J'ai passé la journée à ne rien faire, parce qu'étrangement j'avais le moral plus bas que terre. En fait, j'ai bien l'impression que la saison froide joue avec mes nerfs, et dernièrement j'ai eu peu d'occasion d'être de bonne humeur. J'ai beau errer encore et encore sur les mêmes terres, jour après jour, les connaître par coeur et savoir parfaitement où vont les hardes de bêtes et quand, je n'en suis pas moins fauché, en ce moment. Je suis fatigué de ne rien faire, et en même temps d'en fait autant que ce que je fais. Chasser quotidiennement pour nourrir une meute que je n'apprécie pas particulièrement, avec pour seul objectif la protection d'une soeur qui ne donne même plus signes de vie depuis quelques temps ... J'n'ai vraiment rien pour me remonter le moral. Même les chasses m'ennuient. Heureusement que je pense à ma soeur quotidiennement, sinon je n'donnerais pas cher du peu de bon sens dont je sais faire preuve. Ces derniers temps, j'ai été habité par une telle rancoeur face à la solitude, que j'ai eu envie de faire souffrir mes semblables de nombreuses fois sans jamais avoir de raison particulière. Plus le temps passe en me séparant de ma soeur, et plus j'en veux au monde entier de cette existence douloureuse que nous sommes obligés de subir. Je lâche un soupire exaspéré face à tant de morosité, et j'arpente les forêts sans le moindre objectifs, n'ayant pas envie de rentrer maintenant puisque je sais, comme d'habitude, que je trouverais notre tanière vide. Kaya est occupée ailleurs, et cela fait bien longtemps que nous ne nous croisons plus.

Lassé de chasser toujours les mêmes choses, probablement mon cerveau aura-t-il décidé qu'aujourd'hui, je dois me détendre en une autre activité tout aussi utile que la chasse. Voilà que mes pattes me guident au hasard entre les arbres, et que finalement je débarque sur une plage sans avoir penser y venir. L'odeur salée de la mer me vient avant que je puisse apercevoir l'étendue sablonneuse, et déjà la brise marine se mélange à mon pelage avec une détermination farouche. Je soupire en approchant de l'eau, après tout pourquoi pas ? Ca me changera de toutes ces bêtes à poil, et le fait de me battre dans l'eau pourra toujours me faire gagner un peu de muscles dans les pattes. Et puis, pour en rajouter au peu de motivation que j'ai, je me dis que me débattre dans ce genre d'environnement pourrait bien me fatiguer davantage que de courir dans les bois, et me permettre de m'endormir plus facilement ce soir, alors que je tournerais en rond dans notre tanière en attendant désespérément le retour de ma si chère petite soeur. Résigné, je m'approche de la surface bleutée de la mer, et j'observe les vagues durant de longues minutes avant de me décider à trouver un promontoire. Un peu plus loin, une énorme roche surplombe la surface de l'eau, et je l'escalade agilement avant de m'y allonger, observant longtemps en silence, les remous dans l'eau. A la recherche d'une quelconque proie, je laisse passer les minutes avec une grande patience, tâchant de me vider l'esprit pour me concentrer sur cette nouvelle tâche que je m'incombe. Le poisson, c'est dégueulasse, mais c'est plein de protéines, alors ...

Coup de chance ou coup du Destin, je vois passer nombre de bestioles gluantes sous la surface de l'eau. Là-haut, parfaitement immobile, je les observe de longues minutes pour m'assurer qu'ils ont des sortes de trajets précis, histoire de savoir où frapper avec exactitude pour ne pas louper ma prise. D'autant que lorsque j'aurais tapé la surface de l'eau, tous partirons à une vitesse folle et ne reviendront pas avant un long moment, lorsqu'ils seront certains que le danger aura disparu. Entre les petits poissons qui ne suffiraient même pas à nourrir un louveteau, et les longues choses dégoûtantes qui me répugneraient rien que pour les attraper, il me faut très longtemps avant de jeter mon dévolu sur une chose à peu de chose près appétissante. Non vraiment, le poisson c'est pas mon truc. J'espère qu'il sera rapidement avalé par un membre de la Horde, histoire que je n'me sente pas obligé de le manger pour ne pas gâcher le fruit de mon travail. je remarque un animal d'une couleur plutôt sympa, qui se démarque des autres grâce à un beige orangé me rappelant vaguement la couleur du saumon. Il a une grosse tête plutôt carrée, mais un corps assez long et fin en son extrémité. Je ne me souviens pas tout de suite de son nom, mais à force de le regarder nager sans but et de réfléchir, je finis par me rappeler qu'il s'agit d'un grondin. Cette chose n'est pas plus belle que toutes les autres qui grouillent autour d'elle, mais je me console en me disant que ce n'est pas la plus moche de toutes. Je soupire, répugné, j'inspire profondément, et je plonge tête la première dans l'eau froide. Avec précision, je plante mes crocs dans le corps visqueux du grondin orangé qui, affolé, se débat avec véhémence pendant un petit moment. Je marche rapidement jusqu'à la plage, ma tête oscillant à cause de la force de ma proie, jusqu’à ce qu'elle s'immobilise et suffoque dans ma gueule. Tentant désespérément de ne pas sentir son goût sur ma langue, je me précipite dans les bois pour rejoindre le clan de la Horde et abandonner cette chose dans les réserves de ma meute. Plus vite elle sera parmi les cadavres, et plus vite je pourrais me délecter d'une proie faite de viande rouge pour oublier ce goût infecte et cette sensation visqueuse qui me colle déjà aux dents.