard haineux. Dix pupilles noires te fixaient.
Et merde. Tu détallas. Les canidés se jetèrent à tes trousses en hurlant leur soif. De sang. De
ton sang. Tu esquivas de justesse un arbre. Un second. une branche te frappa au passage. Décontenancé, tu secoua la tête. Des points blancs dansaient joyeusement devant tes yeux.
C'est pas le moment. La faim. Manque de sommeil. Tu avais bien trop abusé lors de ton dernier entraînement. Marcher à contre sens dans une rivière, un caillou dans la gueule. Quelle idée, bon sang ! Tu aurais pu attraper froid, en plus. Résultat : des pattes plus lourdes que jamais, et une nuit abominable, à trembloter, le vacarme de la rivière t'empêchant de deviner la présence d'ennemis. Et, évidement, tes amis canins n'avaient pas trouvé meilleurs moment pour se pointer.
Au moins, suis-je sec. Remarquas-tu. Positiver, c'est bien. Mais là, Sora, tu les sèmera pas. Déjà que la rapidité n'est pas ton fort, ton endurance, autant dire qu'elle est déjà à plat. Tu le sens ? Si tu force encore, tu auras un point de côté. Et ce sera définitivement mort. T'as intérêt à trouver un truc, et vite !
Tu soupires.
C'est bon, j'ai compris, les loupiots. Un sourire étrange fleurit sur ta mâchoire. On va jouer. »
Sans arrêter ta course, tu ralentis. Inutile de gagner du terrain que tu perdras rapidement. Là, le plus rapide est tout juste derrière toi. Tu entends sa mâchoire claquer à quelques centimètres de ta croupe. Tu ricanes. Tu as peur, oui. Pourtant, tu ne panique pas. Tu fait preuve d'un sang-froid perturbant. Es-ce là folie pure, génie, ou courage ? Un mélange des trois ? Tu te concentre. Oublie l'odeur de tes chasseurs. Aujourd'hui, on va échanger les rôles. Depuis quand le nombre fait la force, face à l’intelligence ? Tu vires à droite. La troupe, bien que surprise, comme à chacun de tes virages, te suit docilement. On pourrai presque croire que tu mène un troupeau. Tu les fait tourner en bourrique, restant près d'eux, et les conduisant précisément où tu le souhaite. Oh oui, tu as peur ! Et qu'es-ce que c'est bon ! Vivant !
Enfin, le pendu que tu connais si bien apparaît. Celui sur lequel tu t'étais entraîné pendant des heures, en bondissant encore et encore. Cette fois, tu n'aurais droit qu'à une seule chance. Mais c'était plus que suffisant. Tu savais à présent comment t'y prendre, et tu t'étais forgé de véritable muscle. Tu étais plus puissant qu'auparavant. Fatigué, mais musclé. Tu accéléras. De l’élan. il te fallait de l’élan. Tu calculas. Trop loin, tu le rateras. mais trop près, ce sera un échec. Un pas. Deux pas. Trois et demi... Maintenant ! S'appuyer sur la patte avant qui touche encore le sol, tout en repliant celles arrières. Se propulser de toutes ses forces, gueule à demi ouverte, fixant le pendu. Tes crocs se refermèrent sur le mollet de l'humain. Du moins, ce qu'il en restait. Soit, un mélange assez immonde d'habit, et cadavre. Un goût abominable t'agressa, à l'instar de la première fois. Dans ton élan, tu te balanças vers l'avant. Les chiens te dépassèrent sans comprendre. Les quatre derniers filèrent droit devant, sans se poser de questions. En effet, le premier de tes poursuivants leur avait masqué la vue tous le long de la course, du fait que vous étiez très proche l'un de l'autre, ainsi que devant le reste de la troupe. Ils durent donc penser, comme tu l'avais prévu, que tu étais largement devant. Et que le plus rapide d'entre eux commencés à fatiguer, leur laissant la relève. Le premier s'arrêta, leva ses yeux vers le ciel. D'où tu retombas. L'écrasant de tout ton poids, tu l'empêchas de se relever, tout en reprenant tes esprits. Le couinement du chien avait prévenu les autres : ils risquaient d'arriver d'une seconde à l'autre. tu n'en avais pas finis. Le molosse se démenait de toutes ses forces. Sans attendre un instant de plus, tu attrapas sa nuque, et secouas brusquement, de droite à gauche. un horrible craquement te récompensa, accompagné d'un gémissement pitoyable. Tu lâchas la pauvre bête. Déjà, les dernières étincelles de vies s'évanouissaient de son regard terne.
