Devant cette aube grise, je quitte ma tanière pour me rendre de nouveau en territoire de chasse. Un de ces quatre, j'inviterais mes compagnons de meute à chasser avec moi. Nous pourrons prétendre à une bête bien plus grosse que les petites bestioles que je ramène quotidiennement dans les réserves de la Horde. Peut-être un élan, ou un caribou. Ce genre de truc devrait nous filer d'la bouffe pour un bon moment. Au début, je me dis que je pourrais bien aller me servir dans les réserves vivantes appartenant aux humains. Mais je me souviens rapidement que je suis seul, et qu'on est en plein jour. Non, ce serait une mauvaise idée. Je pars donc en trottant, histoire de m'échauffer et de préparer mes muscles à l'effet, vers la plaine de cendres. Là-bas je serais à découvert, mais mes proies aussi. Il y a si peu de bosquets que je devrais rapidement trouver quelque chose à me mettre sous les crocs. Je débarque sur les lieux la langue légèrement pendante, régulant ainsi ma température malgré le froid de l'hiver et la brûlure de ma course précédente. Nous les loups, sommes faits pour courir. Nous avons développés des stratégies pour pouvoir le faire longtemps et vite, afin d'inventer des techniques de chasse que personne d'autre ne pourrait utiliser hormis les nôtres. Notre endurance nous permet de jauger nos cibles avant d'en choisir une, notre agilité nous donne l'occasion de les suivre sur divers terrains, et notre force nous rend bien plus dangereux face à des animaux que nul autre n'oserait chasser.

C'est l'esprit concentré sur mes connaissances de tueur que j'entre dans la clairière. Ici et là, la neige à pris ses droits. Par endroits, les cendres règnent encore mais pour combien de temps ? Mes pattes s'enfoncent dans un épais duvet blanc et froid, pourtant lorsqu'elle ressortent, leurs extrémités sont grisâtre, comme enroulées dans une chaussette de poussière. De cendres froides. L'endroit à été calciné depuis bien longtemps par la stupidité humaine et il ne reste désormais plus rien de ce qui fut autrefois une plaine verdoyante et emplie de vie. Il y a bien longtemps, les hardes d'animaux venaient paître ici, et nous pouvions aisément choisir notre proie dans un groupe d'individus. Les femelles gestantes se réfugiaient dans les sous-bois, tout proches, et nous pouvions humer l'odeur de leur mise-bas sans difficulté. Je soupire à l'évocation de ces souvenirs qui ne m'appartiennent pourtant pas. Malgré tout, je me plait à imaginer souvent qu'il existait des endroits, il y a bien longtemps, où il était agréable de vivre. Aujourd'hui, à cause de l'humanité, nous voilà obligés de nous battre pour simplement survivre, et nous ne savons jamais si nous trouverons demain de quoi nourrir les nôtres. Je repense à Skull, a cette journée qui a réuni tous les membres de la Horde dans le cimetière. Je ne suis pas comme eux. Plus le temps passe, et moins je me sens à ma place. Mais je reste sous ses ordres, je continue de m'entraîner pour elle, de me préparer à tuer sous ses ordres. Parce que j'ai des devoirs, et que je ne saurais protéger au mieux ma soeur en étant seul. Pour l'instant, en tout cas. Heureusement que ma famille n'est pas plus grande, tiens. Dans un soupire résigné, je pose ma truffe au sol et je cherche l'odeur d'une proie, déterminé à ne pas rentrer les mâchoires vides.

D'abord je suis empli d'une détermination à toute épreuve. Je veux nourrir ma soeur et me nourrir, et je veux ramener de quoi subvenir aux besoins de ceux que je considère comme les membres de ma meute. Pendant de longues minutes, j'arpente la grande clairière sans rien trouver, et j'ai beau me forcer à chercher encore et encore, aucune odeur suffisamment fraîche ne se présente sous ma truffe. Je continue cependant, déterminé, et mes pattes foulent la neige froide avec vigueur. ce n'est certainement pas ce froid mordant qui m'arrêtera, en six ans d'existence j'ai connu bien pires et dans des circonstances bien moins amicales. Lorsque les conflits régnaient et que chaque pas hors de la tanière familiale était un danger de mort, je sortais malgré tout pour aller chasser et cela ne m'a jamais retiré un gramme de ma témérité. J'ai continué à fouiller, à découvrir les territoires pour les apprendre par coeur, et je n'ai jamais cessé de errer sur les terres sans qu'elles m'appartiennent. Je me suis battu, j'ai défendu mes droits et ma vie et ce, envers et contre tout. Je ne suis pas un simple loup en chasse. Je suis Isha, le Protecteur, et je suis là pour tuer. Alors, malgré l'absence apparente de quelque proie que ce soit, je ne perds pas espoir et je marche, trotte, galope et marche à nouveau, remuant la queue et gonflant mes cavités nasales d'effluves, afin de repérer au plus vite une quelconque présence. Je veux tuer. Je ne rentrerais pas ce soir sans avoir quelque chose à nous mettre sous le croc. Même un vulgaire lapin fera l'affaire.

