«Ce n'est pas la force, mais la persévérance, qui fait les grandes œuvres.»Un gémissement s’étrangle dans ta gorge. Heureusement pour ta dignité, le rugissement de la rivière engloutit ton cri peu viril. Tu n’avais guère prévu une température si basse. Les embruns avaient jailli vers tes pattes. Ils y avaient imposé leurs morsures blanches. Mais, une fois la surprise passée, tu souris. Un sourire moqueur. Envers toi, et cette pathétique éclaboussure. Cet être si faible, sans conscience, pas même vivant. Mais il ne faut pas sous-estimer l’embrun pour autant. Cet instant de surprise et d’inattention qui t’avait pris aurait pu causer ta mort.
Tu traversas la rivière. Enfin, tes pattes foulèrent de nouveau le sol. Les blanches gouttelettes ne pouvaient plus t’atteindre. De ce côté-ci de la berge, tu pouvais continuer ton chemin. De l’autre, il t’aurait fallu exécuter un grand détour. Tu le prendrais au retour, peut-être. Si retour il y a. C’est tout l’avantage de ne pas appartenir à une Meute. Tu pouvais aller où bon te semble, sans le moindre point d’attache. La totalité des terres neutres étaient ta maison. Et tu les connaissais sur le bout des pattes.
Tu finis par trouver ce que tu voulais. La rivière était bien moins profonde ici. Tu t’avanças prudemment, et trempas ta patte dans le courant. Bien que tu t’y étais préparé, le froid soudain te surpris de nouveau. Mais tu ne te ferais pas emporté. Tout sourire, tu fouillas la rivière du regard. L’eau, plus calme ici, laissait voir le sol. Tu aperçus une imposante pierre. Pas trop grosse, tu estimas qu’elle tiendrait dans ta gueule. Les autres galets qui apparaissaient çà et là étaient soit bien trop gros, soit si petit que le poids supplémentaire serait minime. Lentement, en prenant garde à ne pas glisser, tu descendis dans les eaux glaciales.
Tu tremblais légèrement. Ainsi, tu gaspillas quelques précieuses secondes à te remettre de ce pathétique choc que le froid avait causé. Tu poses tes yeux sur ta proie inerte. Grise. Le caillou. Tu fendis l’eau dans sa direction. En zigzaguant. Le courant refusait de te laisser en paix. Il était plus puissant que tu ne l’avais cru. Mais pas assez pour te déloger, toi, l’incroyable Sora, que même les humains n’arrêtaient pas !
Une fois la pierre dans la gueule, tu te plaças à contre-courant. Le poids supplémentaire manqua de te faire chuter en avant. Tu te rattrapas de justesse, tête à moitié dans l’eau. Tu frissonnas. Ce n’était certes pas le meilleur moment de l’année pour nager. Les températures étaient à leur minimum, ou presque. Mais tu serras les dents, et affrontas la rivière. Que dirait ton père s’il te voyait abandonner si rapidement ? Pas grand-chose, puisqu’il est mort. Et un cadavre, ça parle pas. Il paraît. Bref. Mais qu’aurait-il dit s’il avait encore sa peau ? Que tu étais pathétique, inutile, la honte de la famille… Il en coûte d’être le dernier à naître, et non voulu. Heureusement que ton grand-père s'était battu pour toi.
Tu marches. Recules. Trottines. Recules. Et ainsi de suite. Sans te lasser du caractère répétitif de cet entraînement. La vie, elle, continue son cours sans toi. Tes membres sont gelés. Tu as de plus en plus te mal à continuer ton effort. Aussi, têtu, continuas-tu.
Une heure plus tard, te voilà, explosé sur la berge. Simple amas de fourrure trempée. En voulant faire plus que nécessaire, la fatigue t’avait gagnée, et la pierre t’avait entraînée dans les fonds. Tu l’avais vite relâchée, la gueule en sang. C’est que tenir un caillou aussi longtemps n’est pas une mince affaire. Le courant t’avait traîné sur quelques mètres, avant que tes pattes trouvent la rive, et s’y hissent maladroitement. Tu soupiras. Pour aujourd’hui, ce sera suffisant.
END.