Tu n'eus pas même le temps de t'orgueiller de cette victoire. Un chien bondit sur toi, jaillissant d'entre deux arbres. Ce fut à ton tour de te faire écraser contre le sol. Tu lâchas un grognement de douleur lorsque tes épaules rencontrèrent la terre dure, froide, et poussiéreuse. Dans un nuage gris, vous vous démeniez. Il cherchait à trouver le chemin vers ta gorge, que tu lui refusais. Ton cœur battait à mille, envoyant des signaux de danger dans ton corps entier. Il réussit à mordre ton oreille. Tu hurlas de douleur. Soudain, une ouverture. Il s'est légèrement relevé pour viser ta gorge, libérant tes pattes arrières. Tu n'hésites pas une seconde. Le molosse risquerait d'avoir le temps de t'égorger. le plus rapide d'entre vous l'emportera.
Bien entendu, ce fut toi. Sinon, pourquoi rédiger cette histoire depuis ton point de vue ? Tes pattes frappèrent rudement le ventre de l'animal. À un endroit précis. La rate. Le souvenir de ton entraînement avec Isha te revint. Tu lui avais dévoilé ce point faible. Mortel. Le chien recula en gémissant de douleur, et tu te relevas. Le reste de la meute arrivait. Tu repartis, ignorant les protestations de ton corps.
Tu ne pouvais répéter tes plans précédents. Que faire, Sora ? Que faire ? Tu t'arrêtas soudain. T'accroupissant immédiatement contre sol, plantant tes griffes. Un chien, surpris, trébuchât sur toi. Il était à moitié sur toi, au-dessus plutôt. Sa tête arrivé un peu après ton épaule. Tu te relevas, lui donnant un splendide uppercut à la mâchoire, à l'aide de ton épaule. Du sang tombât par petit jet sur ta fourrure, tu tournas la tête pour attraper brutalement celle du chien. Tes crocs se placèrent à la base de sa mâchoire, et tu serras ta prise. Une déformation de la technique qu'Isha avait employée contre toi. Tu tiras un coup sec, en te laissant tomber, pour rajouter ton poids à la force. Clac. Tu tombas en arrière, roulas, avant de te relever. Dans ta gueule, la mâchoire du chien. Ce dernier te fixait sans comprendre, un flot de sang impressionnant jaillissant de son corps, avant de s'effondrer.
Les deux mâles restants te fixaient avec méfiance. De longues secondes s'écoulèrent. Tu pris le temps de leur faire face. Haletant, tu tâcher de reprendre ton souffle. Ils avaient... Peur ? Oui, c'était ça. Peur de toi. Un simple loup. Seul, de surcroît. Tu souris. Il y avait en effet raison de te craindre. Tu venais de tuer deux d'entre eux. Celui que tu avais blessé au ventre arrivait en clopinant. Ses yeux trahissaient sa douleur. Un hématome se peignait sur le peu de peaux visibles. Tu savais qu'il ne survivait pas. La rate avait bel et bien explosé. Provoquant une importe hémorragie interne. D'ici peu de temps, il ne tiendrait plus sur ses pattes. Bien il mourrait, seul. Tout seul. gémissant pitoyablement, au beau milieu d'une forêt de mort. Seul. Comme tous. Car l'on meurt toujours seul. Toujours.