Les minutes passent, le temps s'allonge. Je perds patience et le courage n'est pas vraiment présent. J'aurais aimé avoir la même chance que ces derniers jours. Trouver rapidement une proie et la ramener aussitôt au camp pour remplir les réserves, avant de me taper une bonne part de viande pour prendre des forces et enchaîner la journée sur un nouvel entraînement intensif, avec ou sans un partenaire. Je me suis dis, récemment, qu'il serait bon pour moi de m'entraîner avec Tybalt ou Skull. Tous deux sont bien plus forts que moi mais justement, cela me permettrait d'avoir un avis plus "professionnel" et ils sauraient me dire exactement où sont mes lacunes et mes faiblesses afin que les comble au plus vite. Et puis, gagner le point de vue de loups aussi expérimentés qu'eux me feraient vraisemblablement progresser à une vitesse accrue. Je hume une énième fois la neige, et je souffle par les narines cet air froid exempt d'odeurs animales. Il n'y a rien dans les parages, aussi je pense à quitter les lieux bientôt pour rentrer chez moi ou trouver un autre territoire de chasse. J'étais pourtant persuadé qu'avec un peu de patience et de persévérance, je finirais par dénicher quelque chose que j'aurais pu apporter aux miens. Mais apparemment, même les lapins refusent de sortir de leur trou. Peut-être qu'un loup est déjà passé récemment, et qu'il a emporté les seules proies disponibles. Rien ne me dit qu'une meute n'a pas déjà traversé cette clairière en poursuivant une harde, ce qui aurait indéniablement fait fuir tous ses habitants pour une durée indéterminée.

Bon. Je me réserve encore quelques minutes, et cette fois c'est ma dernière tentative. Si celle-ci est vaine, je laisse tomber, j'irais trouver des proies ailleurs. J'en ai mare d'attendre, de chercher pour rien alors que tout semble avoir disparu. Les bestioles ne se sont quand même pas volatilisées, si ? Non, il doit bien rester quelques lapins ou des lemmings quelque part. Mais encore faut-il les trouver, et ces fourbes ont visiblement trouvé une très bonne cachette ! Je grogne d'agacement, je lève ma truffe vers le ciel pour me détendre et je marche de longues minutes, sans chercher la moindre odeur, afin de calmer la colère qui monte doucement en moi. Je ne veux pas rentrer les crocs vide, il est hors de question que je ne rapporte rien à ma petite soeur. Même si elle sait chasser, je veux lui épargner le plus de fatigue possible et ce, que ce soit en chasse ou en combat. J'aimerais seulement trouver une technique pour dénicher des proies plus facilement et plus régulièrement, parce que dépendre des saisons et de la nourriture des hardes est quelque chose de fatiguant autant physiquement que moralement. Je soupire longtemps, je regarde le ciel qui s'assombrit, et je reprends mes recherches. Allez, je suis certain qu'une bête se cache dans les environs, il doit forcément y avoir quelque chose quelque part, que je puisse attraper et tuer pour la servir à ma meute et à ma famille. Oui, il y a forcément une quelconque créature qui attend de mourir pour laisser vivre les miens.

Je tape rageusement dans la neige froide. Rien à faire, tout semble avoir disparu dans cette foutue clairière. Et puisque je suis trop borné pour m'avouer vaincu, je ne prends toujours pas la décision de quitter les lieux et je continue de chercher. Et puis, une idée me vient. Puisque les proies ne viennent pas et qu'elles ne m'ont laissé aucune trace pour que je les trouve, je décide de changer l'objectif de ma venue ici, et je m'atèle à augmenter mon endurance. Je cours d'un bout à l'autre de l'endroit à pleine vitesse, et je reviens à mon point de départ en trottant pour reprendre mon souffle. Je m'arrête quelques secondes, jusqu'à ce que les volutes de fumée blanche qui sortent de ma gueule diminuent et n’apparaissent qu'à un rythme régulier, puis je repars à toutes pattes dans la direction opposée pour une nouvelle course folle suivi d'un retour tranquille. Les minutes s'écoulent ainsi et après de nombreux allers-retours, je hume les alentours pour m'enquérir de la présence éventuelle d'une proie, qui aurait fait l'erreur de rentrer chez elle un peu trop tôt. Puisqu'aucune odeur ne fait son apparition, je reprends mes exercices d'endurance avec plus de conviction, réfléchissant déjà à un travail ardu pour travailler l'agilité de mon corps, et je continue, encore et encore, inlassablement, dans l'espoir de ne pas réellement perdre mon temps. Si je peux combiner entraînements et chasses pour la meute, alors je suppose que je ne dois surtout pas laisser passer l'occasion de le faire.