Le pauvre cadavre vivant s'assit. Tu te délectais de sa souffrance. Ton regard ne quittait pas les deux autres chiens. Tu avais encore à faire. Ils s'entre regardèrent. Avant de se décider à t'attaquer. Tu fis un pas sur le côté, tel un pas de danse, esquivant le bond du premier, qui alla se prendre l'arbre derrière toi. Un couinement accueillit son embrassade imprévue avec l'être de bois. Le dernier survivant le regarda sans comprendre, papillonnant des yeux. Le temps que tu arrives près de lui, tu avais de nouveau regagné toute son attention. Vous roulèrent, pèle mêle. Le troisième, essaya de se relever, mais en réussi qu'à s’étaler pitoyablement au sol. La douleur était déjà trop forte. Le berger allemand, celui qui était allé dire bonjour à l'arbre, revenait vers vous, le museau en sang. Tu te débattais comme un beau diable contre ton adversaire. C’est avec inquiétude que tu entendis l'imposante bête venir au secours de son compagnon. En marchant sur l'autre malheureux, qui gémit de douleur, le voyant déjà comme un cadavre.
L'énergie commençait à te manquer. La panique, pour le coup, te gagnait. À juste titre. Le courage qui jusque-là t'avait fait tenir commençait à s'évaporer. Que faire contre deux énormes chiens, dos à terre ? Le premier, plus petit que son confrère, s'écarta pour lui faire de la place. Tu profitas de cette unique seconde d’inattention pour mordre sa gorge. Tes crocs se plantèrent dans sa tendre chaire, là où tu avais vu la boule que formait l'épiglotte. Un gargouillis effroyable se fit entendre, tendit qu'un liquide poisseux et chaud se déversa sur ta fourrure. tu fermas les yeux, aveuglé, tendit que le poids du chien s'écrasa sur toi.
Le berger allemand attrapa son ancien ami sans la moindre délicatesse, et l'envoya rouler quelques longueurs de queues plus loin. Enfin, sans regard se fixa sur toi. Il était le dernier. Et toi, épuisé. C'était un meurtrier, au même titres que les autres. Leurs seuls buts étaient de te tuer, pas de se protéger d'un ennemi. Ils n'avaient pas totalement peur de la mort. ce qui en faisait un animal particulièrement dangereux. Il voulait te tuer. Ça tombait bien, toi aussi, tu avais un croc contre lui. Contre tous les chiens, à présent.
Vous tournèrent l'un autour de l'autre. Il avait l'avantage, c'était certain. Plus grand, fort, moins fatigué. Nourri. Il bondit sur toi. Tu fis de même. Debout sur vos pattes arrières, vous cherchiez chacun à mordre la gorge de l'autre. Les claquements de crocs se mêlaient aux aboiements, ou hurlements de douleur. Vous combattiez dans une folie rare. Le sang coulait, de part et d'autre, sans qu'aucun n'abandonne. Puis tu appuyas tout ton poids sur lui. Plus lourd que toi, pas habitué à se tenir ainsi, tu réussis à la faire basculer en arrière. Une lueur inquiète remplaça une seconde sa haine vorace. Mais il était déjà trop tard.
Tu te relevas, le museau en sang. Dans ta gueule, les quelques bouchées que tu t'étais permis de prendre au chien. Le goût était assez similaire à celui des loups, songeas-tu. Il y avait donc, véritablement, un lien entre lupin et ces brutes épaisses sans cervelle ? Probablement. De nouveau, tu plongeas dans les entrailles de la bête morte. Avala lentement la chaire tendue. Puis tu t'éloignas. Ton ventre rouspété encore, tu étais loin de t'être nourri. mais tu ne pouvais rester ici plus longtemps. Des humains risquaient de les chercher, et de te trouver. C'est pourquoi, bien que rompu par cette journée éreintante, tu te forças à marcher, et quitter cette foutue forêt de mort. Qui, pour le coup, te semblait plus rouge, que grise.
END.